Charles Mopsik
Fragments inédits de
l'Introduction au Sicle du Sanctuaire de Moïse
de Léon, traduit et annoté par Charles Mopsik, édition
Verdier, 1996. Les textes qui suivent devaient figurer dans l'introduction
de cet ouvrage, mais ils en ont été retirés
par l'éditeur pour alléger le volume. Ils sont publiés
ici tels qu'ils devaient apparaître dans l'introduction,
sans changement ni addition. Leur caractère parfois fragmentaire
tient au fait qu'il ont été extraits de leur contexte.
Le caractère volumineux de ses écrits, la masse
importante de lecture et d'étude qu'elle implique, les
longues séances d'étude des mystères de la
abale, l'enseignement qu'il devait prodiguer à quelques
disciples, la laborieuse besogne de copie manuscrite de ses ouvrages,
la vie religieuse quotidienne et ses prières nombreuses
et d'autant plus longues qu'elles étaient accomplies suivant
les méditations cabalistiques adéquates, tout cela
constituait une vie de type monastique, mais à la différence
des spirituels et des mystiques chrétiens contemporains,
il avait femme et enfant, et cette charge familiale l'a très
probablement amené à faire cette réponse
à une épouse dont la complaisance et la compréhension
était soumise à rude épreuve et touchait
à ses limites. Que celle-ci ait ensuite voulu naïvement
redonner à son défunt mari la gloire dont il s'était
dessaisi à ses yeux, à défaut de pouvoir
tirer quelque argent d'un texte original qu'elle ne possédait
pas, et qu'elle ait répété consciencieusement,
sans savoir que ses propos passeraient à la postérité,
la réplique que Moïse de Léon improvisa sur
le moment pour qu'elle le laisse en paix, voilà une hypothèse
tout à fait vraisemblable.
Pour faire face à ces deux exigences, souvent contradictoires,
il fallait composer et, au lieu de devenir ermite et d'abandonner
les siens, Moïse de Léon préféra apaiser
l'irritation de son épouse par des paroles conciliantes.
Adresser des propos conciliants à son épouse est
d'ailleurs un thème fréquent dans le Zohar
et la littérature cabalistique de cette époque.
Ce n'est sans doute pas un conseil théorique et sans incidences
sociales.
Comme la personnalité et l'uvre de Moïse de
Léon sont encore très peu connues du public francophone,
avant d'aborder plus en détail les questions relatives
au Sicle du Sanctuaire, il importait d'en présenter
une biographie et une bibliographie commentée.
La célébrité du Zohar contribue sans
doute à obscurcir la pensée personnelle de son auteur
supposé.
L'absence de la cabale dans les présentations contemporaines
de la pensée médiévale résulte de
ce désintérêt. Il est vrai que quelques tentatives
ont été entreprises, mais elles n'ont suscité
que désapprobation et dépit de la part des chercheurs
(1). Ces tentatives, certes courageuses, pèchent non seulement
par un déficit patent en matière philologique, mais,
impatientes d'énoncer la " vérité "
théorique des textes qu'elles étudient, elles esquivent
les difficultés et ont moins le souci d'exposer la pensée
des auteurs considérés que de développer
leur propre théorie sur ce qu'est la cabale et ses contenus
spéculatifs.
Peut-être que la condition historique des Juifs au Moyen
Âge invitait à penser l'être en terme de retard,
d'attente, de non accomplissement immédiat. A la différence
de leurs contemporains latins (ou arabes), leur condition dans
le monde n'était pour eux que transitoire, ils vivaient
le temps de façon très différente ; être
pour eux se déclinait plutôt futur qu'au présent.
Pithey Ché'arim, Tel Aviv, 1964, p.
3b-4a :
"L'énergie de cette rétraction et de ce retrait
produisit un espace et un socle pour toutes les créations
de façon qu'elles puissent entrer dans le cadre de l'être-là
et de l'existence, telles qu'elles sont maintenant. Or toute l'existence
correspond à la définition d'un point et d'un centre
par rapport à la lumière du Eyn Sof en elle-même
qui l'environne de tout côté. L'intention en cela
est la suivante : comme nous voyons dans un cercle que son
point médian qui est le centre est le plus petit qu'il
se peut être, et qu'il n'est que théorique (mahchaviit)
seulement, qu'il n'est pas perceptible par le sens de la vue,
car s'il était visible et limité il n'aurait pas
été appelé point, parce qu'alors il lui aurait
été possible d'être divisé en diverses
parties, et tout centre n'est que l'origine des rayons qui s'étendent
à partir de lui de tout côté et n'est accessible
que par la pensée, comme le disent les experts en métrologie,
et ainsi nous dénommons toute l'existence créée
avec une mesure et une limite point médian central
seulement, car en ce qui Le concerne, béni soit-il, ne
convient ni limite, ni mesure ni dimension, Dieu préserve !
C'est là que se situe la différence entre eux. Car
le Eyn Sof est sans limite et sans mesure, alors qu'eux
ont une limite et une mesure. Ils n'ont strictement aucune commune
mesure par rapport au Eyn Sof."
Si le Point primordial est l'origine de tout ce qui existe et
que, procédant d'une source unique, tout en dérive
substantiellement, certains ont été amenés
à considérer que le fond de la doctrine de ce cabaliste
est une sorte de panthéisme moniste ou mystique. Cette
question a été abordée naguère par
Gershom Scholem, qui déclare : "L'auteur du Zohar
incline vers un panthéisme ; ce fait est même
rendu plus clair dans les écrits hébreux de Moïse
de Léon, mais on chercherait en vain un aveu de panthéisme
au-delà de quelques vagues formules et de quelques allusions
à une unité fondamentale de toutes choses, de toutes
les étapes et de tous les mondes. En résumé,
son langage est celui d'un théiste et il faut de la pénétration
pour amener à la lumière ses intentions cachées
et son tréfonds panthéiste (2)". Il nous semble
cependant que les qualifications de "théiste"
comme de "panthéiste" ne sont guère appropriées
pour qualifier l'orientation théologique de Moïse
de Léon. Le mot "panthéiste" a été
créé en 1705 par Toland, et il apparaît presque
toujours dans un contexte polémique (3). Il s'agit d'un
qualificatif daté qui obscurcit les conceptions qu'il prétend
éclairer en plaquant sur elles une étiquette brumeuse.
Relancer ici ce genre de polémique n'aurait guère
de sens.
Sur mythos et logos dans la cabale zoharique.
Moïse de Léon et le Zohar sont considérés
comme de grands créateurs de mythes par la recherche actuelle,
qui se réfère aux images vivantes, personnelles,
aux interactions entre sefirot dépeintes en termes figuratifs
d'un anthropomorphisme particulièrement audacieux. Maurice
Kriegel traduit parfaitement l'état d'esprit qui règne
dans les études académiques contemporaines de la
cabale quand il déclare que les cabalistes "se détournent
de l'abstraction pour recourir à la fabulation mythologique"
(4). Le concept de "mythe" est à dire vrai d'une
extrême imprécision. Pour un regard de philosophe,
le mythe "désigne tout point de doctrine injustifié
et injustifiable visant à modifier le comportement de l'être
humain par la prescription d'une hiérarchie de valeurs"
(5). Rentrent par exemple dans cette définition, suivant
ses auteurs, la survie de l'âme après la mort selon
le Phédon de Platon, l'inconditionné
de Kant, l'appel de l'être de Heidegger. Les anthropologues
et les ethnologues débattent sur le sens de ce terme. Les
historiens des religions aussi (6). Michel Tardieu évoque
le mythe "systématisé et rationalisé"
des gnostiques de la fin de l'Antiquité et veut montrer
que dans ce contexte, "le mythe est aussi pensée",
en se référant aux travaux de Jean-Pierre Vernant
sur la Grèce antique (7). Gershom Scholem se réjouit
du caractère nettement affirmé du mythe dans la
cabale par contraste avec ce qu'il considère comme son
évanescence dans la littérature biblique (8). Il
n'est guère de notion plus difficile à appréhender
que celle de "mythe" et il n'en est pas qui soit à
ce point utilisée à toute occasion et sans aucune
précaution dans l'étude de la cabale aujourd'hui.
A quels types d'exposés faut-il réserver ce qualificatif ?
A ceux qui se déploient sous forme narrative davantage
qu'à ceux qui s'expriment de façon plus abstraite
? La "Grande Mère" dont parle Moïse de Léon
dans le Sicle du Sanctuaire pour désigner la sefira
Binah (l'Intelligence) est-elle une figure "mythique",
fondamentalement différente de la notion abstraite de "Voix
inaudible" ou de "Point théorique" ?
Les rapprochements éventuels avec des appellations de figures
divines archaïques suffisent-ils pour légitimer l'apposition
de l'étiquette savante de mythe sur de telles expressions
? Est-il correct de considérer comme équivalentes
figures de discours et figures divines ? Système rhétorique
et représentations religieuses ? Caractérisons
en quelques phrases le discours des cabalistes : celui-ci
tend d'abord à révéler, par l'exégèse,
l'ordre caché derrière le désordre apparent
des récits bibliques, la logique des narrations rabbiniques
aux apparences fantaisistes. Le récit n'est cependant pas
pour eux opposable à la logique. A leurs yeux, la logique
du système théosophico-théurgique le structure
de façon si contraignante qu'il est possible d'en extraire
des éléments de la moindre lettre, du plus anodin
des versets. En un mot, logos et mythos ne font
pas chambre à part. Ils ont parti lié et mènent
une vie commune. L'un renvoie sans cesse à l'autre et chacun
grâce à l'autre devient un peu plus intelligible,
s'inscrit plus concrètement dans une expérience
de pensée qui est simultanément une expérience
visionnaire. Cette intelligibilité est pour cette raison
toujours provisoire, branlante, tâtonnante. Narration rationalisée
et rationalité narrativisée sont indissociables.
Ce qui a un double effet relativiste : le récit canonique
en tant que tel, détaché de son plan de significations
théosophiques, est regardé avec dédain et
Moïse de Léon le considère comme de valeur
identique et même inférieur aux récits historiques
profanes et autres légendes, fabliaux et contes de fées
(9). L'exposé logique et les raisonnements en tant que
productions élaborées par une intelligence humaine
particulière d'après l'expérience ordinaire
et l'observation des phénomènes extérieurs
ne valent guère davantage, ils ne sont que des "caprices"
de la pensée. Comment alors accéder au sens vrai
des Écritures, comment dé-profaniser le récit
canonique et comment d'autre part, "intelliger" le système
théosophique des sefirot ? Quand Moïse de Léon
aborde cette dernière question, il se réfère
à la "méditation du cur", opération
mentale qui n'est pas réductible au raisonnement logique
et qui ne doit pas être non plus assimilée à
la représentation mythique :
"Sache que ces choses étant encloses et dissimulées
dans le secret de Son être (havayato), l'homme doit
scruter les méditations (ra'ayoney) de son cur
car l'énigme de Son unité, qu'Il soit exalté,
il n'est pas capable de la fixer dans sa raison selon le secret
de la Sagesse comme les autres choses saisissables, telle la lumière
du soleil qui fait miroiter sa splendeur à travers les
eaux courant vers son feu. [...] Il nous faut savoir que parce
qu'Il est, béni soit-il et exalté soit-il, très
élevé et que son fond est insondable, les pensées
s'épuisent à Le connaître, aussi sera-t-Il
reconnu dans les méditations des curs (10)".
L'expérience mentale de l'insondable, aussi fugace que
des scintillements de lumière sur les vagues d'un océan
agité est également une expérience de vision,
une sensation intérieure qui n'est communicable qu'au moyen
d'une rhétorique particulière, ce que certains chercheurs
s'entêtent à appeler un "discours mythique".
La rhétorique du texte canonique est décryptée
par les cabalistes au moyen d'une autre rhétorique, plus
directement accessible, plus transparente au modèle auquel
elle renvoie. Il est absurde de dire que l'auteur ou les auteurs
du Zohar et les cabalistes qui gravitaient autour de lui
ont forgé de nouveaux mythes au moyen des symboles qu'ils
emploient pour dépeindre le monde divin et pour interpréter
la Torah. Les images les plus " mythiques "
qu'ils avancent au gré de la recherche contemporaine sont
les éléments d'une rhétorique qui tente à
travers eux de désigner un champ inaccessible à
l'observation ordinaire, au discours rationnel et à la
pensée hypothético-déductive. Leur fonction
n'est pas de solliciter et d'enrichir l'imagination mais d'ouvrir
la voie à une expérience de pensée qui ne
peut se figer dans un concept et qui réclame la participation
de l'imagination aussi bien que la faculté d'abstraction.
Cela est si vrai que la cabale est devenu de plus en plus, à
partir du XVIe siècle, une sorte de formalisme quasi mathématique.
L'objectif assigné par Moïse de Léon dans le
Sicle du Sanctuaire à la rhétorique dont
il fait usage est d'autoriser une échappée hors
des limites de la raison, afin de porter un regard, aussi bref
soit-il, par derrière le "mur". S'il use pour
ce faire de tropes qui s'apparentent à des mythèmes,
il leur assigne une fonction assimilable à celle de mathèmes.
Par une curieuse ironie, un instrument rhétorique efficace
tentant de donner accès aux "mathèmes du cur"
est confondue aujourd'hui avec une "narrativité mythique"
régressive. Alors que c'est précisément contre
la réduction du texte canonique à sa narrativité
superficielle, contre la politique de son historicisation par
l'interprétation littéraliste qu'est tendu l'effort
exégétique de la cabale zoharique. Traiter comme
d'une mythologie la rhétorique de la cabale théosophique
est une façon de l'édulcorer, d'en obscurcir la
démonstration magistrale : le récit biblique
en lui-même n'a rien de "sacré", rien qui
le distingue de tous les autres récits. Sa dimension religieuse
ne réside pas dans son histoire ni dans les institutions
qui lui ont attribué un rang canonique dans le domaine
du croire. Elle dépend totalement de la façon dont
il est reçu, elle est strictement subordonnée au
fait de son inscription dans une tradition humaine. L'exégèse
cabalistique dé-mythologise le récit biblique, l'arrache
à l'anecdotique où le retiennent les lectures fondamentalistes.
Le passage de Moïse de Léon sur les "méditations du
cur" mérite à cet égard un examen
plus précis. Il contient l'évocation d'une expérience
de contemplation décrite dans plusieurs autres textes du
même auteur et en particulier dans le Sicle du Sanctuaire.
Les réverbérations de la lumière sur de l'eau
ondoyante ou les lueurs qui apparaissent derrière les paupières
quand les yeux sont fermés et tournent dans leur orbite
représentent par analogie les mouvements incessants et
insaisissables des réalités spirituelles, qu'elles
appartiennent au domaine du Char céleste, à savoir
au domaine archangélique ou qu'elles relèvent directement
du monde divin des sefirot (11). Moché Idel a raison d'insister
sur le fait que ces phénomènes soulignent non pas
seulement le caractère abscons du monde divin mais sur
son caractère "dynamique et changeant" (12).
Il nous semble toutefois que ce " dynamisme "
n'est qu'un caractère secondaire et qu'il est possible
de tirer davantage des passages en question. L'élément
principal nous paraît être non pas le caractère
dynamique des entités spirituelles, mais leur caractère
erratique, turbulent, leur imprévisibilité (13).
Ce n'est pas en soi le fait que ces entités se déplacent,
sont emportées dans un processus de transformation continu
qui intéresse Moïse de Léon et le Zohar,
mais que ce mouvement est semblable à l'agitation tumultueuse
d'un fluide ou d'une lumière qui ne peut en aucun cas être
déterminé à l'avance. La notion de turbulence
est plus pertinente que celle de dynamisme pour qualifier le spectacle
qui fascine ce cabaliste. Nous avons déjà indiqué
plus haut qu'un dynamisme implique un certain coefficient de déterminisme,
alors que c'est précisément le caractère
non-déterministe du phénomène qui retient
l'attention du cabaliste. La circulation de l'influx divin existentiateur
au sein du système des sefirot est essentiellement erratique,
imprédictible et turbulent. Il ne peut par conséquent
être appréhendé au moyen d'un discours logique
et déductif valable pour décrire des phénomènes
stables, prédictibles, déterministes, qui évoluent
mécaniquement. Le symbolisme élaboré pour
communiquer ces processus spirituels foncièrement erratiques
dut épouser voire imiter leur comportement turbulent. Un
des moyens pour simuler cette turbulence a été l'adoption
d'une syntaxe aussi désarticulée que possible, à
la fois répétitive et en constant renouvellement,
associant, dissociant et recombinant sans trêve images,
notions, versets bibliques, suites de lettres. De même les
symboles, comme éléments lexicaux de cette syntaxe,
ont été pris dans cette cavalcade tumultueuse et
ils ne sont pas utilisés pour maîtriser intellectuellement
les flux du processus existantiateur, pour en représenter
un aspect déterminé et figé mais ils servent
de coordonnées fictives, de photographies instantanées
de trajectoires aux cours imprévisibles et sont par conséquent
et nécessairement toujours flous, approximatifs, évanescents.
Ils ne ressemblent en rien à ce que l'on appelle ordinairement
une " figure mythique " car celle-ci doit
avoir le temps de se cristalliser dans l'imagination, elle doit
nécessairement être stable et représente une
réalité appartenant à un passé fondateur
ou à un présent éternel. Les symboles théosophiques
de la cabale sont au contraire les reflets ou les scintillements
des éclats d'une réalité turbulente qui,
si elle évolue dans une direction temporelle déterminée,
n'est pas elle-même déterministe dans ses mouvements
et nul ne peut prétendre en rendre compte de façon
rigoureusement exacte. Le caractère indicible du Principe
qui précède le système des sefirot et le
processus de son organisation retentit sur ce dernier et le traverse
de part en part, si bien que le discours qui en décrit
les différentes phases et les différents aspects
ne peut être, ni en fait ni en droit, transparent à
lui-même, simple et sans opacité. C'est pourquoi
les exposés des cabalistes tendent à traiter le
symbolisme dont ils se servent comme un formalisme linguistico-mathématique
plutôt que comme un récit mythique systématisé
ou rationalisé.
Le Sicle du Sanctuaire, comme d'autres écrits qui
gravitent autour de l'école zoharique, atteste que les
cabalistes ne se sont pas détournés des "abstractions".
Ils ont conçu celles qui leur permettaient de pénétrer
le domaine élevé des réalités spirituelles
et divines comme n'appartenant pas exclusivement à la sphère
mentale ou cérébrale, car pour eux l'acte de penser
implique aussi le corps et ses émotions dont le centre
organique est le cur. L'expression "méditations
du cur" qu'emploie Moïse de Léon traduit
non pas le refus de l'abstraction et de la rationalité
et la fuite dans une imagination créatrice de mythes, mais
une façon de pensée propre au cercle d'intellectuels
auquel il appartient, qui tentent de forger une voie d'accès
à la connaissance du Pardés sous la forme
d'une littérature qui permet par ses artifices rhétoriques
de communier avec un objet insaisissable et une réalité
turbulente. Si certains de ces artifices ont l'apparence de mythes,
il s'agit dans tous les cas de récits cryptiques qui appellent
un décodage précis renvoyant à des "abstractions"
dont seules les "méditations du cur" peuvent
pressentir les incessants déplacements.
Notes
1. Voir par exemple Henri Serouya,
La Kabbale, Grasset, Paris, 1947.
2. Les grands courants de la mystique
juive, p. 238.
3. Voir Dewey : "Ce terme
a un sens large et lâche, spécialement dans les écrits
de controverse, où l'odium theologicum y
est attaché ; dans cette acception, on l'applique
presque à tout système qui dépasse le théisme
courant ou reçu, dans sa théorie de la relation
positive et organique entre Dieu et le monde" (cité
dans A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie,
Presses Universitaires de France, Paris, 1947, p. 716, article
"panthéisme").
4. Voir Les Juifs à la
fin du Moyen Âge dans l'Europe méditerranéenne,
Hachette, coll. Pluriel, Paris, 1994, 2e éd., p. 8.
5. Luc Brisson et F. Walter Meyerstein,
Puissance et limites de la raison, Les Belles Lettres,
Paris, 1995, p. 139.
6. Une définition anthropologique classique
en a été donnée par Marcel Mauss : "Le
mythe est une histoire du dieu, est une fable, avec son invention
et sa morale [...]. Le mythe proprement dit est une histoire
crue entraînant en principe des rites. Le mythe fait
partie du système obligatoire des représentations
religieuses, on est obligé de croire au mythe. [...] Le
mythe se passe dans l'éternel, ce qui ne veut pas dire
que le mythe n'est pas localisé dans le temps et dans l'espace :
on sait que Kronos a donné naissance à Jupiter,
qu'il était le premier ; mais vis-à-vis des
hommes, les dieux sont tous dans l'éternité. [...]
Le mythe, même lorsqu'il raconte des événements
précis, se place dans une époque mythique qui est
toujours une époque différente de celle des hommes"
(Manuel d'Ethnographie, Payot, Paris, 1e éd.
1947, 2e éd. 1967, p. 250-251. Pour l'histoire
des religions, voir par exemple Mircea Eliade, Aspects du mythe,
Gallimard, Paris, 1963, p. 14 et suiv.
7. Trois mythes gnostiques,
Études Augustiniennes, Paris, 1974, p. 21 et note 22 sur
place.
8. La mystique juive, les thèmes fondamentaux,
Le Cerf, 1985, p. 151-154.
9. Voir Questions et réponses, p. 31.
Et voir Zohar III, 152a. Pour une mise en perspective historique
de ces passages, voir Maurice Kriegel, Les Juifs à la
fin du Moyen Âge dans l'Europe méditerranéenne,
cité plus haut note 4, p. 170 et suivantes.
10 Fragment sans titre, fol.
366a.
11. Voir Le Sicle du Sanctuaire, infra, p.
000.
12. Ce qui est en jeu dans les textes de Moïse
de Léon ou dans ceux du Zohar, n'est pas l'abscondité
essentielle des entités supérieures, mais l'incapacité
humaine quant à saisir un processus dynamique, visible
mais toujours changeant. Cette teneur spéciale de la théosophie
zoharique eut des répercussions importantes sur la centralité
du symbolisme lié à ces processus dynamiques ; le
point de mire du symbolisme se déplaça, comme nous
le verrons, de la réflexion symbolique des sefirot à
la réflexion des processus spirituels - d'où la
qualité dynamique du symbolisme zoharique. Comme ce type
de symbolisme exerça une très grande influence,
il marqua d'un caractère unique le symbolisme cabalistique
en général. (Kabbalah, New Perspectives,
New Haven, 1988, p. 140-141.
13. Déjà le Livre de la Création
parlait de "l'aspect de foudre" des sefirot, pour désigner
à la fois l'extrême fugacité de leur vision
et l'imprévisibilité de leur mouvement : "Dix
sefirot belimah (sans quoi), leur vision est comme l'apparence
de l'éclair et leurs trajectoires sont sans terme"
(1:6).