Mémoire de D.E.A.

 

présenté par Yaël GRONNER

 

à l’E.H.E.S.S année 1999-2000

 

sous la direction de Ch. MOPSIK

 

 

 

 

Rachel et Léa : de la tradition des Mères aux Mères de la tradition dans la littérature et la société juives.

 

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Remerciements

 

Je tiens à exprimer toute ma gratitude au Dr. Ch. Mopsik pour avoir accepté de diriger ce travail, pour sa patience et son extrême disponibilité. Je le remercie également pour ses précieux conseils, les discussions passionnantes que nous avons eues et pour m’avoir dévoilé de nouveaux et magnifiques horizons.

 

Mes plus vifs remerciements vont aussi au Dr. J. Baumgarten qui m'a constamment soutenue, encouragée et éclairée tout au long de ce travail. Un grand merci pour ses nombreux conseils et pour avoir accepté la lourde tâche de corriger et de juger ce travail.

 

Je remercie également Y. Timsit pour sa grande patience dans les corrections du français et H. Barkai pour son soutien amical et ses conseils.

 

Je tiens à remercier le Rabin T. Cohen et S. Alalli pour leurs éclaircissements  sur les questions talmudiques.

 

 



Table des matières

 

 

 

Introduction                                                                               1

 

1. Le rôle central de Rachel et Léa dans le judaïsme              2

2. Leur représentations                                                             4

3. Les implications du travail sur le plan socio-historique        6

4. Etat de la recherche                                                              7

5. Méthodologie                                                                         8

 

 

Bible                                                                                            13

 

A.   Présentation des textes                                                    14

B.   Discussion                                                                         22

 

 

Talmud de Babylone                                                                  25

 

A.    La mort et l’enterrement de Rachel et Léa                   25

B.     La stérilité de Rachel                                                      27

C.    Comparaison de Rachel et Léa avec Yael                      29

D.    L’histoire des signes                                                        31

E.     Passages contenant des thèmes divers                           34     

F.     Discussion                                                                        38

 

 

Midrach                                                                                      40

 

A.   Midrach Rabba                                                               40

B.   Midrach Tanhouma                                                        55

C.   Discussion                                                                         56

 

 

Zohar                                                                                          62

 

1. Rachel et Léa dans le Zohar                                                  62

 2. Etude thématique                                                                 63

 

 

Discussion générale                                                                    82                                                       

Perspectives en vue d’une étude ultérieure                              87

 

Bibliographie                                                                              92

 




 

INTRODUCTION

 

 

Ce travail est une étude comparative des représentations de Rachel et Léa dans le Zohar[1], la Bible, le Talmud de Babylone et le Midrach ‘canonique’.

Nous allons décrire et comparer la manière dont les deux Matriarches sont représentées dans ces textes.

 

 

1. Le rôle central de Rachel et Léa dans le Judaïsme

 

Rachel et Léa font partie des quatre Matriarches, les mères  fondatrices dans le Judaïsme[2]. Elles symbolisent le paradigme de Mères et de Femmes. C’est pourquoi, se pencher sur Rachel et Léa, ne consiste pas seulement à étudier ces personnages spécifiques, mais aussi à chercher à comprendre comment sont vues ‘les femmes’ dans le Judaïsme. Etudier comment sont représentées Rachel et Léa dans les sources juives nous apprend ainsi de quelle manière les femmes étaient perçues à l’époque de la rédaction de ces textes et qu’elles étaient leurs exigences. Nous savons[3] également que de la destruction du Temple de Jérusalem à nos jours, des sermons (דרשות) sur les lectures hebdomadaires de la Bible sont régulièrement prononcés par les Rabbins dans les synagogues. Dans ce cadre, on y interprète l’histoire biblique. On y évoque ainsi nos deux personnages féminins. Les juifs qui fréquentaient les synagogues entendaient donc parler d’elles. Il semble, en outre, que Rachel et Léa, en tant que Matriarches, étaient encore plus souvent mentionnées que les autres personnages bibliques.

Ainsi, elles sont constamment ‘présentes’ dans la société juive. Elles constituent une référence indispensable.

 

 

Rachel et Léa dans la Cabale 

 

Dans la Cabale, Rachel et Léa subissent une transformation : elles sont identifiées à deux Sefirot[4]. Rachel est identifiée à la sefira Malkhout (מלכות Royauté) et Léa l’est à la sefira Binah (בינה Intelligence). Binah occupe la partie supérieure de l’arbre sefirotique. Elle est souvent appelée ‘Mère d’en haut’ ou ‘Monde d’en haut’. Malkhout est la dernière sefira, à la limite entre le ‘Monde d’en bas’ et le ‘Monde d'en haut’. Elle est la sefira la plus ‘terrestre’ et est appelée aussi ‘Mère d'en bas’ ou ‘Monde d'en bas’[5].

 

Les sefirot sont extrêmement importantes dans la Cabale théosophique, elles représentent le système d’émanations et d’attributions divines. Par conséquent, les personnages qui leur sont identifiés ont également de l’importance. Identifier Rachel et Léa aux Sefirot revient à ce que parler d’elles évoque en même temps une autre dimension de réalité : celle des sefirot[6].

 

Il convient de préciser que le lien sefirotique de Rachel et Léa n’existe pas systématiquement pour tous les personnages bibliques. Les Patriarches sont tous identifiés à des sefirot, alors que les autres Matriarches, Sarah et Rébecca, ne le sont pas d’une façon évidente. Quelques autres personnages féminins sont liés à des sefirot. Esther et BethSabée sont, par exemple, liées à Malkhout, mais il semble que le lien de Rachel soit privilégié, puisqu’elle lui est identifiée[7]. Rachel et Léa font partie des rares personnages bibliques à être identifiés aux sefirot.

Cette identification est importante puisqu’en tant que sefirot, elles font partie de la divinité. Elles peuvent ainsi être assimilées à deux entités féminines divines. A-t’on affaire ici à une image féminine de la divinité?.[8]

 

 

De surcroît, il semble que dans la Cabale en général, et dans le Zohar en particulier,[9] Rachel est liée à la Chekhinah. On essaiera de voir plus loin quelle est la nature du lien. Sont-elles identiques ou existe-t-il seulement une ressemblance entre les deux?

La Chekhinah d’après Scholem est le terme pour désigner la personnification de la présence divine dans le monde[10]. E.Ourbach ajoute à cette définition le critère d’hypostase (היפוסטאסה, עיצום) de Dieu dans le monde qui signifie qu’il y est immanent[11]. Dans la littérature rabbinique[12],  la Chekhinah est asexuée, malgré le fait que son nom est un nom féminin. Il semble, cependant, qu’il y ait eu une évolution de sa représentation et de son rôle au cours du temps. Dans le Zohar, elle apparaît comme une entité féminine et maternelle, bien distincte du Saint béni soit-il mais tout en appartenant à la divinité.

Nous nous intéresserons plus particulièrement aux passages où elle est mentionnée en même temps que Rachel. En effet, de nombreux passages mentionnent un lien entre elles. Nous tenterons de mieux comprendre la nature de ce lien au cours de notre travail.

 

Une question à laquelle ce travail essayera également de répondre est : à partir de quand Rachel est associée à la Chekhinah? Peut-on trouver des traces de ce lien dans la littérature rabbinique comme le Talmud ou des traces dans la littérature populaire comme le Midrach ? Y-a-t-il dans la Cabale seulement « une mise au jour des vérités anciennes et non l’introduction d’une nouveauté révolutionnaire »[13] ou une nouveauté sans précédent ?

Une autre question qui va être abordée dans cette étude est : quelles sont les sources du Zohar ?  à quel point le Zohar puise du Judaïsme antérieur ? à quel point il puise d’ailleurs, comme dans le Gnosticisme ou dans le Christianisme. Notre étude ne pourra pas, bien sûr, répondre à cette question principale, mais contribuera à un élément supplémentaire, même si partiel, puisque nous ne vérifions pas tous les écrits juifs importants avant le Zohar.

Une autre question passionnante est : pour quelle raison Rachel a été liée à la Chekhinah ? Pourquoi fallait-il que Rachel devient l’aspect humain de la Chekhinah? A cette question, nous allons fournir des premiers éléments de réponse qu’il faudra approfondir par la suite.

 

 

 

2.    Leurs représentations:

 

Dans ce travail nous nous allons nous poser les questions suivantes :

A.    Rachel et Léa Sont-elles des personnages ou des figures ?

En ce qui concerne le terme ‘personnage’ nous nous basons sur ces définitions :

 

1.     Dictionnaire des littératures française et étrangères. Dir. J. Demougin, Larousse : Personnage :

 « C’est une personne fictive dans une œuvre littéraire…. le personnage représente des personnes selon des modalités spécifiques de la fiction… il se définit comme l’ensemble des attributs qui ont été prédiqués au sujet de manière explicite…ou implicite. » p.1195

 

2.     Dictionnaire universel des littératures. Dir. B. Didier, Puf :

« Le personnage demeure une notion au contenu flottant…son statut reste à fixer…Le personnage est d’abord un fait qui s’impose à tous : lecteurs et critiques. Spontanément il est perçu comme une image de la personne.. le personnage, quant à son origine, est le reflet d’un être réel ; le personnage, quant à sa valeur, exprime une vision de la personne … (personnage) « non comme un être mais comme un participant » (Roland Barthes)»

 

Nous retenons particulièrement de cette définition que le personnage est l’image d’une personne, qu’il est le reflet d’un être réel (dic des litt. puf.) et que c’est une personne fictive dans une œuvre littéraire (dic. Larousse). Le personnage est donc intimement lié à la personne qu’il représente.

 

 

En revanche, une figure,[14] est une représentation qui dépasse les limites de la personne vers autre chose que nous définirons par la suite et qu’on laisse flotter pour qu’il soit défini par les trouvailles dans les textes.

 

 

B.    Sont elles représentées comme passives ou actives[15] dans les sources étudiées ? nous nous sommes posé cette question pendant l’écriture même du travail. Y-répondre nous a permis, semble-t-il, d’avoir une grille de comparaison fructueuse qui a mis en lumière des différences entre les textes à leur sujet qui étaient cachés auparavant. Elle a permis ainsi de suivre la manière dont elles sont représentées dans les différentes sources.

 

 

C.    Leurs représentations dans leont changé naturellement au cours du temps et varient selon les écrits. Nous voulons étudier la nature de ce changement, son ampleur.

Nous allons nous intéresser plus particulièrement au sujet du Zohar :

Quel est le caractère du changement apparu dans le Zohar et peut-on en observer des traces dans la littérature antérieure? Le Zohar a-t-il seulement révélé ouvertement ce qui était suggéré auparavant ou a-t-il produit un changement radical avec l’identification aux sefirot ?

 

 

 

3.    Les implications du travail sur le plan socio-historique

 

Ce travail peut apporter des éléments de connaissance sur les femmes juives au Moyen Age. Les juifs sont généralement lettrés et étudient souvent leurs textes religieux. Ces textes influencent donc une bonne partie de la société et ils ne restent pas limité à une élite. On peut donc penser que ces textes ont influencé la société d’une manière importante[16].

Il faut noter que la connaissance des textes était différente chez les femmes et chez les hommes. es textes étaient transmis oralement aux femmes par leur mère ou leur mari. Les hommes les abordent par la voie écrite, ils les étudiaient ou au moins priaient dans la Synagogue.

 

Une étude des textes nous apporte donc des informations sur la société juive. Les écrits sont d'une part le miroir d'une époque et d'autre part peuvent également changer la réalité. Le changement a lieu pour les raisons mentionnées ci-dessus : puisqu’une grande partie de la société peut y accéder, chaque nouvel écrit pourra influencer un grand nombre de personnes – la société.

           

Une autre question importante est : quel type de savoir exactement peuvent apporter ces sources? quelles sont les informations que l’on peut tirer ce ces textes sur la réalité social ou historique de l’époque ? En effet, ces sources sont des sources littéraires et contrairement aux sources historiques, ce ne sont pas des ‘morceaux de réalité’. Il faut cependant noter que les sources historiques ne transmettent pas non plus des informations entièrement objectives.  On ne sait pas à quel point ils reflètent une réalité extérieure. Il existe pourtant une relation entre la réalité historique et les œuvres littéraires écrites. Ce genre de lien est établi par Y.Baer dans son livre « l’Histoire des Juifs en Espagne Chrétienne »[17] et  par Galit Hasan-Rokem  dans son article « personnages féminines et symboles féminins dans le Midrach Lamentation Rabba » (en Hébreu), où elle tire des conclusions sur les femmes à l’époque des Tannaim, d’après l’étude du Midrach Rabba sur les Lamentations.

 

 

4.  Etat de la recherche

           

Au cours de notre recherche nous avons été surpris de trouver très peu d’ouvrages concernant les personnages bibliques en général et plus particulièrement Rachel et Léa. Pour illustrer ce point, nous avons effectué une recherche dans l’index d’articles des études juives de ‘Rambi’[18] et nous n’avons trouvé qu’une trentaine d’articles qui concernaient Rachel et seulement huit qui concernaient Léa. Ce chiffre nous semble particulièrement restreint en regard de leur importance dans le Judaïsme.[19] Nous ne connaissons pas de recherches dans le domaine de la Cabale qui se consacre entièrement à l’étude des personnages bibliques[20].

La raison de cette lacune pourrait être la suivante : des générations de chercheurs seraient trop familières avec ces textes pour pouvoir en parler avec un recul suffisant. Il n’y a donc pas d’objectivation mais plutôt une assimilation. D’autre part, les textes sont tellement triviaux et banals qu’on ne les étudie pas.

 

 

5. Méthodologie

a.     les sources

 

Datation, contenu, et caractérisation 

Bible 

D’après l’Encyclopédie Hébraïque, l’entrée Mikra (מקרא) la Tora (Pentateuque) a été achevée (חתימה) pendant l’exil de Babylone[21]. L’écriture d‘Les ‘Prophètes’ ont a été clôturée à l’époque perse et les ‘khetoubim’ ont été signés au 2ème  siècle avant l’ère Chrétienne. Cependant, il existe des recherches qui parlent d’un processus de réécriture tardive du texte de la Bible.[22]

 

Talmud de Babylone[23] :

Le Talmud est la compilation de discussions entre rabbins dont l’objectif est de comprendre la Bible. Cette compréhension conduit soit à des réflexions sur les conséquences pratiques de cette étude biblique qui sont appelées Halakhah[24] (הלכה) , soit à une compilation d’histoires, légendes et fables, toujours au sujet des questions bibliques, appelées Aggadah (אגדה). Ces dernières sont destinées à une approche fondamentale plus qu’à  une application purement pratique[25].

 

Midrachim aggadiques[26] 

Les Midrachim sont Compilation de commentaires bibliques. C’est une littérature qu’on qualifie en général de populaire et qui est la transmission écrite d’une tradition orale.

Midrach Rabba  est le Midrach le plus important dans le judaïsme. Il est composé par une compilation de textes écrits  à des époques différentes en Israël (une durée de 700 ans). Le premier est Genèse Rabba du 5ème  siècle. Le dernier est Nombres Rabba du 11ème siècle [27]. [28]

Midrach Tanhouma : on discute encore sa date de rédaction. Zunz parle du 9ème siècle et Böhl pense qu’il existait déjà au 5ème siècle.[29]

 

Zohar 

Le Zohar est le texte central de la Cabale. La Cabale est le terme qui « se réfère aux formes que ce courant ésotérique et mystique a revêtu au Moyen-Age en Europe à partir du XIIe siècle » [30]. Le Zohar est un Midrach mystique sur la Tora et constitue un grand corpus ouvert, dans lequel on peut trouver des strates de différentes époques[31]. Il a connu une très large diffusion au cours du temps, et de nombreux commentaires ont été écrits à son sujet[32]. Il a eu un statut proche de la Bible et est appelé le ‘saint Zohar[33].

 

 

Les raisons qui ont motivé le choix des sources 

Ces écrits constituent les textes les plus importants du Judaïsme : la Bible est le texte de base incontestable, à l’image d’un puits sans limite, dans lequel on puise depuis des siècles. Le Talmud a été surtout diffusé à partir de l’époque des Géonim[34]et est très vite devenu un livre très largement étudié. Il existe d’ailleurs un courant basé essentiellement sur l’étude du Talmud. Ce courant est le courant rabbinique. Le Talmud est cependant bien connu par les autres courants du Judaïsme. Il a donc énormément influencé le monde conceptuel juif et le monde rabbinique plus particulièrement. Il est important de noter que l’étude du Talmud a été réservée surtout aux hommes. Il appartient à la littérature dite savante, puisqu’il a été écrit et étudié par ceux qui consacrent une partie essentielle de leur temps, à l’étude.  Il fait partie, en conséquence, de ce qu’on appelle le courant ‘officiel’ du Judaïsme. Au contraire, la littérature midrachique est une littérature plutôt ‘populaire’[35]. On ne l’étudiait pas dans les écoles, mais elle circulait plutôt de mère en fille. Le Midrach Rabba est aussi simplement appelé Midrach. Cette manière de le nommer témoigne de son rôle essentiel ; il s’agit du Midrach. Le Midrach Tanhouma a donné lieu à de nombreuses versions. Selon Strack, cela témoigne de sa grande popularité[36].

 

L’importance de ces sources se manifeste par le fait qu’elles sont des références constantes dans la vie des juifs. C’est à dire que pour diverses raisons, elles sont mentionnées quotidiennement.

 

L’objectif principal de ce travail est d’étudier les représentations de Rachel et Léa dans le Zohar. La Bible, le Talmud, le Midrach Rabba et le Midrach Tanhouma ont été choisis car ils ont influencé l’auteur/s[37] du Zohar[38]. Il est donc indispensable de bien les connaître pour mieux comprendre le Zohar.

 

L’intégration de ces sources dans le Judaïsme :

 

La grande popularité de ces textes se manifeste par son assimilation par l’ensemble de la communauté juive. Comme résultat de cette intégration il semble que le contenu initial des textes tend à disparaître. Souvent, les textes ne sont pas étudiés et leur contenu passe de bouche à oreille, modifié au cours du temps.

 

Notre travail se soucie de l’objectivation [39] de ces textes. Il cherchera à ne plus les assimiler mais plutôt à identifier le caractère propre de chaque source prise individuellement.

 

Notons, par exemple, un fait caractéristique de notre époque. D’après les entretiens que nous avons effectués, il est apparu que de nombreuses personnes interrogées ne savent pas réellement à quelle source elles se réfèrent lorsqu’elles mentionnent des idées du judaïsme. Très souvent,  elles rapportaient des propos au sujet de Rachel et Léa en pensant qu’ils  provenaient de la Bible alors qu’ils étaient issus des Midrachim ou du Talmud. Le plus souvent, les personnes interrogées tenaient des propos sans indiquer de quelle source ils provenaient. Ils donnaient l’impression que des ‘vérités’ autonomes et intemporelles existaient dans le monde au sujet de Rachel et Léa, un peu comme si les Matriarches existaient en dehors des textes. Dans le Judaïsme, il existe une intégration telle des textes, qu’on ne sait plus où se trouve l’origine des idées.[40] Il est donc important , il est im=de montrer d’où viennent les idées dans le souci de l’objectivation de ce domaine

 

 

Ce travail va principalement se concentrer sur les représentations de Rachel et Léa. Nous n’allons pas comparer leurs représentations à celles des autres personnages bibliques. Ainsi, on expliquera le 'quoi' et non le 'pourquoi'  c’est à dire, nous nous limitons essentiellement  à décrire, expliquer et analyser les changement de leur représentations dans les sources choisies. Nous ne cherchons pas à expliquer les raisons de ces changements. Ce travail nécessitera une étude en soi. Nous proposons cependant quelques ébauches d’explications dans la partie discussion.

 

 

Dans notre travail, il s’agira avant tout de tenter d’étudier les textes choisis en préservant leur complexité et leur plénitude. Nous avons essayé d’appliquer toute méthode qui a pu nous aider à les comprendre et les analyser, sans les forcer dans des catégories méthodologiques artificielles et restrictives.

En revanche, l’histoire et la philologie sont des bases indispensables pour l’étude de ces textes. On ne peut donc pas faire l’économie de l’étude historico–littéraire.

 

 

 


 

BIBLE

 

 

Dans cette partie, nous allons exposer exhaustivement les passages de la Bible (תנ"ך) dans lesquels Rachel et Léa sont mentionnées. Nous y rapportons le récit biblique auquel elles sont associées et nous citons des passages clés[41]. Ensuite, nous les analyserons.

Notre démarche pour la présentation de la Bible est de strictement décrire ce qui est écrit dans le texte. Nous ne tenterons pas, comme dans les textes postérieurs, d’indiquer les ‘non-dits’ pour compléter l’image donnée par la Bible[42].

 

Les raisons qui ont motivé le choix de l’exhaustivité:

  1. ­­­­­la Bible est la référence de toute la littérature juive postérieure. Les écrits postérieurs s’appuient tous sur ce texte fondateur. D’une part, ils y puisent des règles de vie au quotidien, d’autre part, ils tentent de mieux le comprendre, parfois jusqu’à y chercher un sens ésotérique. La compréhension des passages bibliques va donner la clé pour accéder à la littérature postérieure. Il faut donc bien connaître les passages concernant Rachel et Léa pour comprendre les écrits ultérieurs à leur sujet. En effet, ces passages étaient bien connus par les auteurs qui ont écrit les textes qui seront analysés dans notre travail.

2.     Suite à l’incorporation des textes juifs décrits dans l'introduction, il est nécessaire, dans la lignée de l’objectivation :

a.      De montrer exactement ce qui se trouve dans chaque source.

b.     De se ‘reconnecter’ au texte, qui a été incorporé, et peut-être alors aussi oublié.

Beaucoup de personnes ont une certaine connaissance du récit biblique, il semble que cette connaissance soit parfois erronée ou incomplète (sur la base certains entretiens que nous avons réalisés). Il nous paraît donc important de relater l’histoire de Rachel et Léa, telle qu’elle est décrite dans la Bible.

 

3.     Le fait de transmettre le texte au lecteur, en le rapportant exhaustivement, laisse le contenu ‘parler tout seul'. Nous ne voudrions pas proposer notre façon de les comprendre et de les analyser, sans donner des outils au lecteur afin qu’il puisse juger lui-même les textes en question.

 

4. Ce type d’inventaire pourrait également constituer un outil de travail efficace pour de futures recherches.

 

 

A - présentation des textes :

 

1. Genèse 29-33 : leur récit principal.

 

Prologue:

C’est l’histoire de Jacob, qui fuit son frère Esaü suite à un désaccord au sujet de son droit d'aînesse. Jacob est envoyé, par sa mère Rébecca, à Haran chez son oncle Laban. (chapitres 27-28).

 

Corps du récit[43] :

a.      Jacob arrive à Haran (Chap.29) et cherche son oncle Laban, il se renseigne auprès d'un groupe de bergers rassemblés près d'un puits. Il leur demande s’ils connaissent Laban. Ils répondent « oui ». Jacob veut savoir alors « est-il en paix ?». Ils lui répondent « en paix ; et voici Rachel, sa fille, qui vient avec son troupeau » (ver 6). Ensuite, ils expliquent à Jacob qu'il faut que tout le monde se réunisse pour dégager la pierre qui protège le puits afin de désaltérer les moutons. Lorsqu'il voit Rachel s'approcher, il soulève la pierre tout seul (ver. 10-11) « et fit boire les brebis de Laban, frère de sa mère. Et Jacob embrassa Rachel, et il éleva la voix en pleurant. Et Jacob apprit à Rachel qu'il était parent de son père, qu'il était le fils de Rébecca »[44]. Rachel court pour annoncer la nouvelle à son père qui vient à sa rencontre, l'embrasse et l'amène chez lui. Jacob reste avec eux pendant un mois. Laban lui annonce alors qu'il ne faut pas qu'il travaille pour lui gratuitement, et qu’il faut qu'il lui déclare le montant de son salaire. Il est dit : « or, Laban (וללבן) avait deux filles: le nom de l'aînée était Léa, celui de la cadette Rachel[45]. Léa avait les yeux faibles (רכות); Rachel était belle de taille et belle de visage (יפת תאר ויפת מראה). Jacob avait conçu de l'amour pour Rachel. Il dit « Je te servirai sept ans pour Rachel, ta plus jeune fille » (vers. 16-19) Laban lui répond qu'il préfère la lui donner plutôt qu’à un autre homme. Jacob travaille pendant sept ans qui lui semblent sept jours tellement il l'aime. Au bout des sept ans, Jacob réclame sa femme comme promis et Laban fait un festin avec tous les habitants du lieu « mais, le soir venu, il prit Léa sa fille et la lui amena, et Jacob s'unit à elle... Or, le matin, il se trouva que c'était Léa (ויהי בבקר והנה הוא לאה); et il dit à Laban: « Que m'as-tu fait là! N'est-ce pas pour Rachel que j'ai servi chez toi? et pourquoi m'as-tu trompé? » ( ver. 23-25) Laban lui répond que chez eux ce n'est pas l'usage de marier la cadette avant l'aînée. Il lui propose d'achever la semaine de festin de Léa. Il lui donnera ensuite Rachel pour laquelle il devra travailler encore sept ans. Jacob s’exécute. Laban donne une servante nommée Bilha, à Rachel, comme il l’a déjà fait à Léa, à qui il a donné Zilpah. « Jacob s'unit pareillement à Rachel et persista à aimer Rachel plus que Léa... Le Seigneur considéra que Léa était dédaignée (שנואה , haïe), et il rendit son sein fécond ("ויפתח את רחמה"), tandis que Rachel fut stérile » (ver. 30-31).

b.     Léa enfante quatre fils et elle les nomme. Jalouse de sa sœur, Rachel et dit à Jacob « Rends-moi mère, autrement j'en mourrai! Jacob se fâcha contre Rachel, et dit: Suis-je à la place de Dieu qui t'a refusé la fécondité? » ( Chap. 30 ver. 1-2) Rachel donne alors sa servante à Jacob pour qu'ils s’unissent. Ses enfants seront considérés comme ceux de Rachel. Léa s’aperçoit qu'elle n'enfante plus et agit de la même façon que sa sœur, en utilisant sa servante. Un Jour, Ruben, le fils aîné de Léa, va aux champs, trouve des mandragores et les apporte à Léa. Rachel qui les voit, demande à Léa de les lui donner mais Léa refuse. Elle lui reproche d’avoir déjà pris son mari et elle pense que c’est suffisant. Elle n’a pas besoin d’avoir les mandragores de son fils en plus. Alors, Rachel lui propose l’échange d’une nuit avec Jacob contre les mandragores. Lorsque Jacob rentre le soir du champ « Léa sortit à sa rencontre » (ver. 16) et lui explique l'affaire. « Le Seigneur exauça Léa » (ver 17) qui enfantera Issashar. « Plus tard (ואחר -ensuite), elle enfanta une fille, et elle la nomma Dina. Le Seigneur se souvint de Rachel: il l'exauça et donna la fécondité à son sein ».(ver. 21-22) Rachel accouche alors d’un fils et le nomme Joseph (ver. 24).

c.      A ce moment, Jacob demande à Laban de le laisser partir vers son pays et de prendre avec lui en guise de salaire tout le bétail pointillé ou moucheté qu'il aura réussi à reproduire. Laban accepte et Jacob réussit mieux que prévu. Laban regrette sa promesse et Jacob le remarque. Dieu lui dit de partir sans l'accord de Laban avec son bétail.  Jacob explique à Rachel et Léa la situation et elles approuvent sa décision de faire ce que Dieu lui a dit. Jacob fuit avec sa famille et son troupeau (ver. 18).

d.     Rachel vole les pénates (תרפים - statuettes) de son père. Laban poursuit alors Jacob et sa famille. Quand il les retrouve enfin, il accuse Jacob du vol de ses dieux. Jacob ignore que Rachel les a volés et jure que s’il y a un voleur dans son camps, il mourra. Laban les cherche partout. Rachel les cache sous la selle du chameau et s'assoit dessus en disant à son père qu’il lui est impossible de se lever de son siège pour qu’il puisse les chercher en invoquant ses règles (ver.35).

e.       Laban ne trouve pas ses statuettes et repart après avoir fait une alliance avec Jacob.

Dans le chapitre 32, Jacob est sur le point de retrouver son frère Esaü et il a peur de sa rage. De fait, la dernière fois qu'il s’est trouvé en sa présence, Esaü voulait le tuer. Quand il l’aperçoit de loin « Il plaça les servantes avec leurs enfants au premier rang, Léa et ses enfants derrière, Rachel et Joseph les derniers ». (ver. 2) Esaü s'approche de Jacob et le prend dans ses bras en  pleurant (ver.7).

 

 

Discussion :

1.     Genèse: dans cette section nous allons décrire Rachel et Léa en terme de passivité ou d’activité.

 

a.     chap. 29:1-31 -  passivité. Elles sont pratiquement inactives, elles ne parlent pas, les acteurs principaux sont Jacob et Laban qui décident de leurs sorts et s'expriment à leur égard. On ne décrit que leur physique et rien ne révèle leurs traits de caractère.[46]

 

b.     Chap. 29 : 32 - Chap. 30 :  24 – activité. Dans ces versets elles commencent à agir. Léa nomme ses enfants, tout en expliquant les raisons pour lesquelles elle a choisi ces noms. Rachel exprime sa jalousie envers sa sœur féconde, et par sa réclamation (תביעה) à Jacob de lui faire un enfant. Rachel et Léa livrent leur servante à Jacob et nomment également leurs enfants. Ensuite, dans la scène des mandragores on découvre pour la première fois un élément de leur relation et . Oon apprend ce que ressent Léa pour Jacob, quand lorsquelle reproche à Rachel de s’être emparé de son mari. Elles sont Leur activité se manifeste égalementes dans la volonté de Rachel d'avoir quelque chose qui ne lui était pas attribué. Aussi, les deux sœurs ont le pouvoir de décider avec qui Jacob passera la nuit. Dans ce passage, c'est donc plutôt Jacob qui subit une activité. Elles nomment ensuite de nouveaux enfants.

Il semble qu’au début de cette partie, elles sont actives en tant que 'Mères' car toute leur activité tourne autour des enfants. Ce sont les enfants qui les ont fait parler. Dans la suite du passage et en particulier dans la scène des mandragores, Léa est mère mais aussi femme. Quant à  Rachel, on ignore son statut, car on ne connaît pas la raison pour laquelle elle voulait les mandragores. On peut remarquer, en revanche, qu'elle est capable de d’abandonner Jacob à sa sœur pour pouvoir accéder à ce qu’elle veut.

 

c.      Dans les versets 30:25 – 31:18, elles sont passives. Jacob agit en décidant du sort de la famille. Elles sont d'accord avec lui et l'approuvent dans la décision concernant leur sort.

 

d.     Dans les versets 31:19 et 31:35, Rachel est active : c’est elle qui vole les statuettes sans que l'on sache vraiment pourquoi. Elle ment avec ruse à son père quand il les cherche.

 

e.     Dans les versets 31:36 – 33:7 elles sont passives. Tandis que Jacob est le héros en avant de la scène, qui décide et agit elles restent à l’arrière plan. Elles subissent l'activité de Jacob, au moment du partage familial avant la rencontre avec Esaü.

 

2. Genèse 35:16-23

 

On raconte la mort de Rachel qui s'est produite en accouchant de Benjamin entre Béthel et Ephrath. Elle a des difficultés en accouchant et la sage-femme lui dit de ne pas être inquiète car c'est un fils qui arrive. Au moment de sa mort, elle l'appelle Ben-Oni. Mais Jacob le nomme Benjamin. Rachel est enterrée sur le chemin, et Jacob place un monument sur sa tombe.

 

[47]Avant sa mort, Rachel nomme son fils comme elle l’avait fait auparavant avec ceux de sa servante et Joseph. Dans ce cas cependant Jacob change son nom, sans que l'on sache véritablement pourquoi.

 

3. Genèse 48:7

 

Avant sa mort en Égypte Jacob parle à Joseph, le bénit et parle de lui-même en disant « Pour moi, quand je revins du territoire (d'Aram), Rachel mourut dans mes bras ("מתה עלי רחל") au pays de Canaan, pendant le voyage, lorsqu'une kibra de pays me séparait encore d'Ephrath, je l'inhumai là, sur le chemin d'Ephrath, qui est Bethléem ». Jacob continue à bénir les enfants de Joseph.

 

 

4. Genèse 49:31

 

A la fin de la bénédiction à ses douze fils, Jacob les regroupe et leur explique qu'il faut qu'il soit enterré avec ses ancêtres, dans le territoire de Makhpêla au pays de Canaan. « Là furent enterrés Abraham et Sara son épouse; là furent enterrés Isaac et Rébecca son épouse, et là j'ai enterré Léa. »

 

Léa est passive, on mentionne l'endroit de son enterrement, et aussi que Jacob veut être à côté, comme ses ancêtres.

 

 

Genèse – conclusion :

Dans la Genèse, beaucoup de choses ne sont pas exprimées clairement. Des actes dont on ne comprend pas la motivation sont accomplis. Le vol de Rachel, les yeux de Léa, la scène des mandragores, la nuit de noces pendant laquelle Jacob n’a pas vu avec qui il était sont autant d’énigmes qui restent inexpliquées. Ce sont sur ces sujets que l'exégèse va se pencher.

 

Par ailleurs, nous avons remarqué qu’ une rupture existait entre la Genèse et le reste des livres de la Bible. Dans la Genèse, on raconte l’histoire des deux matriarches vivantes. leurs proches font référence à elles. Dans les autres textes, ce sont les autres générations qui s’expriment à leur sujet.

 

5. Samuel A 10:2

 

Le tombeau de Rachel est mentionné comme un point de repère: Samuel dit à Saül « Tu rencontreras près du Tombeau de Rachel, à Celçah, près de la frontière de Benjamin, deux hommes... »

 

On a juste des informations sur le lieu où est enterrée Rachel, et on peut voir qu'il est assez connu, car Samuel s’y réfère sans expliquer où il se trouve. Est-ce le tombeau un point de repère à cause du statut privilégié de Rachel ? C’est possible, mais il est possible également que le tombeau a été connu puisqu’il était situé dans un lieu de passage important. D’après le texte, nous ne savons pas qu’elle possibilité est la correcte.

 

6. Isaïe 53:7

 

Le prophète Isaïe parle au peuple et dit « Maltraité, injurié, il n'ouvrait pas la bouche; pareil à l'agneau qu'on mène à la boucherie, à la brebis silencieuse devant ceux qui la tondent, il n'ouvrait pas la bouche ».

 

Le mot ‘Rachel’ est un synonyme de brebis. La brebis est décrite comme un animal impuissant et muet en face de ses tondeurs. Il fauderai voir dans quelle source on trouve le mot ‘Rachel’ pour une brebis pour la première fois, et si c'est lié à la Matriarche.

 

 

 

7. Jérémie 31:15-16

 

 Jérémie parle du premier exil à Babylone, au peuple d'Israël. « Ainsi parle le Seigneur: « Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d'amers sanglots. C'est Rachel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus! (16) Or dit le Seigneur, que ta voix cesse de gémir et tes yeux de pleurer, car il y aura une compensation à tes efforts, dit l'Éternel, ils reviendront du pays de l'ennemi. Oui, il y a de  l'espoir pour ton avenir, dit le seigneur: tes enfants rentreront dans leur domaine. »

 

Rachel pleure pour ses enfants. On ne sait pas lesquels car ce n'est pas mentionné. Il semble pourtant qu’on ne parle pas seulement de ses enfants biologiques.

Il reste de nombreuses questions sans réponse à propos de cet extrait : pourquoi Jérémie mentionne-t-il Rachel? pourquoi Dieu parle-t-il à Rachel ici ? Nous ne pouvons que donner notre avis pour tenter de les éclairer. Ce passage semble particulièrement énigmatique en outre, car il y a de nombreux éléments qui n'ont pas d’antécédent, comme le fait que Rachel pleure pour une entité collective 'd'enfants'. Etant donné le contexte de l'exil à l'époque de Jérémie, on pourrait penser que Dieu promet à Rachel le retour de tous les enfants d’Israël en terre promise.

 

En outre, d'après ce que l'on connaît de la Genèse, on ne peut pas bien comprendre pourquoi Rachel apparaît dans ce passage. Les textes bibliques à eux seuls ne suffisent pas à éclaircir ce point. Il faudrait donc aller chercher dans d’autres textes contemporains de la Bible jusqu'à l'époque de Jérémie, si, et comment Rachel est citée. Il est possible que certains textes aient été malheureusement perdus.

Peut-on également comprendre que Rachel a un pouvoir Théurgique, en d’autres termes, le pouvoir d’agir sur Dieu? Est-ce que l'idée que l’on trouve dans la Cabale qui soutient que les larmes ont un pouvoir sur la divinité provient de ce passage[48]?

Les enfants vont-ils revenir grâce aux pleurs de Rachel ? puisqu’il est dit qu'il y aura une compensation à ses efforts (פעולה, en hébreu qui veut dire plutôt, ses actions, ses faits, ses actes)[49].

 

 

 

8. Ruth 4:11

 

Boaz est le racheteur de Elimélec. Il doit donc épouser Ruth la Moabite la femme de Mahlon. Il le déclare publiquement: « Tout le peuple qui se trouvait à la porte et les anciens répondirent: « Nous somme témoins! Que l'Éternel rende l'épouse qui va entrer dans ta maison semblable à Rachel et à Léa, qui ont édifié à elles deux la  maison d'Israël. »

Discussion :

Rachel et Léa sont mentionnées comme Celles qui ont fondé (בנו) la maison d'Israël. On peut considérer cette phrase selon plusieurs sens. D’abord dans un sens assez technique: ce sont les mères des 12 tribus qui constituent le peuple D'Israël[50]. Et ensuite, les mères symboliques dans le sens de matriarches, de paradigmes des mères. Il ne nous semble pas possible de trancher d’après le texte car ce n’est pas précisé.

Nous rencontrons de nouveau quelques questions non résolues : pourquoi parle-t-on d'elles à cette occasion? des informations manqueraient-elles également à ce sujet? Car si pour le peuple, le mariage de Ruth et Boaz est associé à Rachel et Léa, ‘et cela va de soi’, il y a là une trace de connaissance acquise à l’époque mais qu'on ne connaît pas aujourd’hui.

 

B -  Discussion : Rachel et Léa dans la Bible

 

 

Résumons les questions que nous nous sommes posées au sujet des représentations de Rachel et Léa dans la Bible et tentons d’y répondre à la lumière de nos observations.

 

Sont-elles :

 

  1. Des Paradigmes?

Il semblerait que la réponse soit négative dans la Genèse, car on en parle comme les mères fondatrices sans toutefois y attacher un sens exemplaire. Dans le livre de Jérémie, au contraire, Rachel « pleurant pour ses enfants » pourrait être considérée comme une mère paradigmatique.

 

  1. Des Figures ou des personnages?

 

Dans la Genèse elles sont présentées seulement comme des êtres humains, avec leurs défauts et leurs qualités. Elles sont présentées comme deux personnages communs. Dans le livre de Jérémie, Rachel est un personnage maternel, elle garde tous ses traits humains, mais elle dépasse le niveau anecdotique comme elle est liée à un événement général qui dépasse son cadre familial, l’exil.

 

  1. Divinisées?[51] : D’après nos observations, il semble évident que les matriarche ne sont pas divinisées dans la Bible. En conséquence, Rachel ne peut pas être identifiée à la Chekhinah, qui fait partie du monde divin.

 

  1. Ont-elles agi sur le cours de l’histoire du peuple d’Israël d’après la Bible ?

Dans la Genèse : elles agissent sur le déroulement de l’histoire à certains moments. Par exemple, le fait de donner leurs servantes constitue un acte très important pour la formation des douze tribus. Elles sont également actives dans le récit des mandragores.  Leur action à ce moment pourrait être à l’origine de la naissance de Issashar. Nous constatons cependant que ce sont les seuls cas dans lesquels elles ont agi. Ainsi, Jacob paraît l'acteur prépondérant tandis qu’elles restent à l’arrière plan. Dans Jérémie, Rachel agit clairement sur le déroulement de l’histoire, sans qu’on sache le nombre de personnes qu’elle va influencer.

 

Leurs représentations d'après la Bible

           

Rachel est représentée comme une jolie fille. Son père accepte qu’elle se marie avec son cousin, Jacob, mais on ne sait pas ce qu'elle ressent envers lui. Son père change d’avis et marie en secret sa sœur Léa à sa place. On ne sait pas non plus ce qu’elle ressent. Rachel  se marie plus tard avec Jacob, mais elle est stérile et jalouse de sa sœur féconde. Elle conclut un marché avec les mandragores pour avoir des enfants et vole les statuettes de son père pour des raisons inconnues. Dans Jérémie, elle revient sans qu’on ne sache réellement si elle est morte ou si elle est éternelle. Elle dépasse donc la dimension d’une personne humaine.

 

           

 

 

Léa est simplement représentée comme la sœur aînée de Rachel. Elle a des yeux ‘faibles’ et la signification de cet adjectif n’est pas claire. Son père la marie à la place de sa sœur et on ne sait pas ce qu'elle ressent. Jacob l'aime moins que sa sœur, et elle est ‘haïe’.

 



 

Talmud de Babylone

 

 

Dans ce chapitre, nous allons présenter de manière exhaustive les passages du Talmud concernant Rachel et Léa. Le nombre restreint de passages qui les mentionnent nous permet de les rapporter tous. Nous diviserons ce chapitre en cinq parties. Chacune des quatre premières parties rassemblera des passages qui présentent un thème en commun. Les thèmes sont : la mort et l’enterrement de Rachel et Léa, la stérilité de Rachel, la comparaison de Rachel et Léa avec Yaël, la femme de Kénéen Héber, et ‘l’histoire des signes’. La dernière partie contiendra les autres passages dont les thèmes sont variés.

 

Comme dans le cas de la Bible, nous avons cherché à transmettre les textes dans leur intégralité pour que le lecteur puisse les rencontrer lui-même. Nous proposons donc un ‘voyage’ dans ces extraits en les paraphrasant et en les commentant.

 

Dans le Talmud, 18 passages mentionnent Rachel et Léa. Les passages qui mentionnent ‘Rachel’ en tant que brebis, les passages dans lesquels Rachel et Léa sont considérées comme deux femmes quelconques,[52] ainsi que ceux qui mentionnent essentiellement leurs enfants[53] ne sont pas pris en compte.

 

 

A.   La mort et l’enterrement de Rachel et Léa :

 

1.     Erouvin 53a :

Rav et Chmouel discutent de la grotte Makhpéla et se demandent pourquoi elle est « double »[54]. L'un explique qu’il s’agit de deux maisons superposées alors que l'autre affirme que l'une se trouve en face de l'autre.  Cependant, le passage suivant qui est anonyme (stam Gmara) révèle que la notion de dédoublement dérive du fait que des couples y sont enterrés. Rabbi Isaac évoque ensuite la ville Kiriat Arba[55], dans laquelle se trouve la grotte et suppose que l’origine du nom serait associée à la présence des sépultures des quatre couples: Adam et Eve, Abraham et Sarah, Isaac et Rébecca, Jacob et Léa.

 

2.     Sota 13a:

Ce passage décrit l’enterrement de Jacob organisé par Joseph. Au moment où ils parviennent à la grotte Makhpéla, Esaü s’interpose et empêche (מעקב) qu’on y enterre son frère. Esaü se justifie en rappelant que Jacob avait enterré Léa dans sa propre tombe et qu’ainsi, la tombe restante lui revient de droit. On lui répond alors qu'il avait vendu sa part à Jacob et Esaü réplique qu'il lui reste sa part tout simplement’[56]. [57]

 

Dans ces deux extraits, la mention de Léa se limite simplement à la description du lieu de sa sépulture.

Le texte reste cependant obscur au sujet des revendications d’Esaü : veut-il la place de Jacob en qualité de vrai frère aîné ou pense-t-il avoir le droit d'être le mari de Léa[58].

 

 

3.      Sanhédrin 22b:

Dans ce passage il est question de la souffrance qu’un mari peut ressentir quand sa femme meurt avant lui et de la souffrance qu’une femme peut ressentir quand son mari meurt avant elle. « Tana: Un époux ne meurt que pour son épouse, comme il est dit « Elimélec, l'époux de Noémi, y mourut » (Ruth 1,3), et une épouse ne meurt que pour son époux, comme il est dit « Pour moi, quand je revins du territoire (d'Aram), Rachel mourut dans mes bras »  (מתה עלי רחל) (Genèse 48:7).

 

La mort de Rachel est évoquée ici en tant que justification biblique du commentaire talmudique qui décrit la souffrance associée à la mort d'un époux.[59]

 

Conclusion : mort et enterrement de Rachel et Léa :

Rachel et Léa sont très brièvement mentionnées en tant qu’exemple illustratif dans le cadre de la description de la grotte Makpelah, de l’enterrement de Jacob, ou de la souffrance associée à la mort d'un époux. Il est difficile d’accorder un sens profond à leur mention. Nous pouvons ainsi conclure que dans ces passages elles ne sont ni des paradigmes, ni des actrices à part entière. Elles sont simplement citées sans développement particulier.

 

B.   La stérilité de Rachel:

 

Ce passage traite de la fécondation de Rachel et des autres femmes stériles de la Bible à Roche-Hachanna :

 

1.     Roch-Hachannah, 10b, 11a.

 (10b)  Tania Rabbi Eliézer dit:  « A tichri[60], le monde a été créé, à tichri les patriarches sont nés, à tichri les patriarches sont morts, à Pessah Isaac est né, à Roche-Hachanna Sarah, Rachel et Hanna ont été visitées (נפקדו)[61], à Roch-Hachannah Joseph est sorti de prison... ».

(11a) mar Zoutra pose la question : « Comment sait-on qu'elles ont été fécondées à Roche-Hachanna et non pas à un autre moment ? » Rabbi Elazar répond en citant

les versets suivants « le Seigneur se souvint de Rachel » (Genèse 30:22) « et le Seigneur se souvint d’elle (Hanna) » (Samuel I 1:19).  « (Roche-Hachannah doit être une) commémoration par un souvenir » זכרון תרועה)) (Lévitique 23:24).

 

A.Steinzaltz explique[62]  la démarche de Rabbi Elazarcomme un processus de ‘Gzéra Chava[63] qui associe Rachel et Hanna à cette fête grâce à la racine ‘souvenir’(ז.כ.ר)   qui apparaît dans les trois versets.

 

2.     Berakhot 29a:

La phrase suivante est citée au sujet de Hanna : « à Roche-Hachanna Sarah, Rachel et Hanna ont été visitées (נפקדו) ». Dans ce passage, rien n’est dit de plus au sujet de Rachel.

 

3.     Yévamot, 64b:

Une autre citation de cette même phrase est intégrée dans un commentaire sur le droit de divorcer que peut avoir un homme lorsque son épouse est stérile.

 

4.     Taanit, 2a-b:

Rabbi Yohanan dit que les trois clés: clé de pluie, de vie (חיה) et de la résurrection sont dans les mains du Saint béni soit-il et qu’elles n’ont pas été remises au messager ((שליח. Dans le cas de chaque clé, le Talmud cite un verset qui prouve le fait qu’elles sont en possession du Saint béni soit-il.  « Le Seigneur se souvint de Rachel » (Genèse 30, 22) est cité à propos de la clé de vie.

 

Le Talmud cite ici cet extrait concernant Rachel pour prouver que Dieu est seul à contrôler les naissances.[64]

 

 

Conclusion - La stérilité de Rachel :

Dans ces passages, Rachel n’a qu’un rôle secondaire. Elle est mentionnée à l’occasion d’un commentaire sur les femmes stériles de la Bible qui ont pu enfanter à Roche-Hachanna. Ces femmes semblent représenter les paradigmes des femmes stériles. Il semble dans ce passage donc que Rachel ne constitue pas un sujet de préoccupation particulier pour les sages du Talmud.

 

Notons également que cet extrait du Talmud concernant ces trois femmes stériles a été inséré dans le livre de Prières. Depuis, à chaque Roche-Hachanna, il est récité dans les milieux juifs. Son intégration dans les rites ‘courants’ a ainsi permis sa meilleure diffusion. Ainsi, avec Hanna et Sarah, Rachel est perçue comme le personnage type d’une femme stérile qui a pu devenir féconde grâce à l’intervention de Dieu. 

 

C.   Comparaison de Rachel et Léa avec Yaël, la femme de Kénéen Héber:

 

Les trois passages suivants du Talmud font référence à un verset biblique du Chant de la Prophétesse Débora.

 

 

1.     Nazir 23b:

Dans son chant, Débora évoque Yaël qui a tué Sisera: « Bénie soit, entre les femmes (מנשים)  Yaël[65], l'épouse du Kénéen Héber; Entre les femmes, sous la tente soit-elle bénie! » (Juges 5,24). Après avoir cité ce passage, Rav se demande: « Qui sont les femmes de la tente » ? et il répond : Sarah, Rébecca, Rachel et Léa. Rabbi Yohanan déclare ensuite: « Sept fois a possédé (בעילות) ce méchant (רשע) Yaël puisqu'il est dit "A ses pieds, il se tord, il s'affaisse, il succombe"  (Juges 5,27).

 

Quels sont les éléments qui ont conduit Rav à déclarer que les femmes de la tente sont les matriarches ? Le processus d’argumentation qu’il emploemploie est ‘gzéra chava’ sur le mot 'tente'. Ce mot est à la fois utilisé au sujet de Yaël et des quatre femmes. en question etil établit donc un lien entre elles.[66]

 

2.     Horiyot 10b:

Le même passage est cité dans un contexte différent où il est question du Juste qui souffre (צדיק ורע לו). (snas rien dire de plus)[YG1] 

 

3.     Sanhédrin 105b:

Rabba commente un verset du livre des Rrois dans lequel on compare David à Salomon en utilisant la préposition ‘mi’[67] [68]. Rabba Bar Mari s’oppose et dit qu’il n’ait pasest peu probable que dans la Bible, on ait annoncé annoncé à David que Salomon est ‘meilleur que lui’  meilleur que lui[YG2] ,car ce serait car c’est ‘sans politesse’ (דרך ארץ) et qu’en . En réalité, on lui a annoncé qu’il est comme (מעין) Salomon. Raba Bar Mari propose un sens similaire à la préposition ‘mi’ du mot mi nachim de l’extrait du chant de Déborah.

 

Ce que Nnous comprenons ainsi desles commentaires dites de Raba Bar Mari : est que dans le chant de la prophétesse, Yaël sera est « comme » les autres femmes matriarches et n’est pas considérée pas meilleure qu’elles,, puisque c’est e imn’est pas poli de parlerde s’exprimer ainsi à leur égard ainsi des quatre femmes.

 

 

Conclusion: la comparaison de Rachel et Léa avec Yaël, la femme de Kénéen Héber. L’interprétation du passage de Sanhédrin nous indique que pour Raba Bar Mari, les quatre femmes ont un statut sur le même pied queéquivalent à celui de   David., pour tousNous en déduisons que selon lui, il est inconcevable de les présenter diminuésamoindries. D’après ce passage, nous ne pouvons pas savoir si ces femmes ont un statut privilégié Puisqu’ellesparcequ’elles sont les matriarches.

 

Le commentaire de Rachi[69] permet d’expliquer le passage de Nazir, qui nous semble incompréhensible. parCependant, il lui ajoute un nouveau sens : le passage de Nazir pourrait être interprété comme une critique à l’égard des matriarches, à l’opposé de Yaël, les matriarches auraient agi par jalousie.[70]

 

Dans ces passages Rachel et Léa n’agissent pas. Les sages du Talmud donnent juste des informations à leur propos. Elles sont surtout citées pour illustrer des thèmes variés du Talmud dans lesquels elles ne jouent pas un rôle central.

 

D.   L’histoire des signes 

 

1.     Baba Batra 123a+b

Le passage de Baba Batra est un passage aggadique assez long qui concerne Rachel et Léa. Ce texte ressemble beaucoup au Midrach Rabba, excépté le début qui reste très 'talmudique' car il introduit l'histoire de Rachel et Léa par une question halakhique. Par la suite, il suit le même ordre que Midrach Rabba. Puisque nous n’avons pas trouvé une conclusion halakhique à la fin de ce passage, nous pouvons conclure que la digression sur Rachel et Léa n’a pas été insérée par souci d’argumentation d’ordre pratique.

Le passage commence par des explications concrètes sur l'héritage d'un territoire dans une famille (נוחלים נחלה). On y explique quels sont les droits de l'aîné et du cadet dans une famille. On y raconte le fait biblique dans lequel le droit d'aînesse, qui revient normalement à Reouben  a été donné à Joseph. Le texte talmudique invoque la raison suivante : comme Reouben « avait profané la couche de son père, son droit d'aînesse fut attribué aux fils de Joseph » (Croniques I 5,1). Le Rabbin Yonathan Rabah corrige cet énoncé et affirme : « en réalité, le droit d'aînesse devait revenir à Rachel mais Léa est passée avant elle avec miséricorde (קדמתה לאה ברחמים)  . Grâce à l’humilité (צניעות) de Rachel, le Saint béni soit-il lui a rendu son droit d'aînesse. Il est écrit ensuite que ses yeux étaient « faibles » (Genèse 29:17) ‘rakhot’ (רכות). Selon Rav, le mot ‘faibles’ évoque une connotation positive plutôt que négative, car Léa a entendu que « ‘le grand’ (fils) de Rébecca se mariera avec ‘la grande’(fils) de Laban et ‘le petit’ avec ‘la petite’. » Elle s'est renseignée sur le grand autour d’elle (בפרשות דרכים) et a entendu dire qu’il était ‘méchant’, comparé à son frère plaisant. « Elle a donc pleuré jusqu'à ce que ses cils soient tombés ». Rav continue « Il est écrit[71] qu'elle était « haïe ». mais n’entendons pas réellement ‘haïe’, car cette expression est employée pour désigner les bétail impur  ( בהמה טמאה)et non les Justes. » Rav détaille son explication : « le Saint béni soit-il a vu qu’elle haïssait les gestes d'Esaü et il a ouvert son sein. ». Il décrit ensuite la « discrétion » de Rachel en racontant l’histoire des signes (סימנים) : Rachel a fait comprendre à Jacob que son père était un imposteur[72]. Jacob a donc transmis des signes à Rachel[73]. Cependant, Rachel les a dévoilés à Léa. On peut même en trouver la preuve puisque Jacob n’a découvert que le lendemain matin (de la nuit de noce) la véritable identité de sa femme.

 

Ce passage indique que les droits d'aînesse devaient revenir au fils de Rachel, puisqu’elle avait été désignée comme la première femme de Jacob. Son fils devait donc être l’aîné. Ses droits ont été cependant donnés au fils de Léa car elle a pleuré pour ne pas être la femme d'Esaü. Elle s'est ainsi mariée la première avec Jacob et c’est son fils qui est devenu l'aîné. Mais, grâce à sa bonne action discrète (צניעות), le droit d’aînesse est revenu à Rachel et a été transmis à son fils Joseph.

 

Dans ce passage, l’histoire de Rachel et Léa nous paraît occuper le centre de la discussion. Les thèmes sont développés à la manière du Midrach. Les deux sœurs sont ici comme des personnages présents qui occupent une place centrale dans le récit. Elles sont actives et ont clairement modifié le cours des événements. Elles sont montrées comme deux femmes puissantes mais rien n’indique qu’elles pourraient être considérées comme des paradigmes.

Ce sont des femmes révoltées qui changent la réalité. L'une prend un mari qui ne lui était pas destiné à l'origine, l'autre prépare un plan de défense mais cède par humilité. En revanche, elles sont représentées comme des personnages, puisqu’elles ne dépassent pas le niveau humain. 

 

2.     Méguila 13b 

Le thème étudié dans ce passage est le rouleau d’Esther. Rabbi Elazar dit d’Esther qu’elle était discrète(צנועה)  parcequ’elle est une descendante de Rachel, elle-même très discrète. Il le démontre en racontant l’histoire des signes qu’elle a transmis à Léa par discrétion/modestie. En effet, elle ne voulait pas que sa sœur soit humiliée lorsque Jacob découvrirait son identité[74].

 

A l’opposé de Léa qui est passive Rachel est active. Elle est ainsi vue sous un angle très positif, elle refuse que sa sœur soit humiliée. Elle a apparemment changé le cours des événements car si elle n’avait pas donné les signes à Léa, Jacob ne l’aurait pas épousée, en découvrant le subterfuge. Elle a donc agi en faveur de Léa et à l’encontre de Jacob qu’elle a trahi.

 

 

Conclusion - l’histoire des signes 

Ces deux textes sont les seuls passages du Talmud dans lesquels le thème des signes ainsi que la notion de « discrétion » de Rachel apparaissent.

L’adjectif  ‘discrète’ nous semble énigmatique, car l’acte de Rachel paraît plutôt provenir d’un sentiment de pitié ou fidélité vis-à-vis de Léa. Nous avons consulté le Dictionnaire Arukh haChalem,[75] pour le mot ‘tsniout’ : « qui fait de bonnes actions en cachette et avec modestie ». Dans le dictionnaire Jastrow au mot ‘tsniout’, le passage du Talmud qui nous intéresse est justement rapporté pour illustrer ce mot. Il est traduit par ‘discrète’. A notre avis, le sens du mot ‘tsniout’ ne permet pas de rendre ce passage intelligible. La discrétion est présentée ici comme une valeur positive.

 

E.   Passages contenant des thèmes divers:

 

1.     Bérakhot (1):

Rabbi Yohanan  rapporte les paroles de Rachbi : « depuis le jour de la création du monde, la première personne qui a appelé Dieu 'Adonai' (אדני) était Abraham ». Il ajoute que « depuis le jour où le Saint béni soit-il a crée le Monde, personne ne l’a remercié jusqu'à la venue de Léa qui, elle, le remercie : » Pour le coup, je rends grâce à l'Eternel » (ותאמר הפעם אודה את ה')(Gen 29,35) »[76]

 

Léa est considérée comme une pionnière: elle est le premier personnage biblique qui remercie Dieu. Elle est présentée comme un personnage remarquable, et est même comparée à Abraham, parce qu’elle a pour la première fois au monde, remercié Dieu. Rien n’indique pourtant qu’elle est représentée comme un paradigme.

 

2.     Bérakhot 16b:

Le passage pose la question suivante : pour quelle raison existe-t-il trois patriarches (אבות) et quatre matriarches (אמהות)? on répond dans le Talmud: « Si tu disais qu'on ne sait pas si on vient de Réouben ou de Chimeon, et c'est pour ceci qu'on ne peut pas dire Reouben (אבינו) notre père, on ne sait pas non plus si l’on vient de Rachel ou de Léa. Mais la raison pour ce nombre est que jusqu'ici ils sont importants et à partir de maintenant, non ».

 

Ce texte indique que Rachel et Léa appartiennent à la lignée des matriarches. La raison invoquée pour justifier le nombre de trois patriarches et quatre matriarches est que ces personnes sont plus importantes que les autres personnages bibliques.

 

 

3.     Bérakhot 60a:

Le sujet de la discussion talmudique suivante est de définir à quel moment une prière devient-elle vaine (תפילת שוא).

Dans le Talmud on cite une affirmation de la Michna : la prière d’un homme dont la femme est enceinte : « pourvu qu'elle accouche d’un garçon » est une prière vaine ('אמר יהי רצון שתלד זכר') [77]. Le Talmud s’oppose ensuite à cette affirmation : un ‘souhait de miséricorde’ ne pourrait-il pas aider le choix du sexe de son enfant?. Rav Yossef cite « Plus tard[78], elle enfanta une fille, et elle la nomma Dina » (Gen 30,21). Il se demande alors quel est le sens de ‘ensuite’. S’il signifie ‘après’, la question que l’on peut se poser est : « après quoi » ? Rav dit: « Après s’être, elle-même, jugée et condamnée (דנה דין), Léa enceinte a annoncé: « de Jacob vont naître les douze tribus; j’en ai enfanté déjà six (d’entres elles), les servantes en ont enfantés quatre : en voici donc dix. Si j’enfante un garçon, ma sœur Rachel comptera moins que les servantes (car elle aura moins d'enfants qu'elles). (Son bébé) s’est aussitôt transformé en fille « et elle la nomma Dina » (Genèse 30:21) (Dina du mot Din) ». Le Talmud ajoute de manière énigmatique « on ne mentionne pas un miracle »[79].

Ensuite,  Rav indique que Léa était au quarantième jour de sa gestation. La Braïta est alors citée : pendant les trois jours qui suivent la fécondation (מזריע), on peut demander miséricorde pour que rien ne s’abîme. Entre le 3ème et le 40ème  jour, on peut demander miséricorde afin que l’enfant soit de sexe masculin (זכר). Rabbi Isaac enchaîne[80] : « c’est au moment de la création que le sexe du nouveau né est fixé. Si l'homme jouit (מזריע) le premier, sa femme accouche d’une fille. Si au contraire, la femme jouit la première, elle accouchera d’un garçon »[81].

On ajoute alors que ce n’est que lorsqu’ils jouissent en même temps, que l’on peut prier pour choisir le sexe de l’enfant. On conclut que l’histoire de Léa correspond à cette situation particulière[82].

 

 

Ce passage nous paraît exceptionnel car Léa agit et modifie le cours des choses à tel point que le Talmud qualifie ses actes de miracle. Un fait incontestable dans ce passage est que Léa a pu changer le sexe de son bébé. Elle l’a fait afin de protéger le statut de sa sœur. Comment peut-on expliquer ce changement de sexe? Trois possibilités sont ainsi proposées dans le Talmud:

1.     C’est un miracle et Léa possède des pouvoirs spéciaux et uniques.[83]

2.     L’acte de Léa se limite à une bonne action purement humaine  (מצווה)  .

a.      Elle a prié avant le 40ème  jour de la grossesse, où il est encore possible de changer le sexe.

b.     Elle a joui en même temps que Jacob et donc le sexe de l’enfant a pu être modifié par une prière qui n’a pas été vaine. [84]

 

 

4.     Bérakhot 8b  :

Ce passage concerne l’épisode dans lequel Jacob a appelé Rachel et Léa pour leur parler de la fuite possible de Laban. Les deux matriarches sont mentionnées afin de donner un exemple de comportement exemplaire, de ce qu’il faut faire lorsqu’on  demande conseil à quelqu’un. De fait, Jacob les a appelées au champ, loin de toute personne.

 

5.     Erouvin 100b:

Les paroles de Rabbi Chémouël bar Nahamani sont rapportées par Rabbi Yohanan : « Toute femme qui exige de son mari de faire l'amour par la chose requise (תובעת בעלה לדבר מצווה) , aura des fils dont l’excellence dépassera même celle des personnages de l’époque de Moïse ». Au sujet de Léa nous pouvons ensuite lire: « (Gen 30,16) Léa sortit à sa rencontre et dit: « c'est à mes côtés que tu viendras, car je t'ai retenu pour les mandragores ». Le Talmud cite alors le verset de Chroniques I, 12:32 qui mentionne les fils de Issahar, le fils de Léa conçu cette nuit-là comme 'ceux qui connaissent l’intelligence’ ) (יודעי בינה. On demande dans le Talmud est-ce que c'est ainsi ?[85]. Rav Itshak bar Avdimi répond que la femme suggère (donc ne force pas la volonté de l’autre) tandis que l'homme exige. Rav Itshak bar Avdimi approuve cette vertu chez les femmes.[86]

 

Ce passage traîte d’une contradiction. La contradiction est le droit qu’ont les femmes, et non les hommes d’exiger une relation sexuelle. Léa est présentée au début, comme une femme qui exige de son mari d'avoir des rapports sexuels.  Elle est donc perçue favorablement en raison des conséquences positives que son acte a entraîné pour son fils Isashar. Ensuite, le Talmud formule une objection en se demandant si la femme a bien le droit d’exiger ? Rav Itshak bar Avdimi répond qu’en réalité Léa n'a rien exigé ouvertement, mais qu’elle a simplement suggéré et a fait comprendre son désir à Jacob puisque « les femme font sentir, elles s’expriment plus allusivement, elles parlent avec le cœur tandis que l'homme s’exprime plus directement, avec la bouche ».

 

Léa est mentionnée à titre d’exemple destiné à soutenir l'argument de Rabbi yohanan. Elle illustre le caractère positif des femmes qui exigent des relations sexuelles à leur mari. Contrairement au passage sur Dina où elle a changé la réalité, ici elle est seulement utilisée pour soutenir un argument.

 

Cette représentation talmudique de Léa doit être notée et constitue une information importante pour la suite de notre travail. Dans le Talmud, Léa a exigé de Jacob un rapport sexuel. Dans la Genèse, au contraire,  rien n’est dit à ce sujet.

 

Léa apparaît également dans ce passage d’une manière fonctionnelle, elle constitue un exemple avec une finalité bien précise. Sa personnalité et ses actes ne sont pas décrits.

 

 

6.     Méguila 10b (28):

La rencontre entre Rachel et Jacob est présentée en tant qu’une illustration d’une discussion de versets comportant le mot 'vayehi' (ce fut ) (ויהי).

deux interprétations sont proposées au sujet du sens de ce mot:

a.      Rabbi Lévi indique que les versets qui comportent ce mot ont un sens négatif et évoquent la tristesse (לשון צער).

b.     Une Tania[87] est citée où il est écrit qu’il y a des passages dans lesquels ce mot apparaît, mais sans un sens négatif. On cite alors un verset dont le sens est positif : la rencontre entre Jacob et Rachel.[88]       

 

Le verset de la rencontre entre Jacob et Rachel montre que le mot ‘vayehi’ peut avoir un sens positif. On peut donc en inférer que leur rencontre est positive. Rien de particulier n’est mentionné à propos de Rachel.

 

F. Discussion : Rachel et Léa dans le Talmud

 

Rachel et Léa ne constituent pratiquement jamais[89] un sujet de discussion en soi. Elles ne sont mentionnées que brièvement et d’une manière fonctionnelle. Le Talmud ne cite que l’élément qui concerne l’argumentation générale, sans montrer la richesse de toute l'histoire biblique qui ne représente pas son objectif principal. Les deux matriarches sont essentiellement destinées à illustrer les commentaires pratiques du Talmud. En effet le Talmud est un ouvrage halakhique qui traite surtout de points pratiques et non aggadiques.

Cette manière de les présenter ne les rend pas très intéressantes dans le sens où leur représentation n’est pas richement définie. Elles restent donc avec des traits de caractères qui ne sont pas développés.

 

Etonnement, il nous semble que malgré rôle fonctionnel qu’elles ont dans le Talmud, il comporte une grande variété de sujets, de questions et d’histoires à leur égard. De fait, on aurait pu s’attendre à une moins grande variété thématique.

Qu’est ceci observations peuvent nous apprendre au sujet de Rachel et Léa ?

Une hypothèse est que les auteurs du Talmud avaient une vision très riche de Rachel et Léa. Mais cette vision n'a pas été développée dans le Talmud en raison de son objectif halakhique. On peut donc se demander si chaque sujet mentionné n’était pas une ‘porte’ qui s'entrouvrait sur la richesse d’un univers à part entière chez les Talmudistes.

On peut certainement affirmer que les deux matriarches sont bien ‘vivantes’ dans le Talmud dans le sens où elles sont souvent mentionnées. Nous pensons qu’elles sont souvent choisies en tant qu’exemples illustratifs en raison de leur présence constante dans l’univers imaginaire des auteurs.   

 

 



MIDRACH

 

A - MIDRACH RABBA

 

 

Le Midrach Rabba est un grand corpus de textes écrits et rassemblés à différentes époques. Il consiste en une compilation de paroles de sages dont l’éditeur reste encore inconnu. Il fait partie des midrachim aggadiques qui sont plutôt narratifs et dont la finalité n’est pas d’énoncer des obligations religieuses. Ils ont comme but principal de comprendre la Bible. Leur structure est assez libre dans le sens où ils peuvent contenir des contradictions et des explications écrites à des époques diverses. Ils ont recours à des proverbes, des paraboles et des histoires populaires pour éclaircir un passage biblique. [90] Les Midrachim halakhiques pourraient être considérés comme le domaine de ‘divertissement’ des sages qui étudiaient en même temps la Halakhah sérieusement. Ils y étaient plus libres de s'exprimer.

 

Les Midrachim aggadiques en général, et en particulier le Midrach Rabba, sont considérés comme plus accessibles et plus populaires que le genre halakhique. Cependant, A.Shinan qui définit la littérature populaire comme celle qui répond à trois condition : « une littérature qui est transmise oralement d'une génération à l'autre par la société entière »,[91] pense que le la littérature aggadique n’est pas strictement populaire. En effet, bien que les exégèses juives ont été écrites pour la société entière, cet auteur pense que les couches populaires ne passaient probablement pas leur temps à se citer des passages des midrachim. D’après lui, ces histoires étaient plutôt transmises par des sages, des professeurs et des ‘darchanim’[92] à l’ensemble de la population.[93]

 

 

1.    Méthode midrachique

Le Midrach traite des passages de la Bible dans les situations où:

  1. Une contradiction est apparente entre des passages de la Bible.
  2. Un mot n’est pas clair.
  3. On ne comprend pas pourquoi certains faits ont eu lieu dans la Bible.

 

Puisque d’après le Midrach, la Bible provient d’une source divine, chaque problème apparent doit être le résultat de l’incompréhension du lecteur. C’est donc à lui de faire l'effort de compréhension pour rendre ce texte intelligible et cohérent. L’étude du Midrach est d’autant plus complexe que les questions qu’il se pose dans son interprétation de la Bible sont implicites. [94]Par exemple, lorsqu’il est dit dans la Genèse « Léa est haïe », le Midrach s’interroge sur le sens de cet adjectif. Dans ce cas bien précis, on peut imaginer d’après les réponses qu’il propose, que les questions posées sont : Dans la Bible, Léa est-elle véritablement ‘haïe’ ? et dans l’affirmative, pourquoi ? Comment est-il possible qu'une matriarche soit haïe alors qu’elle est la mère fondatrice d'Israël?  Plusieurs interprétations sont alors proposées:

  1. Elle n’est pas haïe mais au contraire, elle hait les faits de Esaü, qui lui-même est haï.
  2. Ce sont les anges qui la haïssent parce que son descendant va causer la mort de nombreuses personnes. (Midrach Tanhouma)
  3. Elle est haïe par par Jacob car elle lui a menti (Genèse Rabba (GenR.) 72:2).
  4. Elle est haïe parce qu’elle était stérile (GenR. 71:1).

 

Ainsi, les possibilités coexistent sans forcement être cohérentes entre elles. Elles nous enseignent les différentes manières d’aborder la question. La diversité des points de vue peut également refléter le fait qu’ils aient été donnés par différentes personnes à la même ou à différentes époques.

 

Le Midrach Rabba s’est penché sur tout le pentateuque, et sur les cinq rouleaux de la Bible[95]. GenR est l’un des livres qui composent le Midrach Rabba.[96]  Sa rédaction définitive a dû avoir lieu au 5ème siècle en Israël[97]. La plupart des passages sur Rachel et Léa se trouvent dans ce livre, ce qui est compréhensible puisqu’il traite de la section ‘vayétsé’ de la Bible qui contient, comme l’on a vu, leur récit principal.

 

2.    Exemples de passages classés par thèmes[98] :

Le nombre de citations de Rachel et Léa est beaucoup plus élevé dans le Midrach Rabba que dans le Talmud. De fait, une centaine de passages différents les mentionnent. En outre, dans la plupart d’entre eux, beaucoup de discussions sont consacrées à Rachel et Léa. Donc ici, quantitativement, il y a plus de ‘matière’ à leur sujet. Ainsi, présenter et analyser exhaustivement les passages qui les mentionnent ne sera pas possible dans ce travail car cela mériterait une étude à part-entière. De plus, il n'est pas sûr que cela pourrait être utile pour notre recherche. De fait, nous serions noyés par des détails sans pouvoir discerner les idées principales.

 

a.     La rencontre entre Jacob et Rachel 

 

  1. GenR 70:10[99]

Le verset biblique qui décrit l’arrivée de Rachel au puits est cité : «  et voici Rachel, sa fille (de Laban), qui vient avec son troupeau » (Gen. 29:6). Ensuite, sans aucune explication, on cite le verset du livre de Jérémie qui concerne Rachel « Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d'amers sanglots. C'est Rachel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus! » …(31 :14).

 

  1. GenR 70:11

Le verset de l’arrivée de Rachel est cité à nouveau. Les exégètes expliquent que les bergers ont signalé à Jacob l’arrivée de Rachel car ils voyaient que Jacob cherchait à bavarder. Il pouvait ainsi bavarder avec elle car les femmes sont bavardes.[100]

 

  1. Exode Rabba 1:32

Le verset de l’arrivée de Rachel est à nouveau cité sans commentaire dans le cadre d’une discussion sur les filles de Jéthro.

 

  1. GenR 70:12

Il est dit que tout baiser est vain (נשיקה של תיפלות). Trois sortes de baisers cependant ne le sont pas : « baiser de grandeur, baiser de rencontre et baiser de départ ». Rabbi Tanhouma ajoute le « baiser de proximité » dans la liste des baisés non vains. Pour l’illustrer, il cite le baiser de Jacob à Rachel (Gen. 29:11).

Ensuite, on se demande pourquoi Jacob a pleuré après avoir embrassé Rachel. Trois réponses sont ainsi proposées:

a. Il est venu avec les ‘mains vides’, contrairement à l'esclave d’Isaac qui est venu avec beaucoup de cadeaux.

b. Il a ‘vu’ (ראה) que Rachel ne serait pas enterrée avec lui.

c. Il avait peur que les gens qui l'ont vu embrasser Rachel, disent qu'il a commis un adultère.

 

Jacob occupe seul le centre de ces passages. Rachel reste muette et bien que présente, elle est décrite comme un personnage passif. Le Midrach Rabba n’a pas inventé ce type de représentation : il reste tout à fait semblable à celui de la Bible. Le Midrach Rabba n'a pas cédé plus de place à Rachel qu'elle en avait auparavant.

 

b.    Le vol des statuettes de Laban par Rachel 

 

  1. GenR 74:5

 On déclare que Rachel a volé les statuettes de Laban car elle ne voulait pas que son père « travaille les idoles » (עובד אלילים) .

 

  1. GenR 74:9, GenR 74:4, Lévitique Rabba 37:1, Qohélét Rabba 5:1

Dans ces quatre passages, on raconte que Laban cherche ses statuettes. Jacob qui n’était pas au courant du vol commis par Rachel, déclare que personne ne les a volés dans son camp et jure que si c’était le cas le coupable mourrait. Le vœu (נדר) de Jacob s’accomplit et Rachel meurt.

 

Un seul passage parmi les cinq parle réellement de Rachel (GenR 74:5). Les autres décrivent surtout des conséquences du vœu de Jacob. Dans ceux-ci, bien que Rachel ait volé les statuettes, les discussions portent essentiellement sur Jacob. Le vœu de Jacob est mis en avant de la scène, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce qu’ils parlent principalement de Rachel. Il est suggéré que le vœu de Jacob ait causé la mort de Rachel. Le Midrach Rabba ne rentre pas dans l'âme de Rachel pour la comprendre. Au contraire, il ‘détourne le regard’ plutôt vers Jacob afin de fournir des explications à son sujet.

 

c.     La mort de Rachel 

 

  1. GenR 74:4 

On explique que Rachel est morte parce qu’elle a répondu à Jacob avant Léa, bien qu'elle soit la cadette. On se base sur le verset suivant : « Pour réponse, Rachel et Léa lui dirent » (Gen. 31:14) on explique On explique également sa mort comme le résultat du vœu de Jacob.

 

  1. GenR 82:7

On évoque la difficulté de Rachel lors de son accouchement de Benjamin en mentionnant que trois femmes sont mortes pendant leur accouchement : Rachel, la femme de Pinhas et Mikhal la fille de Saul. On relate alors l'histoire du choix du prénom donné au nouveau-né.

 

  1. GenR 82:9

On parle également de son lieu d'enterrement. Il est dit que la seule chose que l’on sait, est qu’elle est enterrée sur le lieu où elle est morte. On ne connaît pas l’endroit exact. On cite le passage de Samuel qui mentionne sa tombe.

 

  1. GenR 82:10

On parle de la pierre tombale (מצבה) que Jacob y a déposée. On ajoute à ce sujet que les Justes n'ont pas besoin d'avoir une pierre tombale car leurs paroles sont leurs mémoires. On raconte également que Jacob prévoyait (צפה) que les exilés passeraient à cet endroit et qu’il y a enterrée Rachel afin qu’elle demande miséricorde pour eux.[101]

 

  1. Ruth Rabba 2:7

Ce passage sur la mort de Rachel cite « Rachel mourut dans mes bras » (Gen.48:7). Il illustre que la mort d'une femme est un évènement important pour son mari. C’est le mari qui soufre le plus de sa disparition[102].

 

Dans le passage (GenR 74:4) Rachel est morte parce qu’elle a cherché à dépasser sa sœur lorsque Jacob les a appelées. Ainsi le Midrach trouve dans l’activité et l’autonomie de Rachel la raison de sa mort. Deux commentaires concernent le lieu de sa tombe. Dans l’un, on décrit simplement son emplacement et dans l’autre, on explique pourquoi Jacob décide de l'y enterrer. Ce dernier point nous semble important et nous en discuterons plus loin.

 

d.    "Léa est haïe" (Gen. 29:31) :

  1. GenR 71:1

Le Midrach présente un verset des Psaumes (69:34) « car l’Eternel prête l’oreille aux malheureux, et ses captifs, il ne les dédaigne point.» Il ajoute que « les femmes stériles sont pauvres (עלובות) et enfermées dans leurs maisons », lorsque Dieu les rend fécondes (en les visitant פוקד ), « elles lèvent la tête » (נזקפות). Le Midrach explique que c’est le cas de Léa. Elle était haïe (parce qu’elle était stérile) et lorsque Dieu l’a visitée, elle s'est redressée (elle a pu retrouver sa dignité).

  1. GenR 71:2 

Le Midrach cite « L’Eternel soutient tous ceux qui tombent, et redresse ceux qui sont courbés » (Psaumes 145:14) et ajoute que ce sont les femmes stériles qui « tombent dans leurs maisons ». Le Midrach explique que c’est le cas de Léa. Elle était haïe parce qu’elle était stérile et lorsque Dieu l’a visitée, elle s'est redressée.

Ensuite, le Midrach explique que Léa était haie car elle a « agit comme des personnes haïssables »[103]. Elle devait se marier avec ‘l’homme haï’ (שנוא)[104] et elle a pleuré en priant de ne pas se marier avec lui. Rav Houna explique alors que « la prière qui a changé son sort (גזרה) est dure (קשה)» car elle a fait en sorte que Léa passe avant sa sœur[105]. Le Midrach ajoute que tout le monde la critique סונטים בה)) en disant : « Elle a l’apparence d'une Juste sans en être une réellement, car si elle avait été Juste, elle n'aurait pas menti à sa sœur ». Rav Hanine raconte alors que Jacob, au début, voulait la chasser car il a remarqué qu’elle avait trahi sa sœur. Mais puisque le Saint béni soit-il lui a donné des enfants, il a décidé de ne pas la chasser. Le Midrach continue en précisant qu’à la fin de sa vie, Jacob s’est félicité d’avoir pris cette décision (מודה על הדבר) car il est écrit dans la Genèse : « Israël s'inclina sur le chevet du lit » (ראש המיטה) (47:31). Le chevet du lit était Léa.[106]

 

Ces passages sont assez complexes. Deux interprétations différentes sont proposées pour expliquer la haine de Léa. La première suggère qu’elle était haïe parce qu'elle était stérile, un énoncé qui ne se trouve pas dans la Bible au sujet de Léa mais bien au sujet de Rachel. Dans cette interprétation Dieu est l'acteur principal. Il voit tout et rétablit la situation. Ce ne sont donc pas les actes de Léa qui la rendent haïssable. Une autre interprétation attribue, au contraire, la responsabilité de cette haine aux actes de Léa en mentionnant le rôle de sa prière qui a été très efficace et de son mensonge (מרמה).[107]

 

e.     Rachel et le verset de Jérémie

 

1. GenR 70 :10

La citation du verset de Jérémie est juxtaposée au passage qui concerne sa rencontre avec Jacob, sans y apporter d’explication[108] : « Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d'amers sanglots. C'est Rachel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus! Or dit le Seigneur, que ta voix cesse de gémir et tes yeux de pleurer, car il y aura une compensation à tes efforts, dit l'Éternel, ils reviendront du pays de l'ennemi. Oui, il y a de  l'espoir pour ton avenir, dit le seigneur: tes enfants rentreront dans leur domaine.» (Jérémie 31:15-16)

 

2. GenR 82 :10 [109]

Dans ce passage où l’on parle de la pierre tombale de Rachel (מצבה), il semble qu’il y ait un changement radical dans sa représentation. Jacob prévoyait (צפה) que les exilés passeraient à cet endroit et il y a enterrée Rachel afin qu’elle « demande miséricorde » pour eux. Pour justifier le choix de l’emplacement, on cite le verset de Jérémie. Ensuite, le Midrach affirme que les enfants de Rachel sont le peuple d’Israël.

Cependant on rapporte comme explication de cet énoncé des versets sur Joseph et Ephraïm uniquement[110]. Cette restriction sur Joseph et Ephraïm n’existe pas dans la version de T.Albeck.

 

Rachel dépasse ici son personnage purement humain. Elle devient un être emblématique, une mère collective du peuple entier ou au moins de sa descendance directe. Elle aura un rôle à accomplir lors de son départ en exil. Est-ce dès lors, une figure ? il nous semble qu’il peut s’agir d’une figure puisque sa représentation dépasse une dimension  simplement humaine. Cependant, comme nous le verrons plus tard, cette transmutation est beaucoup moins importante que dans le Zohar. Il n’y a rien dans ce texte qui laisse penser que Rachel a été associée à la Chekhinah. Il se peut plutôt que ce texte largement diffusé ait contribué à associer Rachel à la Chekhinah plus tard.

 

Ces observations soulèvent les questions suivantes :

Pourquoi n’y a-t-il qu’un seul passage dans le Midrach Rabba[111] qui présente Rachel comme une figure? Est-il possible que ce passage ait été ajouté plus tard que la majeure partie du Midrach Rabba ?

Nous suggérons deux réponses à ces questions :

1.     Il se peut qu’une série d’idées évoquant Rachel en tant que mère symbolique ait circulé à cette époque, sans avoir été fixées par écrit. Elles sont donc restées ‘souterraines’ jusqu’à la Cabale qui les a dévoilées au grand jour.[112]

2.     La représentation particulière de Rachel a été conçue par une seule personne sans développement particulier, et peut-être même sans la rendre emblématique pour autant. Cette éventualité est possible car le Midrach est un texte hétérogène qui réuni les pensées de plusieurs sages.

En effet, si Rachel avait un rôle réellement important, plusieurs passages l’auraient indiqué. Ce n'est pourtant pas le cas.

 

 

 

3 . Lamentations Rabba (LamR), Ptihtah 24[113]

Le passage LamR est exceptionnel si on le compare aux autres sur Rachel. Elle y est placée au premier plan et montrée comme un personnage actif. Avec d’autres personnages bibliques, elle plaide en face de Dieu pour qu’il ne soit pas jaloux du fait que le peuple idolâtre d’autres dieux et pour qu’il ramène les enfants d’Israël de l’exil. Elle lui rappèle son histoire personnelle où elle n’a pas été jalouse de sa sœur puisqu’elle lui a transmis les signes qu’elle a convenu avec Jacob. Elle est allée jusqu’à glisser sous le lit de noce en répondant à Jacob à la place de Léa, afin qu’il ne reconnaisse pas la voix de sa sœur. « Eh quoi, moi qui suis chair et sang, poussière et cendre, je n’ai pas été jalouse de ma rivale et je ne l’ai pas réduite à la honte et à l’opprobre, et toi, Roi vivant et existant  [éternellement], miséricordieux, pourquoi est-tu jaloux d’une idole qui n’est rien et as-Tu exilé mes enfants (…) ? Aussitôt le Saint béni soit-il fut pris de pitié et il dit : pour toi, Rachel, je vais faire revenir Israël  à sa place ! comme il est écrit : « Ainsi parle YHVH : Ecoutez, à Rama » (…) (Jérémie 31:15)  »[114].

 

Ainsi,  Dieu décide grâce à Rachel de ramener le peuple exilé en Israël. Ce passage est une histoire développée à partir des versets (31:15-16) de Jérémie. Le Midrach imagine les paroles de Dieu qui ont précédé ce verset biblique. 

 

 Il nous semble difficile que ce passage si différent ait pu être écrit par les mêmes auteurs que ceux du reste du Midrach Rabba[115]. En effet, des recherches témoignent qu’il n’a été rattaché au Midrach Rabba que très tardivement[116] et il l existe encore une vive controverse au sujet de sa date de rédaction. Zunz le date au 7ème siècle, Buber au 4ème siècle et H.L.Strack à la première moitié de 5ème siècle.[117] Si l’hypothèse de Buber est juste, cet écrit est antérieur au GenR (5ème siècle), et représente peut-être des tendances qui ont disparu en peu de temps. Au contraire, si Zunz a raison, cet écrit pourrait refléter une nouvelle représentation de Rachel plus tardive et qui n’existait pas encore dans GenR. Il est également possible que cette ‘ptihtah’ ait été rajoutée après la rédaction de la structure principale du Midrach : « La popularité du Midrach a fait que son texte a été utilisé très librement : on y a même ajouté des passages ou adapté des parties à des traditions parallèles[118] ». Cette ‘ptihtah’  pourrait ainsi provenir d’une autre époque. Toutes ces possibilités sont, bien sûr, des hypothèses auxquelles nous n’avons pas de réponses pour le moment.

 

f.      Comparaison entre Rachel et Léa :

Certains passages comparent Rachel et Léa.

 

1. Ruth Rabba 7:13

On y raconte que Rachel était l’essentiel de Jacob [119](עיקר שלו) car la plupart des gens sont issus de Léa[120].  Les enfants (d’Israël) ont donc pris sont nom (לפיכך נקראו בנים לשמה). Le verset de Jérémie sur Rachel est alors cité. On le commente en expliquant qu’elle pleure pour son fils Joseph et son petit fils Ephraim.

 

2. GenR 73:2

Il est dit que Rachel est la ‘maison’ de Jacob. "מי היה ביתו של אבינו יעקב, לא רחל?!"

 

3. GenR 70:15

On compare les généalogies des deux sœurs et on montre qu’elles sont égales. On commente ensuite le verset « le nom de la grande Léa et le nom de la petite Rachel » (Gen. 29:16). On dit que Léa est « grande en cadeaux : prêtrise pour toujours et royauté pour toujours […]  (Rachel est) petite en cadeaux : Joseph pour un moment (לשעה), Saul pour un moment et Chilo pour un moment ». A.Mirkin explique ce passage[121] : Léa aurait donné des grands cadeaux au peuple d’Israël. Par grand cadeaux, il entend qu’ils vont durer longtemps. Ceux de Rachel vont durer peu de temps. Par exemple, David, le descendant de Léa gardera éternellement la royauté, alors que celle de Saul a été provisoire.

 

4. GenR 84 :5

Il est dit que Jacob est allé chez Laban uniquement pour Rachel (אלא בשביל רחל) car c’est elle qui allait enfanter Joseph qui était si important. Ces passages montrent que bien que Rachel ait gagné l’affection de Jacob, son importance dans le futur n’est pas forcement acquise puisqu’une rivalité entre les deux sœurs persiste. Tandis que Léa a laissé une plus nombreuse descendance, l’influence de Rachel s’est manifestée d’une manière plus qualitative. Cette rivalité prendra une couleur différente dans la cabale.

 

g.     Autres mentions de Rachel et Léa

Notons également que Rachel est mentionnée à d’autres occasions que celles qui ont été décrites plus haut. Nous allons les citer brièvement.

- (GenR70:16) : Rachel est montrée comme très belle. On éprouve même le besoin de dire que sa beauté n’était pas sa seule qualité.

 - (GenR71:6) : sa stérilité sert d’exemple pour illustrer que les femmes stériles appartiennent aux quatre catégories de personnes « considérées comme morts »  (ארבעה חשובים כמתים).

- (GenR 71 :6) : Rachel est jalouse des bonnes actions de sa sœur qui lui ont permis de devenir féconde.

- (GenR 73 :4) : Dieu s’est souvenu de Rachel (l’a rendu féconde) parce qu’elle a cédé sa place à Léa en se taisant.

- (GenR 72:6) : lorsque Léa était enceinte, la prière de Rachel a changé le sexe du bébé de sa sœur qui a accouché d’une fille[122].

- (GenR 72 :3) : la descendance de Rachel est aussi silencieuse qu’elle (GenR 71:5, Esther Rabba 6:12). Elle a gagné des mandragores et a perdu les tribus qu’elle aurait pu enfanter ou le privilège d’être enterrée avec Jacob.

- (Nombres Rabba 15 :12) : Rachel est une épreuve (צרה) parmi d’autres (joseph, Dinah, Esaü) que Dieu a fait subir à Jacob pour le tester.

 

En ce qui concerne Léa, on mentionne également :

- (GenR72 :3) : puisqu’elle a remercié Dieu, sa descendance le remercie également 

- (GenR 71:5) : elle a perdu les mandragores et gagné les tribus ou sa sépulture à coté de Jacob.

 

3.    Discussion, Midrach Rabba  

 

Nous avons remarqué que les mentions de Léa restent cantonnées dans le cadre de la Genèse, tandis que celles Rachel en sortent. En d’autre termes, Rachel est mentionnée dans des passages qui ne concernent plus la Genèse. Par exemple, on l’évoque dans un passage qui cite le livre d’Isaï (dans lequel elle est silencieuse comme une brebis) et  dans un passage qui cite le livre de Jérémie.

 

Le Midrach Rabba ne mentionne absolument pas de la mort de Léa. Il en est de même dans la Bible. Au contraire, le Midrach Rabba parle beaucoup de celle de  Rachel, il lui consacre même plus de place que dans la Bible. L’omission d’un sujet par un texte peut nous livrer beaucoup d’informations[123]. Ainsi, ce silence au sujet de la mort de Léa reste conforme à celui de la Bible. Cependant, il peut également apprendre que ce passage n'était pas énigmatique pour les auteurs du Midrach Rabba. Dans le cas contraire, ils en auraient parlé.

Le fait qu'on parle beaucoup d’un passage biblique constitue non seulement une prolongation de la tendance biblique, mais reflète aussi la volonté des sages du Midrach Rabba d’insister particulièrement sur un sujet.

 

En travaillant sur les passages du Midrach Rabba concernant Rachel et Léa, notre regard sur le texte a changé. Au début, nous avons pris un grand intérêt à lire ces textes. Une fois le classement des passages par ordre thématique et la première lecture achevés, les textes nous ont paru plus fades. Il nous semble que ce changement d’attitude vis-à-vis des textes mérite d'être expliqué. En comprenant ce changement, on pourrait peut-être mieux comprendre la nature de la représentation de Rachel et Léa dans Midrach Rabba.

Comme nous l’avons fait remarquer, nos deux ‘héroïnes’ ne constituent pas le centre d'intérêt des auteurs. En effet, elles y sont tenues à l'ombre, passives et souvent muettes. Nous pensons que cela reflète le peu d’intérêt que les exégètes leur témoignaient, relativement aux patriarches. La représentation de Rachel et Léa dans le Midrach est donc assez pauvre. Elles restent 'sans visage' et ne dépassent pas leur représentation biblique. Ces images simples, sans envol sont d’un intérêt limité.

 

Ch. Mopsik propose une explication à la simplicité de leur représentation dans le Midrach Rabba. Il pense que cela provient d’une gêne, d'un tabou de parler d'elles. Ce tabou aurait été levé plus tard dans le Zohar. Cette hypothèse s’insère dans une vision plus générale qui suggère que le Zohar ait brisé de nombreux tabous.

 

En outre, les commentaires du Midrach sur Rachel et Léa ne nous offrent pas de lectures et compréhensions nouvelles. La quête des quatre niveaux de lectures qui se trouve dans la Cabale ne semblait pas exister. Le contenu des passages à leur égard apparaît plutôt comme une légende morcelée.[124] Ainsi, lire et relire ces passages peu devenir lassant.

 

En nous interrogeant sur l’activité de Rachel et Léa nous avons pu faire émerger un caractère qui a éclairé leur représentation. Nous avons remarqué qu’elles ne sont pas montrées comme des personnages actifs dans le Midrach Rabba. Dix passages seulement, les décrivent actives. Six d’entre eux indiquent qu’elles ont réellement changé le cours des événements[125]. Le petit nombre de passages dans lesquels elles sont actives comparé au grand nombre de leurs citations nous paraît donc significatif et renforce l’idée que le Midrach Rabba les considère comme des personnages secondaires.

 

Il semblerait d’après l’étude de l’ensemble des passages du Midrach Rabba, que la représentation de Rachel et Léa reste semblable dans le Midrach et dans le Talmud. Les acteurs principaux, qui agissent et changent le cours des événements sont exclusivement des hommes, excepté dans les deux passages sur Rachel qui cite le verset du Jérémie. Les femmes restent des personnages secondaires. Rappelons, cependant, que le Midrach Rabba contient un nombre plus important de passages concernent Rachel et Léa que le Talmud. Il y a donc un changement quantitatif et non qualitatif, dans leur représentation. Leur image reste semblable.

 

Nous avons remarqué un changement dans la manière dont elles sont citées. En effet, elles sont mentionnées surtout pour elles-mêmes et non en tant qu’exemple illustratif[126]. Ainsi, elles sont citées à l’occasion des tentatives d’explications de l'histoire biblique.

 

Nous avons également constaté un ample foisonnement d'idées. Nous avons pu répertorier près de quarante sujets différents, qui traitent de Rachel et Léa. Cela veut dire que beaucoup de 'questions’ bibliques sont soulevées. Comme GenR suit l’ordre linéaire de la Bible, le Midrach traverse également la plupart de la Genèse dans l'ordre de ses chapitres. On y trouve ainsi une partie importante qui parle de la paracha Vayetsé où est narrée le récit principal de Rachel et Léa où elles sont amplement mentionnées.

 

 

 

B – LE MIDRACH TANHOUMA

 

Le Midrach Tanhouma (MT) a été un texte très populaire dès sa parution dans les communautés juives. Selon H. L.Strack, les nombreuses variations que l'on peut trouver de ce texte reflètent bien sa popularité[127].Il est construit de la même manière que le Midrach Rabba. Son corpus est cependant plus court que le Midrach Rabba.

 

Etant donné qu’il a été rédigé plus tard qu’une grande partie du Midrach Rabba, il est intéressant de comparer les deux textes afin de vérifier si un changement dans la représentation de Rachel et Léa a eu lieu au cours du temps.

 

Etude dans le texte

D’après notre étude, il est apparu que la plupart des passages dans le Midrach Tanhouma sont identiques au Talmud et au Midrach. Nous n’allons donc pas les détailler. Nous allons exposer uniquement les passages contenant des Interprétations nouvelles:

 

1. MT Vayetsé 8

On y trouve une variation sur la transformation du sexe de Dina par la prière de Léa  avec un petit changement : Léa proteste, se fâche, (מתרעמת) contre Dieu au sujet de la possibilité que Rachel n’ait pas d'enfants[128].

 

2. MT Vayetsé 12

Rachel a volé les statuettes de son père d’une part pour que celles-ci ne lui dévoilent pas que Jacob est en train de fuir avec sa famille et d’autre part pour qu’ils ne les idolâtre pas. Le texte explique que les statuettes peuvent parler.

En preuve on cite Zacharie 10,2 « c'est que les terafim débitent de vains discours ». Et on explique comment on les fabrique, et qu'ils parlent en voix basse avec les personnes.

 

Ce passage nous paraît étrange car il laisse imaginer que Rachel pouvait idolâtrer elle-même les statuettes puisqu’elle a pensé qu'elles pouvaient parler. Cette idée paraît légitime aux yeux de l’auteur du Midrach Tanhouma.

 

 

3. MT Vayetsé 5:

Ce passage présente une interprétation de "Léa est haïe". Ici elle est haïe par les envoyés de Dieu (מלאכי השרת). Les envoyés de Dieu plaident contre son intervention : « comment peux-tu lui donner des fils alors que son petit-fils va causer la mort de vingt-quatre mille personnes ? » Dieu leur répond qu’elle est une Juste (צדקת) et qu’il ne veut pas la désavantager (מקפחה) en ne lui donnant pas d’enfants.

 

Donc, dans ce passage elle n'est pas haïe par Jacob, mais par des envoyés célestes.

 

 

C – Discussion: Rachel et Léa dans le  Midrach

 

Nous n’avons pas remarqué de véritable changement qualitatif dans cet ouvrage par rapport au Talmud et au Midrach Rabba. En effet, on y retrouve le plus souvent des interprétations semblables des thèmes bibliques. De plus, les nouvelles interprétations ne proposent pas une image radicalement différente de Rachel et Léa.

 

Nos observations nous conduisent à conclure que la représentation de Rachel et Léa  a subi une régression dans le Midrach Tanhouma. Elles sont montrées encore moins actives que dans le Midrach Rabba. Vingt-quatre passages les mentionnent dans le Midrach Tanhouma et seulement deux les montrent actives. Ces passages sont les suivants: vayetsé 8, Léa enceinte change le sexe de son enfant ; vayétsé 12, Rachel vole les statuettes de son père. Ces deux passages existent déjà dans GenR.

 

Notons également que le verset biblique du livre de Jérémie concernant Rachel n'est pas mentionné ici. En outre, on ne parle pas du fait qu’elles sont des Matriarches. Leurs représentations ne dépassent pas le niveau anecdotique de leur personnage. Nous concluons qu’elles ne sont pas considérées comme importantes dans le Midrach Tanhouma. 

 

Ces observations sont inattendues car le Midrach Tanhouma est plus proche de la Cabale dans le temps que le Midrach Rabba. On aurait donc pu s’attendre à ce que les idées qui y sont développées ressemblent plus à celles de la Cabale. Ce caractère inattendu du Midrach Tanhouma est d’autant plus déroutant pour une autre raison. Ce texte appartenant à la littérature populaire, semble devoir indiquer que la vision courante de Rachel et Léa et non pas celle que l’autorité veut faire subir.

 

Il paraît clair que la Cabale n’y a pas puisé directement son inspiration. Au  contraire, les étincelles qui auraient pu voir le jour dans le Midrach Rabba se seraient éteintes dans le Midrach Tanhouma.

 

 

Passages du Midrach et du Talmud des lesquels elles sont présentées différemment.

Il convient de noter que dans un petit nombre de passages, Rachel et Léa ont une représentation. Dans ces textes, elles agissent et changent des choses essentielles.

 

1. Par exemple, Un passage de Genèse Rabba mentionne Rachel en citant le verset de Jérémie et le passage de LamR sur Rachel. Ceux-ci la présentent d’une façon beaucoup plus proche à celle du Zohar qu’à celle du Midrach.[129]

 

2. Les passages sur le changement du sexe du bébé de Léa ont également un regard différent sur les deux matriarches. Plusieurs passages sources les commentent et proposent des interprétations différentes. Un article de Yichaayahou ben Pazy s’est penché sur ce thème[130].

 D’après lui, interprétations distincts expliquent ce thème :

1.                                   La première se trouve dans GenR (72 ), le Talmud de Babylone (Berahot 60a) et le Midrach Tanhouma (Vayetsé 19). D’après ces sources,, et oùle fétus masculin de Léa qui se transforme en féminin et c’est ainsi que Dinah est née.

Ce thème lui aussi se partage en deux :

1.                                   Dans le Talmud et Midrach Tanhouma c’est la prière de Léa qui a induit ce changement.

2.                                   Dans GenR c’est la prière de Rachel qui à l’origine du changement.   « Dieu veuille me donner encore un second fils » (Gen. 30 :24)

2.                                   Est La seconde se trouve dans la traduction de Yonathan du verset (Genèse 30:21) et dans un poëmepoème de Rabi Elazar Haklir[131]. dans cette interprétation il y un échange entre des fétus. Rachel avait Dinah dans le ventre et Léa avait Joseph., et Grâce à la prière de Léa les fétus ont changé de place.[132]

 

Il est intéressant de noter les différentes versions ce sujet. Contrairement à ce qu’on aurait attendu, en tant que littérature populaire, le Midrach Tanhouma exprime le thème du Talmud et non pas celui de Midrach Rabba. Dans les deux versions Rachel et Léa ont agit et ont changé des choses essentiels puisqu’elles ont causé un changement dans le sexe du bébé.

 

Remarquons également que ces passages contiennent tous un personnage féminin qui se positionne en face de Dieu, et agit sur lui.

Cependant, il y a une différence importante entre ces passages sur le changement du sexe. Tandis que dans LamR et dans le Zohar sur les Lamentations Dieu converse avec Rachel, dans les autres sources il est dit que Dieu a entendu leur prière. Rachel ou Léa ne peuvent rien exiger de Dieu pour la simple raison qu’elles ne sont pas au même niveau que lui. Il ne s’agit pas d’un dialogue. Ce n’est qu’une demande que Dieu décidera d’exaucer ou non. Dans LamR et Zohar Lam au contraire, Rachel plaide directement en face de Dieu et se tient presque au même niveau que lui.

 

Ainsi dans ces passages, Rachel et Léa ont agit directement ou indirectement sur Dieu.

Elles pouvaient donc représenter un même concept. Deux personnages actifs, qui contestent l’ordre établi. En effet, même si une prière est moins activiste qu’un dialogue, elle peut s’opposer à la réalité existante.

 

Nous remarquons donc qu’elles sont présentées très différemment dans ces passages de la plupart des passages dans le Talmud et le Midrach. Comment l’expliquer ?

 

Il est possible soit d’avoir recours à la théorie qui propose que les représentations pré-existantes et souterraines ont été délivrés ouvertement dans la Cabale[133]., soitSoit d’accepter le caractère hétérogène des ces textes, en disant que les deux types de représentations de Rachel et Léa peuvent coexister (passives comme actives). Soit encore de minimiser l’importance de ces passages puisqu’ils ne représentent qu’une faible minorité par rapport à l’ensemble des passages sur Rachel et Léa.

 

Il nous semble difficile de soutenir l’hypothèse que la Cabale a exprimé ouvertement des idées délaissées. Une trop grande quantité de passages les mentionnent comme des personnages secondaires dans les autres textes.  Est-il possible qu’on aait empêché d’y introduire des passages où elles sont actives, importantes et centrales, et en même temps on a mit des passages où elles ne sont pas ?. En revanche, minimiser l’importance des textes nous ne semblee pas non plus facile à tenir comme hypothèse puisqu’ils existent. Nous ne pouvons pas l’ignorer. (ils sont là, on ne peut pas les ignorer)

LL’hétérogénéité des textes nous semble plus probablement pouvoir expliquer ce phénomène. La littérature aggadique en effet peut tolérer des contradictions[134]. Il arrive souvent, comme on l’a vu dans ce travail, qu’une même œuvre s’accommode d’interprétations opposées. Certains auteurs pouvaient les considérer comme personnages centraux alors que d’autres y intéressaient moins. Il est donc possible qu’au sein de la même époque on trouve deux tendances: des personnes qui les concevaient comme mineure à dans histoire, et d’autres qui leurs concédaient une plus grande importance. Ainsi, ce qui nous parvient aujourd’hui est le résultat de cette situation complexe qui a eu lieu dans la société. Et donc, ilIl ne s’agit donc plus ici d’un gommage ou d’idées non exprimées, mais seulement un désaccord entre diverses personnes.

D’après cette hypothèse sur les changements qui résultent de l’hétérogénéité, au cours des premières centaines d’années de l’ère chrétienschrétienne, la majorité des sages les concevaient comme secondaires et une minorité les concevaient comme centrales. C’est ainsi que nous pouvons expliquer également LamR. Ce texte a peut-être été rédigé par un auteur ou un groupe qui avaient tous la même représentation de Rachel. Donc ils pouvaient s’exprimer abondamment sur elle et développer toute une histoire complexe puisqu’ils étaient tous d’accord. Donc il pourrait être envisageable, si la datation de LamR correspond à celle de Buber (5ème ), que la personne qui a proposé l’interprétation du passage (sur jér et enterrement  ) ait développé cette idée dans LamR, plus ouvertement, sans opposition.

 

En revanche, le fait que LamR ait été si populaire reflète que la représentation de Rachel en tant que personnage maternel emblématique n’était pas unique pour luil’auteur de ce passages, mais a largement résonné dans la population.

 

 

L’hétérogénéité de l’œuvre se manifeste également à un autre niveau. Il est possible que les idées différentes ne proviennent pas d’auteurs différent de la même époque mais plutôt de textes des époques différentes. En effet, Strack fait remarquer que ces textes étaient des corpus ouverts,  c’est à dire que des passages ont pu y être ajoutés au cours du temps. Il donne l’exemple du Midrach Tanhouma pour lequel nous trouvons des versions différentes de manuscrits dès sa parution. Il est donc possible que ces deux tendances, l’une mettant Rachel et Léa dans le centre et l’autre les minimisant, proviennent de différentes époques.[135]

 

Rachel et Léa dans le Midrach :

 

Comme nous l’avez fait remarqué J.Baumgarten, nous ne pouvons pas faire une réduction du Midrach à des critères de passivité et d’activité. la réalité des textes est d’autant plus complexe.

 

 


ZOHAR

 

Le Zohar a été rédigé probablement par Moïse de Léon (Ramadal) en Castille (Espagne) à la fin du 13ème siècle. Le débat au sujet de l’identité de son/ses auteurs n’est toujours pas clos. Cet ouvrage fait partie de la Cabale théosophique-théurgique[136], un courant essayant de connaître la divinité à l'aide d'une construction d'un système complexe de dix Sefirot.

 

La Zohar est construit comme un Midrach biblique. Il correspond donc aux mêmes définitions que le Midrach. Ses commentaires suivent l’ordre chronologique de la Bible. Comme dans le Midrach, il s’attarde sur des passages qu'il choisit, et tente de les comprendre tout en intégrant d'autres passages de la Bible afin d’atteindre cet objectif. Les cabalistes se positionnent dans la lignée du Judaïsme et ne rejètent pas la tradition. En même temps, ils proposent une nouvelle manière de comprendre les textes et de vivre le Judaïsme. Leur chemin proposé est radicalement différent de celui des courants précédents. En outre, ils s’intéressent à un niveau du texte saint qui a été délaissé auparavant d’après eux. Ce niveau est celui du secret (סוד)[137]. Une caractéristique de ce niveau est qu’il n’est pas d’accès immédiat. La démarche cabalistique qui tend à percer ces secrets nécessite un état d’éveil constant. Par ailleurs, ces secrets doivent être confiés uniquement à ceux qui seront capables de les recueillir. A l’image d’une fleur magnifique qui ne doit pas être confiée à des mains brutales, de crainte de l’abîmer.

 

 

 

1.    Rachel et Léa dans le Zohar

 

Comme nous l’avons mentionné plus haut, Rachel et Léa sont identifiées à deux Sefirot dans la Cabale : Léa à Binah (l’Intelligence) et Rachel à Malkhout (la Royauté). Malkhout est la dernière Sefira, la plus proche du monde d'en bas. Binah est la troisième Sefira. Elle est moins terrestre et plus cachée que Malkhout.

Malkhout est également nommée la Mère d’en-bas, elle est le réceptacle paradigmatique. Elle ne contient rien et émet seulement  ce qu'elle reçoit.

Dans le Zohar, le nom des Sefirot est rarement mentionné. Il y a donc toute une série d'appellations alternatives qui les désigne[138]. Les appellations les plus courantes sont pour Malkhout: le monde d'en-bas, le monde apparent, mère d’en-bas. Pour Binah elles sont : le monde d’en-haut, le monde caché, la Mère d’en-haut.  Près d’une centaine de passages dans le Zohar mentionnent Rachel et Léa.[139]

 

La façon dont nous allons progresser sera d’exposer certains passages dans l’ordre thématique. La présentation ne détaillera pas toutes leurs apparitions car ce travail a déjà été fait dans notre mémoire de Maîtrise[140]. Nous allons analyser les thèmes en fonction de leur nouveauté éventuelle par rapport au Midrach et au Talmud.

 

 

2. Etude thématique :

 

a.     La rencontre entre Rachel  et Jacob :

 

1. Zohar I 153b

 « Si la femme de Jacob survint auprès du puits, pourquoi n'y rencontra-t-il pas Léa, alors que tant de tribus lui furent données par elle seule?  C’est que le Saint béni soit-il, ne voulait pas la marier à Jacob ouvertement, selon les mots : « Or au matin, voilà que c’était Léa ! » (ibid. 25). Auparavant, en effet, rien ne fut divulgué. De plus le but était d'attirer le regard et le cœur de Jacob vers la beauté de Rachel pour qu'il séjourne dans ce lieu, grâce à elle il put épouser Léa, qui enfanta tant de tribus »[141]

 

Dans ce passage on considère que Rachel est destinée à attirer Jacob par sa beauté pour qu’il s’installe et puisse créer de nombreuses tribus avec Léa. On peut se poser la question suivante : pourquoi le Saint béni soit-il ne voulait pas marier ouvertement Léa ? La réponse n’est pas donnée dans ce passage mais grâce au lien de Léa avec Binah nous savons qu’elle est le monde caché, qui ne se dévoile pas. A l’opposé, Rachel est le monde apparent qui brille et ‘saute aux yeux’. Donc, telle que le passage la présente, Rachel est le moyen pour atteindre l’objectif principal qui est Léa. Cette vision est entièrement à l’opposé de la vision midrachique où Rachel est la finalité[142].

Ici, l’actrice principale se tient en arrière de la scène, derrière le rideau. Jacob est attiré vers elle et a presque l’air d’être manipulé.

Un simple fait biblique est compris ici à travers le monde conceptuel cabaliste et reçoit un éclairage radicalement nouveau. On ne construit plus une légende ou une histoire afin de comprendre une difficulté de la Bible et on n’ajoute pas de détails à l’histoire biblique. Au contraire, on habille chacune des ‘héroïnes’ d’un nouveau monde. Cette procédure pourrait être considérée comme un plus grand respect vis-à-vis du texte saint, auquel rien n’est ajouté.

 

2. Zohar II 124b

Dans ce passage on se demande pourquoi Jacob a pleuré après avoir embrassé Rachel ? On répond que son esprit/souffle (רוח?) s'est collé à celui de Rachel, son cœur n'a pas pu le supporter et il a pleuré[143].

 

Le Zohar nous propose une vue nouvelle sur ce baiser de rencontre. Les pleurs de Jacob résultent du fait que son cœur n'a pas pu supporter cette grande émotion.

Si l’on compare ce passage avec Genèse Rabba (70, 11-12 ?) où trois causes sont proposées pour les pleurs de Jacob, on voit qu’elles n'ont rien à voir avec l’interprétation du Zohar. Dans le passage du Zohar, le regard reste fixé sur le couple et le baiser sans que d’autres éléments entrent en jeu[144].

Ce passage est un exemple des extraits zohariques qui restent dans la lignée des textes midrachiques car on ne se réfère pas directement au monde sefirotique[145]. Bien qu’on se limite au cadre d'une exégèse traditionelle, on apporte des nouveautés rafraîchissantes en nous faisant ressentir les émotions fortes que Jacob a éprouvées.

 

3. Zohar I 45a

Dans ce passage, le secret de leur baiser est un accouplement collectif/général dans lequel chaque élément s’accouple avec son compagnon dans le plérome divin.

 

La citation du verset sur le baiser est une image terrestre de ce qui se passe dans le monde d’en haut. Le baiser est donc vu comme un accouplement. De nombreuses appellations de Tiferet[146] y sont mentionnées. L’interprétation du Zohar de ce passage biblique nous fait lever notre regard vers le plus haut et le plus grand, le monde céleste. Un changement catégorique apparaît clairement par rapport aux sources précédentes, qui sont restées attachées au monde d'en bas et qui n’ont pas élever le regard.

 

 

b.    Les relations Jacob - Rachel - Léa  :

 

 

 

1. Zohar II 126b

Il est dit que le monde d’en-bas est jaloux. Il désire être comme le monde d’en-haut, qui est, comme son nomme l’indique, plus élevé. Cependant, d’après le Zohar, cette jalousie fait progresser le monde d’en-bas[147]. Un autre sujet mentionné dans ce passage concerne le problème lié au mariage de Jacob avec les deux sœurs. Ce mariage constitue une transgression de la loi écrite dans Lévitique où l’on énumère tous les cas d'adultère (18:18) : « N'épouse pas une femme avec sa sœur (c'est créer une rivalité), en découvrant la nudité de l'une avec celle de l'autre de son vivant ». Jacob donc a transgressé une des lois du Judaïsme en épousant les deux sœurs.[148] Le Zoharrévèle que Jacob, dans ses deux mariages a réuni, en réalité, le monde d’en-haut et le monde d’en-bas. Ainsi les deux mondes n’ont formé qu'une seule entité. Jacob étant entier (שלם) a mis de l'amour dans les deux mondes. Alors que toute autre personne dans la même situation, aurait provoqué de la haine (איבה) entre les deux mondes, et aurait découvert la nudité (גילוי עריות) en haut et en bas, ce qui est formellement interdit.

 

Dans le Talmud et le Midrach, la jalousie de Rachel décrite dans le verset biblique (Gen 30:1) est comprise surtout comme sa jalousie vis-à-vis de la fécondité de sa sœur, alors qu’elle même est stérile (Midrach Rabba  ). Dans le Zohar, à l’opposé, cette jalousie devient un sentiment constructif, banal et positif car il occasionne une progression chez le jaloux. Donc, dans ce passage la jalousie ne résulte pas de la fécondité de Léa, et n'a rien à voir avec Jacob. Elle est un moteur qui aide ceux qui sont en bas à s'élever. D’une manière semblable, la transgression présumé de Jacob est également attribué à Tiferet, dont l’un des buts consiste à unifier des sefirot et ainsi unifier Malkhout et Binah.

 

2. Zohar I 154b  Léa est haïe

Un paragraphe entier dans le Zoharsur Vayétsé commente la relation de Jacob et Léa. On se demande pourquoi elle est haïe. La réponse donnée est « En fait le grand jubilé (une appellation supplémentaire de Binah) est toujours un monde caché et tous ses éléments ne se manifestent pas, c'est ainsi que tous les actes [de Léa] étaient ignorés de Jacob. Viens et vois: le monde d'en bas est explicite, il est le tout-début de la montée dans les degrés (...) (le monde d'en bas) est le commencement de tout, pour cette raison on l'appelle 'tu', puisqu'elle est le petit jubilé et se découvre. Tandis que le monde d'en-haut, qui est le grand jubilé, on l'appelle 'il' car tous ses éléments sont implicites[149]. Le secret de la chose, c'est qu'il est marqué de Léa: « et cette nuit il coucha avec elle, il » (Gen 30:16) (....). Il c'est le monde d'en-haut qui se dissimule sans cesse, et Jacob ne s'attacha pas volontairement à ce qui se cache, mais plutôt à ce qui se dévoile, ce secret est écrit: « Il s'attachera à sa femme » (Gen.2:25) »[150]

Une autre explication du fait que « Léa est haïe » se trouve dans les lignes qui suivent: « Or « Léa est haïe » (Gen. 29:31). De là nous apprenons que l'homme hait les incestes avec sa mère; il s'isolera avec elle n'importe où sans appréhension (....). Mais tout cela était caché à Jacob car le monde d'en-haut aucunement ne se dévoile »[151].

 

C'est un passage très dense et il nous semble très important, car il contient une clé pour comprendre la relation entre Jacob et Léa d'après le Zohar. Dans le Midrach et le Talmud, la haine de Léa était interprétée par le fait qu’elle a menti à Jacob, à cause de son association à quelqu’un de haï ou parce qu’elle était haïe par des anges. A l’opposé, elle est perçue ici comme un état qui résulte de leur différence sefirotique. Tiferet est plus bas dans l'arbre sefirotique que Binah. Binah qui est cachée en général n’est pas apparente également à Jacob.

‘Il ne s'attache pas au caché’ que signifierait cette expression ? peut-être veut-elle indiquer que Jacob n’est pas attiré par l’ésotérisme et qu'il reste donc indifférent à l’égard de Léa qui est Binah. La haine envers Léa peut être donc comprise soit comme un manque d'intérêt, soit comme un sentiment négatif qui résulte de l’impossibilité qu’a Jacob de pouvoir voir Léa.

Une autre explication est que la haine est le sentiment que ressent un fils à l’idée d’avoir des relations sexuelles avec sa mère. Mais, est-ce que Jacob est le fils de Léa ? Binah est la Mère d’en-haut et le père est Hokhmah (sagesse) et le reste des Sefirot sont considérées comme leurs enfants. Tiferet est donc également leur enfant (ce qui renforce son infériorité vis-à-vis d'elle, son immaturité)[152]

On a donc vu deux interprétations de ce verset qui sont radicalement différentes de celles du Midrach car elles apportent tout un monde conceptuel pour la lecture du verset. Une grande créativité et une grande liberté apparaissent ici.

 

 

la nature du lien Jacob –Léa pourrait être expliqué ainsi :

Etant donné que Binah[153] est supérieure à Tiferet dans l'arbre sefirotique[154] il est normal que Jacob ne la voie pas. Léa n’est cachée que pour ceux qui ne peuvent pas la voir. En revanche, pour ceux qui peuvent, elle est apparente, éclairée. Elle peut le voir puisqu'elle est au-dessus de lui, alors que lui ne possédait pas les sens adaptés pour percevoir ‘sa gamme de couleur’.

 

c.     Mandragores  ( Zohar I 156a-157a) :

 

L'histoire des Mandragores nous semble un très bon exemple pour illustrer le caractère novateur du Zoharpar rapport aux autres sources.

 

D’après ce qui est écrit dans le texte on peut tenter d’imaginer les questions implicites auxquelles le Zohara essayé de répondre:

- Pourquoi Réuben cueille-t-il des Mandragores à sa mère?

- Pourquoi Rachel réclame-t-elle?

- Pourquoi Léa accepte-t-elle l'échange?

- Pourquoi Rachel est prête à céder Jacob pour la nuit?

 

Ces questions n'ont, bien évidemment, pas de réponse dans la Bible. Dans le Midrach, certains points seulement sont abordés. Dans Genèse Rabba on considère que chacune d’elle sort à la fois gagnante et perdante de ce marché: Léa a perdu des Mandragores et a gagné des tribus (Issashar). Rachel a perdu et gagné le contraire. Ainsi les passages du Midrach restent très terre à terre.

 

Dans le Zohar, on répète d'une part ce qui a été dit dans le Genèse Rabba et on crée d’autre part un nouvel univers (conceptuel, interprétatif) :

 

 1. Zohar I (Sitré Tora) 156a

Le monde d'en-bas a été réveillé par l'odeur des mandragores et a voulu recevoir leur richesse (שפע) et leur bénédiction. ( « ) «  Et Rachel dit à Léa : Donne-moi, je te prie, les mandragores de ton fils[155] » (Gen.30:14) »[156]. En fait, les Mandragores appartiennent à sa mère, le monde d'en haut. Comme le monde d’en-bas désire ce qui appartient au monde d'en-haut celle-ci lui dit avec joie, en plaisantant (בשמחה ושעשוע) « n'est-ce pas assez que tu te sois emparée de mon époux » (Gen 30:15).

 

Dans ce passage Malkhout réclame les émanations des Mandragores. Ce désir est compréhensible surtout chez Malkhout qui dépend complètement des émanations venues d'en-haut, c’est à dire des autres sefirot. Notons que la différence entre les deux sefirot apparaît ici clairement. Binah est la mère de Malkhout. Elles ne sont donc plus au même niveau. Il ne s’agit plus d’une rivalité pour obtenir Jacob ou des plantes. Il s’agit du besoin vital de Malkhout de s’emplir du don des mandragores pour qu’elle puisse ensuite s’épancher sue le monde terrestre. Son émanation influencera la réalité entière.

On est ici donc radicalement à l’opposé de l’histoire biblique anecdotique et des interprétations midrachiques qui bien que n’étant plus anecdotiques restent à un niveau qui ne concerne pas toute la réalité.

 

2. Zohar I (Sitré Tora) 156b

Le monde d'en-haut est la femme de Hokhmah et non pas celle de Jacob. L’unique fille[157] de Hokhmah parmi ses six fils n'a aucun cadeau, tandis que ses frères eux, en ont beaucoup. Pour cette raison, son père « veille sur elle avec un désir et un amour supérieur à celui qu'il a des autres.  Par l’affection qu’il éprouve envers elle » [158]  il la nomme des noms différents: fille, sœur, mère. Aucun nom ne lui suffit, donc il lui donne son propre nom[159]. Quand la mère dit à sa fille « n'est-ce pas assez (…) (Gen. 30:15 » « tout son amour il te prodigue, [cela dit] en s'amusant, avec l'amour que la mère porte à la fille. »[160]

 

Dans ce passage, nous sommes de nouveau transportés dans un autre univers: Malkhout est la plus pauvre des sept Sefirot du corps. Sa ‘pauvreté en cadeaux’ traduit son caractère de réceptacle parfait, elle ne contient rien en elle sauf ce qu’on lui épanche. Son père, Hokhmah, veut prendre soin d'elle puisqu’il ne peut pas lui donner des cadeaux comme il le fait aux autres. Il lui donne son amour et il l'a nomme par des noms divers Jusqu’à lui donner son propre nom (Hokhmah d'en bas). La Mère, Binah, n'est pas contente face à toute l’affection qui est portée à sa fille, à ses dépens, mais elle le prend avec amusement. En effet, le verset biblique n’est pas considéré comme une phrase qui a été prononcée sérieusement. Malkhout ne constitue pas une véritable rivale pour Binah, elle n’est que sa fille.

Dans ce passage ce sont de nouveau des acteurs d’un autre monde qui agissent. La grande affection qu’épanche Hokhmah est vitale pour Malkhout. Il est important de noter que lorsqu’on évoque les sefirot, on parle de la réalité du monde terrestre car ce qui se passe dans le monde sefirotique est parallèle à ce qui se passe au monde d'en-bas. Il est donc clair que Rachel et Léa sont représentées ici comme des personnages extrêmement importants. Elles sont les actrices principales et reflètent l’univers/monde sefirotique. Elles ont quitté le cadre purement humain et sont devenues des figures emblématiques.

 

2.     Zohar I (Sitré Tora) 157b

« Léa sort à sa rencontre (de Jacob) » (Gen. 30.16) : la Mère d’en-haut alla vers le fils unique. « Et elle dit : tu viendras vers moi » (ibid.) : sous mes ailes, pour que je te bénisse et que je te comble de faveurs et de suprêmes délices »[161]

 

Dans les deux précédentes interprétations zohariques de l’histoire des mandragores, Jacob devient un personnage secondaire (ce qui n’arrive pratiquement pas dans le Midrach et le Talmud). Nous pouvons ainsi nous demander pourquoi Léa voulait s’unir cette nuit avec lui ? ce passage y répond : elle veut épancher à son fils, Jacob, la richesse des mandragores.

 

 

Conclusion sur les mandragores :

 

Ces passages contiennent un foisonnement d’idées. Le Zoharnous emporte totalement ailleurs, à un autre niveau de l’être. Puisqu’on parle de Rachel et Léa qui sont identifiées à des Sefirot, on parle en même temps des principes essentiels. La scène des mandragores nous renseigne sur le fonctionnement du monde. Jacob n'est pas tenu au centre de cette histoire.

Il reste cependant beaucoup de choses à clarifier dans ce passage, le texte est en effet trop riche et trop dense.

 

 

d.    Rachel pleure sur les enfants d’Israël.

 

Dans de nombreux passages du Zohar(14 passages), on mentionne Rachel pleurant sur les enfants d'Israël. Les pleurs de Rachel deviennent un thème extrêmement récurent. Dans douze passages elle est mentionnée par une citation du verset de Jérémie 31:15.

 

Cela nous paraît étonnant, puisque dans l’histoire de la Genèse, Rachel ne pleure pas et ce n’est qu’uniquement dans le livre de Jérémie qu’on trouve ce verset énigmatique. En outre, dans le Midrach et le Talmud c’est surtout Léa qui pleure.

 

D’où provient l’association entre Rachel et les pleurs et que signifie-t-elle ? par ailleurs, Rachel est souvent mentionnée à côté de la Chekhinah et de la communauté d’Israël: le Zoharles évoque et cite le verset de Jérémie. Nous pouvons également nous interroger sur la nature de cette association. Nous aborderons ce point, en analysant certains des passages qui les mentionnent ensembles. Nous allons examiner de quelle manière leurs mentions sont juxtaposées.

Répondre à ces questions nous permettra de mieux comprendre la représentation de Rachel dans le Zohar. Nous allons apprendre avec quelle entité elle est liée et de quelle manière.

 

 

La Chekhinah dans le Zohar comme étant séparée de Dieu:

G.Scholem a écrit dans son livre les grands thèmes de la Kabbale[162] un Chapitre sur la Chekhinah. Il la décrit comme un concept qui a accompagné le peuple d'Israël durant 2000 ans. On peut la trouver dans chaque domaine du monde spirituel. D’après lui, pendant une longue époque, le concept ‘Chekhinah’ a été une appellation du Dieu même[163]. « Le Saint béni soit-il parle d'elle mais pas avec elle »[164]. Scholem remarque que le Midrach des Proverbes (Michlé) constitue la première source dans laquelle la Chekhinah est séparée et différenciée de dieu. Cette distinction s’accentue dans le Zohar.

 

Dire que la Chekhinah est distincte de Dieu même et que Rachel lui est associéé semble être une évidence pour les lecteurs de la Cabale. Cette idée est moins évidente pour les non initiés.[165]

Nous allons présenter trois passages qui contient un lien entre Rachel et la Chekhinah toute en mentionnant Jérémie et les pleurs de Rachel.

 

 

1. Zohar I 134a

Rabbi Hizkiya raconte qu'au moment où le Temple a été détruit et le peuple s’est exilé, « la Chekhinah voulut s'arracher de son territoire et le suivre dans l'exile, elle dit: Je vais d'abord revoir ma maison et mon palais (…). Rabbi Eléazar ajouta : A cet instant la communauté d’Israël scruta l’En-haut et elle vit que son Epoux s’était retiré loin, très loin d’elle, elle descendit dans l’En-bas, entra dans le sanctuaire, jeta un regard sur ses chambres, et [éclata en sanglot], une voix se fit entendre là-haut, tout là-haut, une voix fut entendre en-bas, ainsi qu'il est écrit: « A Rama (....) (Jér.30:15) » »[166]

 

Ce passage montre un lien clair entre la communauté d’Israël et Rachel.

Cependant, le lien avec la Chekhinah n’est pas établi si l'on considère que les deux personnes qui ont parlé (Rabbi Hizkiya et Rabbi Eléazar) peuvent avoir des avis différents.

 

2. Zohar I 203a

 

« Lorsque le Temple fut détruit, la Chekhinah survint et monta au-dessus de ces lieux où s'était auparavant trouvée Sa demeure et Elle pleura sur Sa résidence et sur Israël qui allait en exil, et sur tous les justes et les fidèles qui avaient été là et venaient de périr. D'où savons-nous cela ? Du verset : "Ainsi parle YHVH : Ecoutez, à Rama on entend des plaintes, des pleurs amers : c'est Rachel qui pleure ses fils" (Jér. 31:15). Cela a été expliqué »[167]

 

Ce passage nous relate une description émouvante de la destruction du Temple de Jérusalem. La Chekhinah visite tous les endroits dans lesquels elle était auparavant et pleure sur ses enfants qui sont partis en exil.

Le verset de Jérémie attribue les actes de Rachel à la Chekhinah. Remarquons que dans le verset de Jérémie, c'est bien Rachel qui est mentionnée. Cette juxtaposition identifie donc Rachel à la Chekhinah. (Si en lisant de ce que Rachel a fait, on peut apprendre ce que la Chekhinah a fait, on peut conclure que Rachel est la Chekhinah, qu’elle est identifiée à elle.)

Juste après la citation du verset de Jérémie, on en revient à la Chekhinah, comme si on n’avait pas cessé de l’évoquer tout en parlant de Rachel.

 

 

3. Zohar sur les Lamentations 91d-92b

           

Le passage sur les Lamentations est extrêmement important pour la représentation de Rachel. Nous n’en parlerons que brièvement car nous l’avons analysé ailleurs[168]. Ch. Mopsik l’a décrit dans son édition du Zoharsur les Lamentations et un travail de Maîtrise y est consacré cette année.

 

Dans ce beau passage, une voix réveille les Patriarches en leur disant que leurs enfants souffrent. Les Patriarches se renseignent alors sur leur sort. Le Saint béni soit-il leur explique que le peuple a péché, et que c'est pour cette raison qu'il les a punis. Lorsqu’il entend cette explication, Abraham accepte la punition, et les autres personnages repartent avec lui. Rachel reste seule et plaide pour son peuple devant Dieu. Elle lui cite son exemple personnel : elle a fait preuve d’une plus grande tolérance que celle du Saint béni soit-il, en cédant sa sœur à son mari. Elle a alors pleuré sans vouloir être consoler. « Comme tu fais Rachel, ainsi [fait] la Chekhinah en haut, ainsi qu’il est traduit : « on entend une voix dans la hauteur des cieux, la Chekhinah pleure ses enfants. »[169]

 

 

Le fait que le nom de Rachel est remplacé par celui de la Chekhinah est une preuve du fait qu'elles sont identiques, sur certains aspects au moins. Il semble que Rachel soit ici la Chekhinah d'en-bas, et non pas celle d'en-haut.

 

Le Zohara inclu une traduction araméenne du livre de Jérémie 31:15 dans laquelle le nom ‘Rachel’ est remplacé par ‘Chekhinah’. L’auteur du Zoharla présente comme si elle était une traduction qui existait déjà. Il semble pourtant que ce texte ait été traduit par lui-même[170].

Cette démarche particulière tend à montrer que l’auteur était très convaincu par son idée que Rachel est à la Chekhinah[171].

 

D'après l’étude de ces passages nous constatons que Rachel est identifiée clairement à la Chekhinah. Elles représentent des entités inter-changeables.

Existe-t-il une différence entre la Chekhinah et la Communauté d'Israël? Nous avons remarqué d’après l’étude des textes du Zoharque le terme ‘Communauté d'Israël’ se réfère parfois au paradigme de la femme et parfois au paradigme de la mère. Les termes de la Chekhinah et Knessette Israël peuvent même s’échanger dans certains cas.[172]

 

 

L’utilisation du verset de Jérémie dans ces passages 

 

Le Zoharmentionne presque systématiquement le verset de Jérémie lorsqu’il décrit Rachel en pleurs. En effet, parmi les quatorze passages où Rachel pleure dans le Zohar, douze contiennent la citation de Jérémie. Dans quel cadre le verset est cité et dans quel but ? Est-ce que le mon de Rachel apparaît seulement dans les citations de ce verset ?

Cette question est importante vis-à-vis de l’évolution des représentations de Rachel et Léa car avant le Zoharce passage biblique n’était souvent cité

 

En analysant les douze passages dans lesquels Rachel pleure, nous avons remarqué que très souvent, la première apparition de son nom dans le passage est introduite en citant le verset de Jérémie. Une autre caractéristique de ces passages est la mention de la Chekhinah ou de la communauté d’Israël. Un fait qui nous parait essentiel est l’usage du nom de Rachel (cité dans Jérémie 31:15) pour la justification des actions de la Chekhinah. On saute de l’une à l’autre comme s’il s’agissait de la même entité, les deux noms paraissent ainsi échangeables.

 

 

 

Conclusion – les pleurs de Rachel

 

Rachel est La Mère du peuple d’Israël sur laquelle il peut compter pendant son exil. C’est grâce à elle qu’il pourra bénéficier d’une rédemption. Sans elle, le peuple aurait pu rester en exil pour toujours. A l’époque de l’écriture du Zohar, l’idée d’une rédemption était très centrale[173]. Rachel donc est extrêmement importante, car elle laisse présager la délivrance du peuple d’Israël.

Le quotidien qui n’était pas toujours facile ravivait leurs interrogations sur leur conditions difficiles : ? Sommes-nous seuls ici ou quelqu’un nous accompagne ? A ces questions qui ne sont pas formulées mais que nous pouvons peut-être suggérer, le personnage de Rachel peut procurer une réponse.

 

Le fait qu’elle converse avec la divinité l’élève, car elle a réussi là où les patriarches ont failli : tenir tête à Dieu et le convaincre. D’après G.Hassan.Roken[174], à l’inverse des patriarches qui déployaient des arguments logiques, Rachel a réussi grâce à l’usage de son langage émotionnel.

A partir des études de ces passages, on voit se dessiner une Chekhinah qui pleure. cela veut-il dire que la Chekhinah pleure systématiquement ? est-ce son trait essentiel ?

Nous Proposons comme réponse l’hypothèse suivante : Bien que La Chekhinah pleure lorsqu’elle est mentionnée à côté de Rachel. Ceci n’est pas obligatoirement le cas dans d’autres situations. De fait, comme nous l’avons montré, le lien entre la Chekhinah et Rachel est établi par une citation du verset de Jérémie. C’est donc les pleurs de Rachel qui vont l’unir à la Chekhinah. On pourrait plutôt dire que Rachel est l’aspect pleureur de la Chekhinah. En d’autres termes, la Chekhinah a de nombreux aspects dont Rachel est celui qui pleure.

 

e.      

f.       Mort et enterrement de Rachel et Léa

 

A. passages qui se trouvent également ailleurs

 

1. Zohar I 164b

On y révèle que Rachel a volé les statuettes pour éloigner son père de l'idolâtrie.

Bien que son but ait été bien intentionné, elle a été punie (en mourant), car elle a attristé son père.

 

2. Zohar I 175a

Ce passage concerne le vœu de Jacob qui a provoqué la mort de Rachel

 

B. passages qui portent un nouveau regard à ce sujet :

 

1. Zohar I 158a 

Jacob savait que lorsque toutes les tribus seraient au complet cela réparerait (תיקון Ch. Mopsik - parure) le monde d'en-bas. Il savait donc qu'au moment où naîtrait Benjamin, Rachel mourra. Le verset (Gen.48:7) est cité « Pour moi, quand je revins du territoire (d'Aram), Rachel mourut dans mes bras ». Le texte continue :  « Là, Rachel mourut et le monde d'en-bas prit la demeure pour s'installer dans la maison complète. Tant que Rachel  était en vie, le monde d'en-bas ne fit pas d'elle sa parure, elle mourut et il prit la maison en entier » [175]

Dans ce même passage, quelques lignes plus haut on explique que Jacob ne voulait pas que Benjamin naisse en dehors de la terre d'Israël parce que la réparation doit s’accomplir là, exclusivement. Ainsi, dès la naissance de Joseph, il a voulu partir de chez Laban vers la terre d’Israël.

Ensuite, on s’interroge sur la raison du fait que Léa n'est pas morte au même moment que Rachel.  Et l’on répond: « la maison se situe dans le monde d’en-bas, et tout ce qui en relevait devait être arrangé, or elle n'est pas du monde d’en-haut, c'est pourquoi [Léa] ne mourut pas à ce moment" [176]

Une autre raison qui justifie le moment de la mort de Léa est donné dans les lignes qui suivent où il est dit: « tous les actes de Léa étaient discrets, le monde d’en-haut étant voilé et non à découvert, aussi ne mentionne-t-on pas la mort de Léa comme celle de Rachel. Viens et vois qu'il en est bien ainsi, parce que toutes les chose du monde d’en-haut se font à la dérobée tandis que toutes celles du monde d’en-bas se font ouvertement. Pour cette raison Léa est cachée dans la grotte de Makpéla et Rachel est dans l'ouvert du chemin, l'une dans le retrait, l'autre dans l'exposé." [177]

 

La mort de Rachel est ici présentée comme la condition obligatoire pour que le monde d'en-bas s'installe dans la 'maison'[178]. Il fallait que Rachel complète la maison.

 

Ces passage nous amène à nous poser quelques questions:

-        comment comprendre que le monde d'en bas prend la place de Rachel, car elle est également le monde d’en-bas ?

-        est-ce que cela veut dire que Rachel n'est pas du tout liée à Malkhout dans ce passage?

-        Rachel serait une forme incomplète de Malkhout ?

celle-ci aurait alors une priorité ontologique sur Rachel, mais ne pourrait pénétrer dans la maison tant que celle-ci n'est pas prête. Rachel prépare ainsi la maison pour la venue de Malkhout en accouchant des enfants en chair et en os, un acte que Malkhout est incapable de réaliser. A ce moment précis, Rachel pourrait représenter l'aspect corporel de Malkhout. Rachel en accouchant les derniers enfants parmi les tribus a accompli son rôle et n'a plus rien à donner sous son aspect physique. Il est temps que son aspect spirituel, Malkhout se manifeste. D’après cette hypothèse, Rachel ne meurt pas véritablement mais change de catégorie en passant du matériel au spirituel. Si Rachel restait vivante, elle empêcherait la spiritualité de se réaliser.[179]

 

Ce passage décrit également le lieu d'enterrement de Rachel et Léa d'après leur lien sefirotique. Léa qui est voilée (le monde caché) est enterrée dans un lieu caché - la grotte, tandis que Rachel qui est découverte (le monde apparent) est enterrée dans un lieu ouvert - sur le chemin.

 

Le Zohara ici une manière toute à fait spéciale de comprendre la question de leur lieu d’enterrement et la raison pour la quelle il est différent pour les deux Matriarches. Rien n’est laissé au hasard et tous les éléments sont en relation étroite. Leur aspect sefirotique reste un enjeu partout, à tel point que leur enterrement reste en parfaite harmonie avec leurs autres aspects. Dans ce passage, on les évoque en les associant à des éléments plus généraux du monde et en montrant leur importance dans les processus de rédemption.

 

Dans le Midrach et le Talmud, le choix du lieu d’enterrement est la conséquence du nombre d’enfants qu’elles ont mis au monde ( ), ou du marché qu’elles ont conclu au sujet des mandragores (). Le système d’explication y est donc différent..

 

 

2. Z I 222b-223a

On s’interroge sur la raison pour laquelle Léa et non Rachel est enterrée dans la grotte.  R.Yossi dit que c'est d'autant plus étonnant car Rachel est l’essence (עיקר) de la maison. Elle devrait donc y être enterrée. Il répond que Léa a mis au monde six tribus et c'est pour cette raison qu'elle est enterrée avec Jacob. Rabbi Yéhochoua explique que Léa est enterrée là car elle a prié et pleuré à la croisée des chemins parce qu'elle voulait se marier avec Jacob. Par contre « Rachel n'est jamais sortit sur les chemins, aussi est-ce Léa qui mérita d’être ensevelie avec lui. (…« )  Rachel mourut pour moi » (Gen. 48:7). Que signifie « pour moi ? » Cela veut dire « à cause de moi ». « Au pays de Cannan, en route » (ibidem) : à cause de moi elle est morte en chemin, car elle n’est jamais sortie pour moi comme sa sœur. Léa donc, qui partait pleurer à la croisée des chemins pour Jacob, mérita d’être ensevelie avec lui, Rachel qui ne voulait pas sortir et prier pour lui, eut sa tombe en un carrefour. Le secret de la chose a été expliqué et énoncé : ceci est dévoilement, cela dissimulation. »[180]

 

 

Zohar II 29b :

On se demande pourquoi dans le livre de Jérémie c’est Rachel et non pas Léa qui pleure. Léa, avec son plus grand nombre d’enfants avait plus de raison de pleurer. On indique alors, que Léa pleurait chaque jour pour ne pas se marier avec Esaü. Le Saint béni soit-il s’en est aperçu et a décidé que Rachel pleure à cause de l’exil d’Israël et que Léa arrête de pleurer et qu’elle soit enterrée avec Jacob. On révèle plus loin que les raisons secrètes de ces événements se trouvent dans le fait qu’elles constituent des mondes différents : l’un apparent et l’autre caché. C’est cette raison qui justifie le choix du lieu d’enterrement.

 

Dans ces deux passages nous avons une illustration d’une intégration complète des idées anciennes avec les nouvelles. D’une part on reprend les interprétations midrachiques et Talmudiques sur les pleurs de Léa, sa prière, le nombre d’enfants qu’elle a donné à Jacob. D’autre part on nous présente une nouvelle idée sur son enterrement auprès de Jacob. On la présente comme une récompense envers Léa pour être sorti pour Jacob sur les chemins. On enchaîne en affirmant que le secret est : « ceci est dévoilement, cela dissimulation ». Tout est ainsi lié à leur aspect sefirotique.

 

Sujets nouveaux et anciens dans le Zohar :

Nous avons présentés des passages qui contiennent à la fois des idées traditionnelles puisées dans les Midrach et le Talmud et des idées entièrement nouvelles. Il est intéressant de constater que les éléments nouveaux du texte zoharique coexistent très bien avec les anciennes conceptions sans s’exclure. Ce n’est pas étonnant puisque les cabalistes continuent une longue lignée traditionnelle sans l’interrompre. Les nouvelles interprétations sont abondantes. L’auteur du Zoharn’a donc pas rencontré de difficulté pour les unir avec les anciennes. Il semble ainsi ne pas privilégier un système explicatif plutôt qu’un autre et les place au même niveau. Nous percevons là un signe de grande tolérance et ouverture.


 


Discussion générale

 

 

Résumé

 

Dans ce travail notre objectif était de suivre l’évolution des représentations de Rachel et Léa dans la Bible, le Talmud, le Midrach et le Zohar.

 

Dans un premier temps, nous avons étudié leurs représentations dans la Bible. Nous avons constaté un changement dans leurs représentations entre la Genèse et les autres livres bibliques. Alors que dans la Genèse Rachel et Léa sont présentées d’une manière simple et anecdotique, dans les autres livres elles sont présentées d’une manière plus complexe. La tombe de Rachel y est présentée comme un lieu bien connu, un point de repère géographique, Rachel est considérée comme la fondatrice de la maison d’Israël mais aussi comme une brebis muette. Dans Jérémie, elle apparaît comme un personnage maternel atemporel. Léa n’est mentionnée qu’une seule fois, également comme la fondatrice de la maison d’Israël.

 

Nous avons ensuite étudié leurs représentations dans le Talmud. Nous avons constaté qu’elles y sont représentées assez brièvement, et qu’elles constituent souvent des exemples illustratifs. Elles constituent rarement des sujets de discussions en soi. Dans la plupart des passages elles sont montrées passives, elles restent à l’arrière plan et les autres personnages s’expriment à leur place. Une minorité de passages les montrent cependant actives.

 

Dans la troisième partie de ce travail, nous avons analysé leurs représentations dans le Midrach. Les passages où elles prennent des initiatives sont beaucoup moins nombreux que ceux où elles n’en prennent pas. Il faut cependant noter que dans certains passages, Rachel et Léa ont perdu le statut d’un simple personnage, pour acquérir celui de personnage paradigmatique. Cette mutation provient de leur statut de matriarches. Deux passages du Midrach mentionnent Rachel en citant un verset de Jérémie. Dans ces passages, sa représentation change radicalement, comme nous l’avons montré. Nous pensons que ces représentations multiples sont liées à l’hétérogénéité du Midrach.

 

 

Nous avons remarqué que leurs représentations ne différaient pas réellement entre le Talmud et le Midrach en dépit de ce que nous aurions pu attendre puisque ces deux ouvrages appartiennent à des types littéraires différents. Ce point nous semble important puisqu’il nous montre que la dichotomie habituelle entre Talmud-savant et Midrach - populaire est nuancée.

 

Dans la dernière partie du travail, nous avons étudié leurs représentations dans le Zohar. Nous avons pu constater Il semble que les textes parlent pour eux-mêmes.  que Rachel et Léa y sont représentées d’une manière radicalement nouvelle. Ce changement nous a conduit à les qualifier de figures et non plus de personnages. Elles ne constituent plus uniquement des personnages humains, mais deviennent des figures emblématiques d’une extrême importance. Bien qu’elles étaient importantes dans certains passages dans les ouvrages précédents, le caractère central qu’elles ont pris dans le Zoharest d’un ordre catégoriquement différent.

 

 

 

Le changement de leurs représentations dans le Zohar

 

L’aspect ‘belle fille bien aimée’ de Rachel que nous avons rencontré de Rachel dans les sources précédentsprécédentes, devient ici un caractère immanent de Malkhout, la sefira dévoilée et apparente à laquelle Rachel est identifiée. Elle n’est plus muette dans la rencontre avec Jacob, mais au contraire, l’attrape, sans qu’il ait conscience, grâce à sa brillance extérieure. Nous avons vu que Rachel est également identifiée à la Chekhinah. Rachel devient donc une des figures centrales du Judaïsme. Elle n’est pas seulement active à l’échelle familiale, mais est est considérée comme une celle qui pourra permettre au peuple juif d’accomplir sa rédemption.

 

D’une manière semblable, l’aspect midrachique ‘haï’ et occulté de Léa est considéré comme un caractère immanent de la sefira la sefira à laquelle elle est identifiée, Binah à laquelle elle est identifiée. Le caractère caché qui était perçu comme un défaut dans les autres textes est transmuté ici en une qualité à part entière : le fait de ne pas être facilement accessible[181] (donc Rachel). Elle est présentée donc comme une figure qui constitue un degré très élevé dans l’arbre sefirotique. Elle occupe le centre de nombreux passages.

 

Remarquons également un point important : dans le Zoharon ne s’exprime pratiquement plus à leur place. Elles ne jouent plus un rôle secondaire et se tiennent sur le même plan que les personnages masculins.

 

Un parcours global des sources étudiées nous à amené à nous demander comment peut-on expliquer pourquoi Rachel et Léa ont été choisies pour une identification  à des sefirot ?

Nous proposons l’hypothèse suivante:

Rachel et Léa n’ont pas été choisies par hasard dans le Zohar. Bien que leurs représentations diffèrent profondément des textes précédents, des étincelles qui y étaient déjà présentes ont pu attirer l’attention des cabalistes et les amener à les choisir. En effet, un petit nombre de passages du Talmud et du Midrach les présentent actives, révoltées, prenant des initiatives et changeant le cours des événements. Les thèmes qui les mentionnent de cette manière sont : la prière de Rachel ou de Léa pour le changement du sexe de l’enfant, le marchandage des mandragores, l’invitation de Jacob dans la tente de Léa, le vol des statuette par Rachel et Rachel pleure ses enfants, le peuple d’Israël et dialogue avec dieu.

Malgré leur petit nombre, ces passages ont peut-être suffi à inciter l’auteur du Zoharà en faire des figures entièrement actives et essentielles.

 

 

Pourquoi les représentations de Rachel et Léa ont elles subi une telle transformation dans le Zohar? Ch. Mopsik écrit au sujet de Rachel  : « comme la figure du Père ne suffisait plus à remplir l’espace du croire dans le Judaïsme ibérique, la figure de la Mère fut remise en scène et transforma le discours religieux, le ramenant à des sources anciennes, délaissées mais jamais totalement oubliées »[182]. Ch. Mopsik ne pense pas que les cabalistes ont féminisé une Chekhinah, mais plutôt qu’ils ont « pratiqué une lecture du Talmud et du Midrach libéré de certaines contraintes idéologiques auxquelles étaient soumis les rabbins à la fin de l’Antiquité. Il n’y avait plus guère de risque de théisme voir polythéisme à leur époque »[183]. Il nous semble difficile de tenir l’hypothèse de lecture libre puisqu’on a vu que le Talmud et le Midrach les minimisent toutes les deux.

 

Il y aurait donc eu une conjonction entre un besoin social, une liberté vis-à-vis de l’autorité, et la représentation de Rachel qui possédait déjà les éléments emblématiques nécessaires à sa transformation. Cet ensemble de circonstances a permis la une transformation du personnage biblique à une entité appartenant à la divinité.

 

 

Est-elle pour autant divinisée ?.

Ch. Mopsik écrit : « pour exercer la même fonction sociale, il fallait qu’elle soit explicitement identifiée à une figure divine, arrachée à l’histoire ancienne et ranimée par le divin. Ce qui ne veut par dire que l’on puisse parler d’une « divinisation » de la personne de Rachel, parce que celle-ci conserve aussi sa réalité humaine et historique pour le Zohar »[184]

Le fait que Rachel conserve également sa réalité humaine et historique ne nous semble pas un problème pour évoquer une divinisation. Le Zoharprésente souvent des images avec une grande complexité. Il se trouve dans le royaume des ‘et’ et non pas des ‘ou’. Il nous semble que d’appliquer cette condition à une divinisation risque de laisser échapper une belle complexité immanente au Zohar. Nous pouvons dire que Rachel a été divinisée si l’on accepte que cela veut dire qu’une dimension supplémentaire lui a été ajoutée sans lui enlever pour autant ce qu’elle a représenté auparavant. Elle est à la fois une figure divinisée et un personnage humain ! Elle ne perd pas de sa réalité, elle ne devient pas une fiction, au contraire, elle est plus réelle qu’avant. Elle est une « vérité émotionnelle vécue collectivement »[185].

 

Par ailleurs, on pourrait se demander, si cette figure féminine divinisée constitue une menace pour la représentation monothéiste. Nous pensons que la réponse est négative. Une des raisons pour laquelle cette figure ne constitue pas une menace est justement le fait que Rachel conserve sa réalité humaine et historique[186]. Elle n’a donc rien a voir avec ce Dieu unique caché et inaccessible à propos duquel nous ne savons presque rien. Rachel, au contraire est toute proche et intimement accessible ainsi que dévoilée et familière. Comment peut-elle constituer une menace à ce Dieu unique ? Elle n’est pas positionnée au même niveau que lui.

Il intéressant de noter que Léa est également divinisée sans être identifiée ouvertement à la Chekhinah[187].

 

 

Perspectives en vue d’une étude ultérieure

 

 

  1. Aspect socio - anthropologique: la représentation de Rachel et Léa aujourd'hui.

 

Il serait intéressant d’étudier leurs représentations dans la société contemporaine puisqu’elles sont toujours importantes dans le Judaïsme. Dans quel contexte social et religieux apparaissent-elles ?.

 

 

a. Des rituels à leur sujet 

           

Nous pouvons trouver plusieurs champs dans lesquels des rites leurs sont consacrés. Dans les cercles cabalistiques, des rituels, des Tikounim (rites réparateurs), leur sont spécialement consacrés[188]. Ainsi, comme nous l’avons mentionné dans ce travail, elles apparaissent à plusieurs reprises dans le livre de prière classique et dans Sidour Ha'ari, un livre de prière cabalistique.

Il serait intéressant de voir quelle est leur représentation d'après les prières .

Ce genre d’étude s’étant à leurs représentations au présent aussi bien que celles du passé, puisque ce sont les même livres qui accompagnent le peuple juifs depuis des siècles.

 

            Un rituel supplémentaire les concerne : Il s’agit du pélérinage à la tombe de Rachel. L’emplacement qu’on attribue à sa tombe se trouve à Beit Léhem (בית לחם). Ce lieu est devenu un site important de pèlerinage. Une iconographie importante de la tombe d’ailleurs s’est développée. Sa photo est mise en vente et son dessin se trouve souvent à l’intérieur des synagogues. Nous avons ainsi remarqué deux grands tableaux dessinés sur le mur des trois grandes synagogues de Safed. L’un représentait le mur des lamentations et l’autre la tombe de Rachel. Ces données illustrent la grande importance de la tombe. Il serait donc intéressant d’étudier la nature de ce rite en cherchant les raisons de son existence.

                                   

 

          b. Le discours actuel à leur égard.

     

Il est intéressant d’entreprendre une étude sur le discours exprimé aujourd’hui à leur égard. Elles sont mentionnées à diverses occasions en Israël dans la poésie, littérature, et des ouvrages de science humaine. Il serait passionnant de voir de quelle manière elles y sont représentés et de vérifier si leur représentation prolonge celle des textes que nous avons analysé.

 

Il serait également intéressant d’étudier leur représentation dans la société et d’entreprendre une enquête d'entretien sur leur représentation sociale.

Nous avons effectué un travail préliminaire et[189] nous avons pu entendre une grande variété de réponses. Nous avons rencontré des personnes qui se sentaient intimement liée à elles ou à l’une d’elles, c’est ainsi que nous avons entendu des expressions suivantes : « je n’ai pas encore décidé si je suis amoureux de l’une ou de l’autre »[190]. « Auparavant j’ai préféré être  Rachel car elle est la belle et bonne reine qu’on aime, et je n’aimais pas Léa qui était pour moi celle qui ne réussit pas et qui est laide et non aimé. Aujourd’hui, je pense qu’en réalité, c’est Léa qui est la plus intéressante des deux. [191]». « Je sens plus de proximité vis-à-vis de Rachel car elle est la femme qui crée l’amour dès le premier regard. Elle est belle tandis que de l’autre, on dit qu’elle est laide.[192] ». Nous avons même rencontré une personne qui se disait une ‘étincelle’ de Léa[193].

Pour ces personnes Rachel et Léa sont présentes donc à titre symbolique. Nous avons également parlé avec des Israéliens pour qui Rachel et Léa ne signifiaient strictement rien. Ils ne savaient même pas qui elles étaient dans l’arbre généalogique biblique.

 

Il serait intéressant de vérifier la relation entre les réponses et la couche sociale, la relation à la religion, le rapport aux femmes etc. Il faudrait réaliser des entretiens avec des personnes de confessions religieuses différentes ou laïques.

 

 

  1. La représentation en image dans l’art plastique et dans l’art lyrique de Rachel et Léa l'art juif et non juif, dans l’art sacré et profane.

Il serait intéressant d’étudier à travers ce moyen de quelle manière elles sont présents dans d’autres religions. Michel-Ange, par exemple les a sculptées. Toutes les deux.

 

 

  1. L'étude sur Rachel et Léa comme miroir ou clé de compréhension socio-historique de la société juive au Moyen Age:

a. Etant donné qu’il est clair que les idées de l'auteur du Zoharreflètent, dans certaine mesure, celles de sa société et de son époque, que peut-on tirer comme informations à partir de leur représentation sur la réalité historique de l’époque ?

Quels types d’informations peut-on récolter également sur les femmes de la société juive en Espagne au Moyen Age?

 

b. Un moyen supplémentaire de se procurer des informations sur le statut des femmes au moyen âge à travers la représentation de Rachel et Léa est l’étude des sermons[194]. Il nous est parvenu de nombreux sermons, ‘drachot’,  de rabbins du moyen âge en Espagne. Ces sermons portent également sur la lecture hebdomadaire de la Bible et mentionnent Rachel et Léa. Puisqu’elles représentent des personnages paradigmatiques,  on peut s’attendre à un lien entre leur description et les qualités exigée de la femme juive de cette époque. Il existe également des sermons adressés uniquement à des femmes dans leurs synagogues ? il serait intéressant de comparer les discours à leur égard.

 

 

  1. Il serait important d’étudier quelles sont les conséquences du changement apparu dans le Zoharpour les écrits postérieurs? Est-ce que leur représentation dans ces écrits continuent la représentation biblique ? michnique ? zoharique ?

Il faudrait également étudier les commentaires du Zohar, la Cabale de Luria, le hassidisme et les autres courants du Judaïsme.

 

 

  1. il serait intéressant de suivre le parcours d’un thème à travers plusieurs sources premières pendant une longue durée[195]. Par exemple, analyse comment « Léa est haïe » est interprétée. chercher ce qui change et ce qui se répète et comment les interprétations se réfèrent à la Bible. 

 



 

BIBLIOGRAPHIE

 

 

 

Sources primaires

 

 

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Accueil



[1] Par ‘Zohar’ nous entendons le corps du Zohar (גוף הזוהר). Voir, Y.Tishby, Michnat ha Zohar,  Ch. Mopsik dans « Le corpus zoharique, ses titres et ses amplifications ».

[2] Sarah, Rébecca, Rachel et Léa. Les trois Patriarches : Abraham, Isaac, Jacob.

[3] I.Elbogen, La prière en Israël dans son évolution historique. P. 145-147.

[4] Sefirot : le système d’émanation divine. La Cabale ‘Théosophique’ a développé une structure de dix Sefirot. Chacune représente un aspect de la divinité : la rigueur, la sagesse, la miséricorde etc.

[5] Les sefirot sont désignées rarement par leur nom dans le ‘corps du Zohar’, on utilise souvent d’autres appellations, comme celles mentionnées ci-dessus. Une liste qui contient des appellations se trouve dans le Zohar Tome IV, Ch. Mopsik P. 211-217.

[6] On le verra par la suite dans le Chapitre sur le Zohar.

[7] On le montrera dans le chapitre sur le Zohar.

[8] On y reviendra dans la discussion.   

[9] G. Scholem, La Kabbale et sa Symbolique, (nous citons de l’édition en Hébreu) P. 259-307, Ch. Mopsik. Le Zohar Lamentations, (Lam) P.20-31.

[10] G. Scholem, Ibid, P 259..

[11] E. Urbach,  Les Sages : Leurs conceptions et leurs croyances (en Hébreu), Il ne mentionne pas Rachel liée à la Chekhinah.

[12] Pour de plus amples informations, voir R.Pataï, The Hebrew Goddess  et E. Urbach, Ibid.

[13] Ch. Mopsik, Ibid. P. 45.

[14] Nous n’avons pas trouvé une définition qui répond exactement à notre besoin. Celle du dictionnaire des littératures de Larousse propose: « La notion de figure implique une opposition entre un usage normal, spontané « naturel » de la langue et un usage  imagé, volontaire, qui ne contenterait plus de désigner, mais viserai à évoquer à signifier par symbole » P.571. mais qui reste incomplète. C’est pourquoi nous avons tenté de la définir avec l’aide de Ch. Mopsik.

[15] Définition du Robert Micro:  passif: "qui se contente de subir, ne fait preuve d'aucune activité, aucune initiative." actif: "qui agit (personnes), implique une activité (choses)."

[16]  Au contraire, dans le Christianisme au moyen âge, le peuple analphabète avait seulement accès aux livres à travers les prêtres. Les textes religieux ne reflètent donc pas le savoir qui était transmis à la population.

[17] Y.Baer, L’Histoire des Juifs en Espagne Chrétienne, Tel-Aviv, 1945.

[18] L’index des articles des Etudes juives. L’adresse :http://sites.huji.ac.il/jnul/rambi/

[19] En ce qui concerne les autres matriarches, la situation est semblable. En revanche, sur les patriarches il y a 4 fois plus d’articles en moyenne.

[20] Dans un nouvel article de B.Huss, il crée un lien entre la figure de Moïse dans le Zoharet l’auteur du Zohar. Même dans cette recherche, l’objectif n’est pas de comprendre la représentation de Moïse en soit, mais de tirer des informations sur l’auteur du Zohar. Nous n’avons pas le titre exact. Cependant il se trouve dans la Revue Kabbalah, sortie récemment.

[21] Il a eu lieu entre les années 586-516. Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme ; P.389 cerf  1993.

[22] R. Patai, Ibid.

[23] Il existe également le Talmud de Jérusalem, rédigé en Israël et clôturé au 5ème siècle mais il a été moins important dans le Judaïsme que celui de Babylone qui est simplement appelé aussi ‘Talmud’.

[24] Halakhah : « branche de la littérature rabbinique qui traite des obligations religieuses auxquelles doivent se soumettre les Juifs » DEDJ p.459.

[25] A.Steinzaltz dit que la quête de la vérité est commune aux deux courants qui cherchent à comprendre. A.Shinan dit que ce partage est problématique puisque dans la réalité ils sont mêlés l’uns à l’autre. Le monde de la littérature aggadique,  P.95-104.

[26] Midrach en français- exégèse.

[27]  H.Strack et G.Stemberger , Introduction au Talmud et au Midrash, P. 273-363.

[28] Voir A.Shinan, Ibid. sur le fait que le texte n’est pas complètement populaire P. 78-81.

[29] H.Strack, Ibid. P. 348-349. Le problème est qu’on y trouve des passages qui semblent avoir été ajoutés plus tardivement. On en n’est cependant pas certains.

[30], Ch. Mopsik, Cabale et cabalistes..

 

[31] Au sujet de la formation du corpus voir Y.Liebes, « Comment le Zohara été composé » (en hébreu), Ch. Mopsik « Le corpus zoharique, ses titres et ses amplifications ».

[32] Voir Ch. Mopsik, ibid. P.58-59.

[33] Sur la réception du Zohar, son statut, voir B.Huss, « Sefer Ha-Zoharas a Canonical, Sacred and Holy text ». 

[34] Huitième siècle.

[35] Merci à Ch. Mopsik, de m’avoir sensibilisé à ce critère de Littérature savante ainsi que littérature populaire concernant le Judaïsme. Merci également à J.Baumgarten de nous avoir indiqué des nuances dans la classification.

[36] H.Strack, Ibid., P.348 .

[37] La question de l’auteur du Zoharest encore en discutée. Certains comme Scholem et Tishby pensent que l’auteur principal est Rabbi Moïse de Léon. D’autres comme Liebes suggèrent que le Zohara été écrit par un groupe. Nous allons parler de ’auteur’ par confort uniquement.

[38] Ch. Mopsik écrit dans l’introduction de Chequel Hakodech, un écrit de Rabbi Moïse de Léon, que le dernier cite uniquement les sources, Midrach, Talmud, dans ces écrits, et ne mentionne pratiquement pas ses contemporains. Donc ces sources sont également pour l’auteur supposé du Zoharune base essentielle.

[39] ‘Objectivation’ dans le sens de construction d’un objet.

[40] Pour illustrer cet état : dans un entretien, une personne qui enseigne le Judaïsme dans une école parisienne nous a dit qu’elle même ne sait plus d’où viennent les histoires et commentaires qu’elle connaissait et enseignait à l’école et qu’elle le regrettait profondément, au point d’en avoir honte.

[41] Clés = passages qui ont été repris souvent dans la littérature postérieure.

[42]  Nous nous rendons rends compte au cours de notre recherche que c'est très difficile de lire les textes sans y projeter toutes les exégèses qui se sont accumulées. Est-ce qu'on peut raconter l'histoire tout simplement après avoir baigné dans des exégèses qui ouvrent et approfondissent des sujets?

Idée: Il faudra faire lire la Bible à des gens qui ne la connaissent presque pas, leur demander de raconter ce qu’ils ont compris, et après leur donner les midrachim sur les mêmes passages, et voir ce qui a changé dans leur perception du texte. Cela pourrait nous montrer la différence entre les textes, ce qui est plus difficile à voir, quand on les connaît d’avance.

[43] Le corps du récit est divisé en 5 sous parties a,b,c,d,e pour faciliter la discussion.

[44] Toutes les citations sont de la Bible du Rabbinat de France traduite par Zadoc Kahn, sauf exceptions qui vont être mentionnées

[45] גדולה  - grande קטנה – petite.

[46] Pour illustrer l’image reçue de ce passage, une jeune Israélienne laïque les a décrit dans un entretient comme des femmes qui ont des visages sans aucun trait distinct. Pour plus de détail sur l’entretien voir P. 

[47] Discussion.

[48] M.Idel, La Cabale. Nouvelles perspectives, P. 161-185.

[49] Il nous semble important de mentionner la traduction araméenne de la Bible nommée 'Targoum yerouchalmi', écrit en Israël et achevé en Babylone au 7ème siècle. Dans cette traduction ce passage de Jérémie Rachel devient Jérusalem, c’est à dire qu’à la place du nom de Rachel on trouve ‘Jérusalem’. Ceci témoigne d’une identification de Rachel à une entité emblématique déjà à cette époque.

[50] Les servants ne sont pas comptées.

[51] Divinisée : une entité qui devient une partie de la divinité, à qui on associe des attributs, une nature divine.

[52] Sota 20b, Erouvin 13a, Yévamot 27a.

[53] Sota 36b.

[54] ‘Cafoul’ (כפול) en Hébreu-double.

[55] ‘arba’ signifie quatre en Hébreu

[56] A.Steinzaltz l’explique : en tant que frère cadet il a aussi le droit d’y être enterré, Le Talmud, Araméen-Hébreu, P. 54.

[57] La suite du passage : Comme on lui répond que ce n’est pas vrai, il demande une preuve. Alors, on envoie Naftali la chercher en Égypte et ils attendent tous. Lorsque Houchim, est au courant de cette scène, il n'est pas d'accord que Jacob soit humilié (בבזיון) de cette façon et il frappe Esaü. Les yeux de ce dernier tombent alors en face de Jacob qui ouvre les siens et sourit.

[58] Cela serait se référer à la Légende ‘grand pour grande’ de Midrach Rabba.

[59] Le commentaire talmudique semble s’appuyer sur le mot ‘alai’ (עלי)  qui signifie ‘sur moi’, et qui crée le lien entre la mort de Rachel et Jacob.

[60] Le premier mois du calendrier hébraïque.

[61] Visitées dans le sens de fécondées.פקדה'.

[62] Talmud, P. 27.

[63]גזרה שווה  :  un processus qui constitue à établir un parallélisme lien entre deux passages qui contiennent dles mêmes mots identiques.

[64] On peut se demander pourquoi Léa n’est pas citée en exemple à la place de Rachel. De fait, Dieu a agit sur Léa avant Rachel en lui ouvrant son sein. A ce sujet, A.Steinzaltz cite le commentaire du Maharacha qui explique : bien que l’expression ‘ouvrir son sein’ ait d’abord été évoquée dans la Bible à propos de Léa, le cas de Léa n’est pas rapporté en tant qu’exemple de clé de vie. Selon lui, le verset sur Rachel est plus explicite (מפורש) puisque le nom de Dieu se trouve à une plus grande proximité de ’ouvrir son sein’ dans la phrase citant Rachel que dans celle citant Léa. P. 12.

[65] Traduction Rabbinique – Jael.

[66] Rachi commente ce passage. Yaël sera bénie vis-à-vis de ces femmes qui ont accompli un devoir moral mais pas pour Dieu (מצווה שלא לשמה) et sur toutes est dit 'tente' (אהל). La raison de sa bénédiction est qu’elle a commis un péché pour glorifier dieu (עברה לשמה) afin d'épuiser la force de ce méchant, pour le tuer ensuite. Il mentionne Sarah, Rachel et Léa qui on proposé à leur mari de s’unir (לבוא) à leurs servantes pas pour un devoir moral (מצווה), mais parcequ'elles étaient jalouses l’une de l'autre : Rachel de sa sœur et Sarah et Léa des autres matriarches.

Nous pouvons noter que Rachi chasse de la liste Rébecca et on pourrait se demander si son interprétation a vraiment le sens de ce que le talmud voulait car il enlève la quatrième femme et ajoute un sujet qui n'est pas mentionné, celui des servantes.

Rachi dit que Yaël est comparée à ces femmes car, pour toutes on dit ‘tente’ et les trois ont donné leur mari à la servante pour s'accoupler pas pour accomplir un devoir moral, mais parcequ’elles étaient jalouses

[67] Ce qui laisse sous-entendre que Salomon est supérieur à David.

[68] ‘Mi’ est une préposition en Hébreu qui peut signifier plusieurs choses : soit une indication de l'origine, soit une comparaison.

[69] cité dans la note 15

[70] Rachi a rédigé ses commentaires des siècles après la clôture du Talmud, son critique pourrait refléter une approche différente aux matriarches courante à son époque.

[71] Genèse 29 :31.

[72] Il risquait de lui donner Léa en mariage à la place de Rachel

[73] Pour qu’ils puissent bien se reconnaître.

[74] On détaille en quoi Esther était modeste. Ce qui est dit pour Esther est vrais aussi pour Saoul, qui provient également de Rachel.

[75] Ecrit au 15ème siècle, il contient une explication sur la terminologie du Talmud et du Midrach.

[76] Rachi dit que c'est parcequ'elle a vu dans le Saint Esprit que Jacob aura (מעמיד)12 tribus, donc elle a plus d'enfants de ce qu'elle devait avoir en sachant qu'il y a 4 femmes[76]. A.Steinzaltz apporte le commentateur Rachba qui affirme que Léa n'était pas la première qui a remercié Dieu pour un bien qui lui a été fait, mais qu'elle a renouvelé dans le type de remerciement car, elle se contenait de ce qu’elle avait (השפע) et qu’elle le remerciait pour ceci.

[77] Citation de la Michna traité Berahot 9, chapitre 3, où c’est apporté comme un cas de prière vaine.

[78] Nous proposons comme traduction à ואחר -‘ensuite’  

[79] D’après A.Steinzaltz, c'est à dire qu'on n'apprend pas une loi générale d'un cas de miracle particulier. P. 262.

[80] Repris de Nida 25b.

[81] Ceci est basé sur le Lévitique 12,2 ou il est dit : אשה כי תזריע וילדה זכר""

[82] Un autre passage qui parle de la jouissance de l’homme ou la femme comme déterminant le sexe de l’enfant se trouve dans Nida 31a (131), où le cas de Léa est apporté également. 

[83] Afin d’expliquer cette possibilité, A.Steinzaltz  cite un commentaire (נפש ה') où il est écrit que même si les miracles arrivent parfois, un homme n'a pas le droit de demander qu’il y ait un changement dans la nature existante.

[84] On y reviendra dans le chapitre sur le Midrach  pour comparer des différentes versions de ce passage.

[85] A.Steinzaltz explique qu’on demande si c'est bien (נאה) d'exiger de son mari une relation sexuelle?

[86] D'après A.Steinzaltz, quand on parle au sujet de la femme qui demande à son mari de s’unire avec elle, on ne dit pas qu'elle lui dit directement avec la bouche (בפרוש בפה) mais qu’elle montre sa volonté et lui, il comprendra de sa propre volonté ( de lui-même) ce qu'elle voulait dire.

[87] Des passages de l’époque de la Michnah qui n’y a pas été intégrée.

[88] Rav Achi conclut qu’il y a deux sortes de versets avec ‘vayehi’ un bien et l’autre mal, mais des versets qui contiennent ‘vayehi bimey’ (ויהי בימי) il n’y a que ‘lechon tsaar’  (לשון צער).

[89] Sauf dans les passages sur les signes.

[90] Au sujet de la ressemblance entre la littérature halakhique et aggadique, voir A.Shinan, ibid., 95-104, H.L.Strack, qui critique la classification à halakhique et aggadique, ibid., p. 280-281.

[91]  A.Shinan, ibid. p.78.

[92]  Ibid. p.80.

[93] Nous trouvons que l'argument de A.Shinan au sujet du peuple est problématique, car, puisque les couches populaires allaient écouter des sermons  des sages, ils avaient donc connaissance de ces midrachim, et pouvaient ainsi les transmettre à leur entourage.

[94] De nombreux écrits, les commentaires aux Midrachim, rendent plus explicites les motivations midrachique.

[95] Cinq meguillot.

[96] La liste complète des livres se trouve chez H.L.Strack, ibid.,  p.319-356.

[97] Ibid., p. 323. il dit qu’il y a plusieurs sources dont le Talmud de Jérusalem (TJ) qui ont dû être connu au Midrach Rabba sous une forme non définitive, il cite Ch.Albeck qui montre plusieurs parallélismes entre le Midrach Rabba et le TJ , la Michnah, la Tosafta, et les Midrachim halakhiques.

[98] Certains thèmes ont été sélectionnés car ils sont repris dans de nombreux passages.

[99] Les citations de GenR. se basent sur l’édition de A.Mirkin.

[100] A.Mirkin dit que les bergers ont remarqué que Jacob commençait à poser de nombreuses questions sur Laban et ils voulaient se débarrasser de lui, donc, ils lui ont annoncé que c'est sa fille qui venait, de cette façon il les laissera tranquille. P. 107.

[101] On y reviendra dans la présentation sur le passage de Jérémie.

[102]מחסרה אלא בעלה שנאמר(...) "מתה עלי רחל" . מתה האשה מי ,

[103] A.Mirkin reconnaît que ce passage est difficile à interpréter. שעשתה כמעשה שנואים

[104] En se basant sur ‘grand pour grande et petit pour petite’.

[105] c’est à dire qu’elle ne s’est pas mariée avec Esaü mais avec Jacob avant Rachel

[106] Ce verset indique qu’il s’agit d’un signe de reconnaissance de la part de Jacob vis-à-vis de Léa.

[107] Cette interprétation nous paraît très intéressante surtout en regard de la Cabale, où, effectivement Léa apparaît d’une manière complexe.

[108] Comme nous l’avons montré plus haut.

[109] Ce passage a été présenté également au sujet de la mort de Rachel puisqu’il appartient aux deux.

[110] Donc ce passage pourrait être compris comme si elle était uniquement la ‘mère’ de sa descendance directe.

 

[111] Nous allons considérer le LamR à part.

[112] Ch. Mopsik, voir Zohar Lam. p. 41- 45.

[113] Nous n’allons pas en parler davantage malgré son importance puisqu’il a déjà été étudié : Ch. Mopsik en perle dans le tome IV du Zohar p. 16-23 et dans son édition sur le Zohar Lamentation. Un mémoire de DEA vient d’être achevé sur ce sujet par J.Milewski où il compare ce passage avec un passage de ZoharLamentations : Etude de la petiha du Midrach Eikha Rabba. Nous l’avons également traité brièvement dans notre maîtrise.

[114] Citation de la traduction de Ch. Mopsik Zohar Lam. P. 144-154.

[115] Il est même différent du passage de GR. 82:10 qui montre Rachel comme figure importante, mais ici elle encore beaucoup plus essentielle, active et présente.

[116] H.L.Strack, ibid. p.327.

[117] Ibid. p.329.

[118] Ibid., p.329.

[119] Ibid., il est dit qu’elle était l’essentiel de la maison.

[120] Une version semblable à celle-ci se trouve dans GenR 71 :2 : « malgré ce fait ».

[121] Ibid. p.112.

[122] Développement du sujet - voir dans la discussion de ce chapitre.

[123] Idée proposée par Ch. Mopsik en discutant.

[124] Cela serait à l’opposé du Zohardont, comme le dit Idel dans l’entretien avec C.Malka, chaque lecture dans le Zoharsemble être nouvelle, on découvre de nouvelles choses, tellement tout est en mouvement, lié à tout et d'une grande profondeur. On a l'impression que même si on y puise beaucoup, on n'arrive pas à la fin. Le Midrach Rabba n'a pas l'air d'avoir le même but, ce n'est pas qu'il a essayé, mais il fait autre chose.

[125] a. GenR 70,16 : Léa pleure puisqu’on disait ‘grand pour grande’.. et Rav houna dit que sa prière a changé le cours des événement. Ce passage se trouve également dans le Talmud (voir p.  de ce travail).

 b. GenR 72,5 : Léa est sortie vers Jacob en lui proposant de s’unire avec elle pour un but céleste. La preuve du but est la naissance de Issashar.

c. GenR 74,5 : Rachel vole les statuettes de son père.

d. GenR 74,4 : Rachel réponde à Jacob avant Léa ce qui cause sa mort.

e. 82,10 Rachel cités dans Jérémie.

f. LamR - petihtah 24.

[126]  Rares sont les passages dans lesquels elles sont en tant qu’exemple illustratif. Par exemple : GenR 73 :4 où nous trouvons le passage du Talmud sur les trois clés. Un autre cas, GenR 80:5, où Rachel est mentionnée dans le cadre de la création de la femme. On rapporte les hésitations de Dieu de quelle partie il devrai créer la femme. Il élimine des possibilités : pas de l’œil pour qu’elle ne soit pas curieuse, pas de pas de la bouche pour qu’elle ne soit pas bavarde, pas de la main pour qu’elle ne soit pas jalouse, pas de la main pour qu’elle ne soit pas voleuse (משמשנית) etc. des exemples sont rapportés par des citations bibliques afin de le démontrer. Pour les deux derniers cas on cite deux versets sur Rachel ; l’un sur la jalousie envers Léa ( Gen. 30 :1) et l’autre du vole des statuettes (Gen. 31 :19). Un autre exemple est le passage qui se trouve également dans le Talmud sur les femmes stériles fécondées à Roch-Hachannah GenR 73:1.

[127] Ibid., p. 348.

[128] Nous allons les comparer dans la discussion générale.

[129] Cependant, les différences entre ces passages et le Zoharsont claires car des dans GR 82 :10 elle reste quand même ‘muette’ et il est dit (dans la version de Mirkin) qu’elle est la mère d’Israël et on nomme Joseph et Ephraïm uniquement (donc ce passage pourrait être compris comme si elle était uniquement la ‘mère’ de sa descendance directe). et Ddans LamR, elle n’est pas mentionnée en tant que la Chekhinah.

[130] Il s’agit de la page hebdomadaire l’Université Bar-Ilan sur la Paracha de la semaine. C’est sur Internet adresse  http://www.biu.ac.il/JH/Parasha/vayetze/ben.html.

[131] sur laquelle témoigne le commentateur le Maharacha (dans ce qu’il a écrit sur le traité Nida dans le Talmud),  et Rabi Moché Margaliot dans ‘Pné Moché’,

[132] D’ici son article se transforme en sermons. Il dit que la deuxième catégorie est la preuve qu’on accepte dans le Judaïsme les mères porteuses, puisque c’est ce qu’on étaient Léa et Rachel dans cette version (en portant le fétus de l’autre).

[133] Ch. Mopsik  Zohar Lam P. 44

[134] Ainsi, les commentaires sur Rachel et Léa dans le Talmud font partie de cette littérature aggadique. Ce qui ne pourra pas supporter des contradictions est la conclusion que l’on déduit de leurs mention et non les différentes manières de les présenter.

[135] En ce qui concerne le Talmud, il a pu subir des modifications jusqu’au moment de sa clôture. Strack expose plusieurs hypothèses sur la durée de sa rédaction qui sont très différents l’un de l’autre. P.232-244.  

[136] Voir M.Idel, La Cabale. Nouvelles perspectives, p. 14-17.

[137] Ce qui constitue le quatrième niveau de lecture. Voir G.Scholem, La Kabbale et sa Symbolique, p. 54-60.

[138] Voir une liste qui répertoriée une partie des appellations dans Zohar IV de Ch. Mopsik p. 212-217.  

[139] Dans le corpus entier, Léa est citée 100 fois et Rachel, 199 .

[140]רחל ולאה בזוהר

[141] Citation de l’édition de Ch. Mopsik, Zohar, Tome II, p. 345.

[142] Dans le Midrach c’est le contraire.

[143] אלא באתדבקותא דרוחא בה לא יכיל לבא למסבל ובכה.. Toutes les citations viennent de l’édition la plus courante, celle de Mantou.

[144] Pourquoi y-a-t’il cette différence ? Peut-être y avait-il une certaine pudeur dans le Midrach à parler de sentiments, et la grande liberté des cabalistes a pu briser cela .une idée proposée par Ch. Mopsik en discutant.

[145] Le lien existant est établi dans le mot souffle, qui est une des appellations à Tiféret.

[146] Tiferet est une sefira, Jacob y est identifié.

[147] Comme il est écrit : קנאת סופרים מרבה חוכמה ב"ב 22

[148] Bien que la loi ait seulement été délivrée après la sortie d’Egypte, donc après la mort de Jacob, c'est bien une transgression de la part d’un Patriarche qui est un personnage symbolique normatif dans le Judaïsme. Ainsi Il y a là un problème.

[149] Le texte atteste que Léa est bien le monde d’en-haut d’après l'expression 'il' qui n'est pas à sa place dans ce verset et il est en effet une des appellations de Bina. 

[150] Ch. Mopsik ZoharII p. 350-351.

[151] Ibid. P. 351.

[152] Ketem paz (commentaire) propose comme explication que Jacob voyait que Léa était la Mère d’en-haut et c'est pourquoi il n'évoqua pas à son sujet de l'amour explicite, et Ch. Mopsik dit que Jacob ne voyait pas que Léa tenait de la Mère d’en-haut et "la percevait comme sa propre mère devenue sa femme". Il nous semble que s’il ne voyait pas son aspect symbolique pourquoi il la verrait comme une mère?. d'où viendrait cette association de Léa  avec Rébecca?.donc l’énoncé est problématique.

[153] Nous utilisons tantôt les noms propres et tantôt les noms des sefirot puisqu’ils désignent la même chose.

[154] Elle appartient aux trois premières sefirot qui forment une unité séparée, la couronne. Tandis que les sept autres sont considérées comme le corps de la couronne.

D'ici on peut comprendre également pourquoi le Zoharpropose comme interprétation à la nuit de noce de Léa et Jacob une compréhension du il en trop comme étant Hokhma qui s'unissait avec elle et non pas Jacob, qui est seulement son fils.

[155] Le fait qu’on mentionne les appellations des sefirot et on cite un verser avec le nom de Rachel et Léa montre que ces termes sont identiques. Rachel=monde d'en-bas.

[156] Ch. Mopsik, Ibid.  p. 364.

[157] On se réfère à Malkhout.

[158] Ch. Mopsik ibid. p.364.

[159] Ibid.  « la sagesse d'en-bas est identifiée à Malkhout » remarque 615.

[160] Ibid. 364.

[161] Ibid. 365.

[162]  P. 259-308.

[163] Ibid. P. 265.

[164] Ibid. P. 267.

[165] Nous avons rencontré à deux reprises des personnes connaissant très bien le courant rabbinique qui ne connaissaient pas ces idées exprimées. Pour eux, la Chekhinah est une partie immanente à la du Dieu.

[166] Ch. Mopsik, ibid. p.239

[167] Ch. Mopsik, Zohar Tome III.

[168] Maîtrise P. 59-63.

[169] Ch. Mopsik, Zohar Lam P.71.

[170] voir Ch. Mopsik Lamentation

[171] Par contre, si c'était une idée entièrement nouvelle, elle aurait créé des réactions fortes, ce qui n’a pas eu lieu. Ch. Mopsik a donc raison de dire qu'il est probable que c’était des idées anciennes qui ont reçu une expression ouverte dans le Zohar.

[172] Ce qu’on a fait rapidement, étudier cette question de la signification du terme Knessette Israël dans les passages où Rachel pleure, mérite d’être fait systématiquement partout.

[173] Y.Baer, parle d’un mouvement messianique très important au 13ème siècle. Voir L’Histoire des Juifs en Espagne Chrétienne P.163-200. Ch. Mopsik parle dans Zohar Lam. du besoin qu’il avait dans le peuple à cette époque d’une figure féminine P 35-40.

[174] « personnages féminines et symboles féminins dans le Midrach Lamentation Rabba »

[175] Ch. Mopsik Zohar tome II p. 372.

[176] Ibid.p. 372

[177] Ibid.p. 372-373

[178] L’ensemble des tribus au niveau sefirotique. Voir Ch. Mopsik ibid. rem. 676.

[179] Nous avons cependant des questions non résolues : pourquoi seulement ce qui révèle du monde d’en-bas doit être arrangé et non pas ce qui vient du monde d’en-haut ? comment est-il possible que la réparation de la maison cause la mort de Rachel ?

[180] Ibid., P.78 tome IV.

[181] Puisque le Zoharest en quête du secret et du caché, nous pouvons imaginer que la figure de Léa est plus séduisante pour son auteur.

[182] Ch. Mopsik Zohar, Lam .P.44

[183] Ibid. P 42

[184] Ibid. P. 21.

[185] Ibid. P. 21.

[186] Pour d’autres raisons, voir Ibid. P.22-23.

[187] Binah est appelée parfois ‘Chekhinah l’en-haut’, mais pas en tant que Léa.

[188] il s’agit du ‘Tikoun Hazsot’

[189] nous avons réalisé une vingtaine d’entretiens avec des des personnes Israéliennes et française, hommes et femmes.

[190] Propos d’un enseignant de Judaïsme dans une école parisienne.

[191] Propos d’une étudiante israélienne dite laïque.

[192] Propos d’un homme français laïc.

[193] Propos d’un un jeune Israélien.

[194] Merci à David Nirenberg de nous avoir proposé cette idée.

[195] Merci à J.Baumgarten de nous avoir proposé cette idée.


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