Métaphores et pratiques
sexuelles dans la cabale
Moshé Idel
Article publié en annexe
de Lettre sur la sainteté, le secret de la relation
conjugale entre l'hiomme et la femme dans la cabale, traduit
introduit et annoté par Charles Mopsik, Lagrasse, Verdier, 1986,
p. 328-358.
La présente étude* traitera de deux usages principaux
de l'imagerie et de la pratique sexuelles ainsi que des métaphores
du même ordre développées dans la littérature
de la cabale (1). L'on peut subdiviser, par commodité,
les divers types de motifs relatifs à la sexualité
en deux grandes parties, en fonction de leurs références
au plan théologique ou théosophique.
a) Quand la relation symbolisée par l'imagerie ou la pratique
sexuelle se situe entre l'homme et Dieu, je me référerai
à elle en tant que symbolisme vertical.
b) Quand la relation en jeu dans l'imagerie ou la pratique sexuelle
vise un processus se déroulant entre des entités
de même niveau, je m'y référerai en tant que
symbolisme horizontal. Le symbolisme vertical
est attesté dans les deux écoles principales de
la cabale: la cabale dite théosophique, dont le chefd'oeuvre
est le Zohar, et dans la cabale extatique, représentée
par les écrits de R. Abraham Aboulafia et de ses successeurs.
Le symbolisme horizontal apparaît presque exclusivement
dans la cabale théosophique. Grosso modo, les deux
principaux types de symboles surgissent déjà dans
les textes rabbiniques classiques: Talmud et Midrach. Cependant,
les cabalistes du Moyen Age, qui adoptèrent les motifs
sexuels préexistants, élaborèrent les détails
des conceptions rabbiniques touchant aux thématiques sexuelles,
et parfois intégrèrent des idées philosophiques
qui contribuèrent surtout aux formulations propres à
la cabale extatique.
Commençons par le symbolisme vertical. Ce type de symbolisme
inclut deux différents genres de symboles:
I ) La cabale théosophique se réfère à
la manifestation divine comme à une partenaire féminine,
tandis que les cabalistes (ou des figures idéales de l'antiquité
lointaine, héros bibliques ou rabbiniques) sont considérés
comme jouant le rôle masculin dans leur relation au divin.
2) La cabale extatique, à l'opposé, représente
le mystique ou ses facultés spirituelles comme féminin,
alors que les puissances supérieures, en l'occurrence l'Intellect
Actif, ou Dieu luimême, sont regardées comme
un partenaire masculin. Je parlerai de l'usage théosophique
du symbolisme vertical aussi bien qu'horizontal, comme d'un symbolisme
descendant.
Cette expression, proposée et définie par Erich
Kahler (2), indique un cas où la représentation
symbolique se détache d'ellemême, descend jusqu'à
nous, depuis une réalité antérieure et plus
haute, une réalité déterminante, et donc
supérieure à sa signification symbolique. Ce qui
revient à dire que des oeuvres réellement mythiques
et culturelles ne se proposent pas comme représentation
symbolique, elles sont censées décrire des faits
réels.
En ce qui nous concerne, la plus haute réalité
est le processus qui se déroule dans le monde intradivin,
le domaine des sefirot, qui servent d'archétypes pour les
processus à la fois verticaux et horizontaux. A l'opposé,
le symbolisme vertical de la cabale extatique sera considéré
comme un symbolisme ascendant (3), cette formule exprimant
l'élévation d'un acte sexuel corporel au statut
de métaphore pour la relation entre âme humaine et
entités supérieures.
Je vais d'abord examiner l'histoire du symbolisme vertical et
ascendant.
A - Le symbolisme vertical ascendant
C'est un lieu commun de dire que les littératures mystiques
tendent à exprimer la relation entre l'âme du mystique
et le divin au moyen d'une imagerie érotique (4). Tous
les corpus classiques d'écrits mystiques peuvent aisément
en produire maints exemples, parfois frappants, où des
images sexuelles sont ouvertement et fréquemment employées.
La cabale n'a rien d'unique à cet égard: elle use
aussi, très amplement d'images sexuelles et de métaphores.
Cependant, il y a quelque chose d'original dans cet ensemble d'écrits,
qui transcende l'usage plus commun de motifs sexuels et érotiques:
1a différence ne repose pas tant dans les textes que dans
leur contextes sociologiques.
Contrairement à leurs homologues chrétiens, les
mystiques juifs qui adoptèrent l'imagerie sexuelle afin
de décrire leur expérience du divin, partageaient
avec d'autres Juifs la conviction que le mariage réel et
l'accomplissement du commandement de la procréation constituent
un impératif religieux. Les cabalistes, en conséquence,
peuvent difficilement être considérés comme
des personnes pour lesquelles l'emploi de métaphores sexuelles
est une compensation de leur frustration en matière d'expériences
érotiques réelles (5). Abraham Aboulafia,
Isaac d'Acco, ou tout autre cabaliste qui sera mentionné
plus bas, étaient vraisemblablement mariés ou, du
moins, regardaient les relations sexuelles comme légitimes
d'un point de vue religieux. I1 en résulte que la récurrence
même de ce type d'imagerie dans des sources juives montre
à l'évidence que l'explication assez commune donnée
par quelques universitaires, quant à la genèse de
l'imagerie sexuelle dans une libido réprimée,
ne peut pas être davantage qu'une solution partielle.
Un bref examen du symbolisme vertical ascendant montre qu'il appert
dans deux grands types de textes:
a) La littérature juive ancienne: la Bible et les textes
talmudiques et midrachiques décrivent la relation entre
Dieu et le peuple juif - désigné parfois comme Communauté
d'Israël - comme une relation respective entre mari et
femme. C'est aussi la principale démarche suivie par la
littérature exégétique du Cantique des Cantiques,
dans les textes médiévaux, qui considère
sa signification simple comme relative au peuple d'Israël
et à Dieu. I1 s'agit à l'évidence d'une
partie du mythe national qui métamorphose la nation tout
entière en une entité entretenant une relation sexuelle
avec l'autre entité - la divinité. Cette relation
mythique a peu à voir avec une mystique. Elle est concernée
primordialement par la nation en tant qu'unité, tandis
que le Juif singulier est plutôt négligé comme
facteur significatif. L'individu, selon ces écrits juifs
classiques, peut prendre part à ce lien avec Dieu par sa
participation à une grande unité signifiante: Knesset
Israel. Son activité doit donc être destinée
à faire de lui une partie de ce plus grand corps.
L'imagerie érotique et sexuelle se fait jour, à
mon avis, seulement sur ce point: la relation de la mythique Knesset
Israel avec Dieu. Ce lien joue comme médiation entre
l'individu juif et la Divinité, quand bien même cette
relation est exprimée en termes sexuels.
b) C'est seulement plus tard, à l'époque médiévale,
qu'à côté de ce lien mythique, exprimé
dans une terminologie maritale, une relation mystique entre l'individu
et Dieu fait son apparition. L'âme humaine, ou parfois l'intellect
humain, ont été conçus comme féminin
dans leurs relations à l'entité masculine supérieure,
que ce soit l'Intellect Actif - regardé comme une puissance
cosmique - ou Dieu luimême (6). Tel est le modèle
adopté depuis la fin du XIIe siècle par
des philosophes juifs, et qui à partir de là, s'est
infiltré dans la cabale extatique. Je limiterai les remarques
suivantes à quelques exemples, le matériau étant
beaucoup trop abondant pour que je puisse le commenter ici.
J'ai choisi des illustrations qui nous permettront de sentir la
neutralisation de l'aspect mythique de Knesset Israel - telle
qu'elle apparâît dans les textes rabbiniques classiques,
ou dans la cabale théosophique (7) - et sa transformation
en une allégorie de la capacité spirituelle de l'homme.
Dans son Gan Naoul, Abraham Aboulafia écrit (8):
Le Cantique des Cantiques n'est rien autre qu'une parabole
pour Knesset Israel et Dieu, qui est pour elle comme un
parfait fiancé alors qu'elle est pour lui comme une jeune
épousée parfaite, lui au plan divin, elle au plan
humain (...) l'amour humain ne s'associe pas à [l'amour]
divin avant de longues études de Torah et avant une pleine
accession à la sagesse, ni avant la réception de
la prophétie.
Il ressort donc que l'accession à la prophétie,
ou en d'autres mots la réalisation d'une expérience
extatique, est l'équivalent de l'union d'un fiancé
et de sa promise. La nature du fiancé est claire: c'est
Dieu; la fiancée - Knesset Israel - est cependant
humaine. Sur la base de ce seul passage, il paraît évident
que Knesset Israel est conçue comme une entité
individuelle: après tout, la réception de la prophétie
est ordinairement une expérience individuelle.
Néanmoins, Aboulafia nous fait comprendre, dans une autre
de ses oeuvres, ce qui suit (9): Le secret de Knesset
Israel est... Knesset ISarEI, parce que
l'homme parfait comporte toutes choses ensemble et il est appelé
"la communauté de Jacob". La métamorphose
de la nation parfaite, partenaire de Dieu, en une âme individuelle,
est claire. Le sage se tient à la place de toute
la communauté de Jacob dans la mesure
où il inclut la Knesset dans sa pensée, l'Intellect
Actif, qui est représenté par le mot Israël.
L'expérience extatique est décrite par Aboulafia,
qui utilise encore de fortes images érotiques, comme une
unio mystica (10):
Telle est la force de l'homme: il peut attacher la partie
inférieure à la supérieure et la [partie]
inférieure s'élèvera et s'unira à
la [partie] supérieure, tandis que la [partie] d'en haut
descendra et embrassera l'entité qui monte à sa
rencontre, comme un fiancé embrasse réellement sa
fiancée, à cause de son grand et vrai désir,
propre au plaisir des deux, issu de la puissance de Dieu (ou du
Nom).
Selon Aboulafia, le but final de l'extase est le plaisir
du fiancé et de la fiancée, expression souvent
répétée dans ses écrits (11). Cette
union de l'humain et du divin représente un changement
clair, non seulement du mythique à la mystique, du national
à l'individuel, mais aussi de la terminologie traditionnelle
au langage philosophique. D'après un traité anonyme
de l'école d'Aboulafia (12): La faculté rationnelle,
c'estàdire l'âme rationnelle qui reçoit
l'influx divin, est appelée Knesset Israel, dont
le secret est l'Intellect Actif. Israël
ou Knesset Israël représente
donc l'intellect humain qui est relié, d'une façon
secrète, à l'Intellect suprême. La nature
de ce secret semble être la guematria suivante: Israël
a même valeur numérique que sekhel hapoél
(intellect actif) (13). J'inclinerais à résumer
le changement entre la vision classique et la vision spéculative
de Knesset Israel comme épouse de Dieu, de la manière
suivante: c'est seulement lorsqu'il a été interprété
comme se référant à l'individu, que ce terme
a été relié à l'union mystique entre
monos pro monos. Seulement alors le cabaliste pouvait se
voir comme une femelle à l'intérieur
de laquelle l'étincelle divine est semée et le fils
spirituel né, autrement dit, une transmutation de l'esprit
humain a lieu comme résultat d'un contact avec le divin
(14). Il importe de remarquer que le symbolisme épithalamique
(15) utilisé par Aboulafia est parfois transcendé
par l'apparition d'un symbolisme unitaire (16); un exemple: le
passage précité de Or ha Sekhel survient
immédiatement après le passage suivant (17) :
Le Nom (de Dieu) est composé de deux parties (18)
puisqu'il y a deux parties d'amour (divisé entre) deux
amants, et les (parties de) l'amour deviennent une seule (chose)
quand l'amour devient actuel. L'amour divin intellectuel et l'amour
humain intellectuel se conjoignent, devenant un.
Avant d'abandonner ce genre de métaphores, il est important
de souligner le fait qu'une expérience réelle d'un
contact sexuel n'est pas essentielle pour l'adepte de la cabale
extatique. Il peut l'avoir vécu ou non dans le passé
ou s'y adonner encore ou non dans le présent, l'acte même
de l'union sexuelle ne joue aucun rôle rituel dans l'expérience
mystique (19). Par nature, la cabale extatique est surtout soucieuse
des processus spirituels, pour lesquels les actions corporelles
pourraient être seulement une entrave.
B - Le symbolisme vertical descendant
Si homme et femme sont méritants la présence
divine (la Chekhina) demeure entre eux, sinon - un feu les consumera
(20). Quelle est la signification de ce dictum ? Un simple
avertissement visant à consolider les lois de pureté
? Peut être. Nonobstant cette possibilité,
j'aimerais proposer une interprétation plus élaborée,
concernant l'acte d'union entre homme et femme, lorsqu'il est
accompli en conformité avec le rituel juif, en tant qu'il
est chargé d'une signification théurgique (21).
Ou, pour le dire autrement, l'union sexuelle parfaite (22) influence
réellement la présence divine, la déterminant
à résider avec le couple méritant. Cependant,
quand l'union est accomplie par des personnes impures, le résultat
est fatal: un feu les dévorera.
Le couple d'opposés: la présence favorable de la
Divinité face au feu dévorant, nous rappelle une
possibilité inhérente à une autre situation:
l'entrée dans le sein le plus profond du sanctuaire juif.
Moïse était capable d'entendre la parole divine à
partir des chérubins dans le Tabernacle, tandis que Nadav
et Avihou furent consumés par le feu lorsqu'ils pénétrèrent
dans le sanctuaire (23). Ce parallélisme n'estil
qu'une pure coïncidence ? N'y atil aucune affinité
significative entre l'union sexuelle pure et le sanctuaire ? I1
me semble que la réponse est positive. La présence
divine était censée résider entre les deux
chérubins (24). Cette vision biblique a été
développée dans le Talmud: les chérubins
se tournent l'un vers l'autre quand Israël accomplit les
commandements, ou, comme le dit le Talmud, la volonté de
Dieu; mais, lorsqu'ils fautent, les chérubins détournent
leur face l'un de l'autre (25). Donc, grâce à l'accomplissement
de la volonté divine, les chérubins changent de
position, ce qui est apparemment décrit dans un autre passage
du Talmud (26) :
Quand Israël accomplissait le pèlerinage, ils
[les prêtres] déroulaient pour eux la Parokhet (le
rideau) et leur montraient les chérubins qui étaient
enlacés l'un à l'autre et ils leur disaient: "Voyez,
votre amour devant Dieu est comme l'amour du mâle et de
la femelle".
I1 semble, en conséquence, que l'accomplissement de la
volonté divine et l'amour de Dieu pour Israël trouvent
leur expression dans la position sexuellement orientée
des chérubins. I1 convient de nous attacher à la
signification précise de ce dernier passage: l'amour de
Dieu pour Israël n'est pas équivalent à l'amour
d'un chérubin pour l'autre, en d'autres mots: les chérubins
ne sont pas à la place de Dieu et d'Israël; seule
la nature de l'amour du mâle et de la femelle est une métaphore
de l'amour divin.
L'établissement de la présence Divine entre les
chérubins et entre mari et femme ayant mérité,
ne sont que des cas particuliers d'une intention plus générale,
exprimée par la sentence midrachique (27): Iqar
chekhina batahtonim hayeta, qui signifie
ceci: le lieu naturel de la Chekhina était en bas. La construction
du Temple, ou l'accomplissement des commandements - et dans notre
cas ceux qui sont liés à l'acte sexuel - visent
la restauration de l'état initial de la présence
Divine.
I1 est intéressant de noter qu'une discussion talmudique
sur l'impératif de préparer une résidence
à la Chekhina est encore liée explicitement à
la procréation (28); le refus de Ben Azaï quant au
mariage, afin de se consacrer à l'étude de la Torah,
est vertement flétri par quelques Tannaïtes; R. Eliézer
décida même que quiconque s'abstient de la procréation
sera puni de mort, il avance à ce sujet l'exemple de Nadav
et Avihou, qui moururent, selon cette interprétation, parce
qu'ils n'avaient pas eu d'enfants (29), et qui autrement
seraient restés vivants (30). Une autre explication du
châtiment de l'abstention est le fait qu'une telle restriction
cause le retrait de la Chekhina d'Israël, ce point de vue
s'appuyant sur le verset (3l): Pour être un Dieu pour
toi et pour ta semence après toi.
Le sage anonyme poursuit: Si ta semence est après
toi, la Chekhina réside [en bas], s'il n'y a pas de semence
après toi, sur qui la Chekhina résiderait, sur les
arbres et sur les pierres ? La procréation est donc
indispensable à la réalisation de l'état
idéal de la Chekhina, non seulement Elle est présente
durant l'acte même d'union entre mari et femme (32), mais
grâce à la nature productive de cet acte, elle continue
à résider en bas.
L'affinité entre la présence de la Chekhina sur
le couple de chérubins dans le Temple et sa résidence
sur le couple humain méritant est, à mon avis, hautement
significative. Tout se passe comme si le rôle religieux
des chérubins était transféré sur
les couples humains. Quand le Temple fut détruit, sa fonction
fut partiellement préservée par l'activité
humaine. Ce transfert fut, sembletil, rendu possible
par l'existence d'une très ancienne conception du Saint
des Saints en tant que chambre à coucher. Selon un traité
gnostique préservé à Nag Hammadi (33):
Les mystères de la vérité sont révélés,
quoique par symbole et par image, la chambre nuptiale demeure
néanmoins cachée. Elle est le saint des saints.
Le rideau au début cachait la manière dont Dieu
contrôlait la création, mais quand le rideau est
tiré et que les choses intérieures sont dévoilées,
cette maison sera laissée à la désolation.
Ou encore (34):
I1 y avait trois bâtiments réservés
spécialement au sacrifice dans Jérusalem. Celui
qui faisait face à l'Ouest était appelé le
"Saint". Un autre, faisant face au Sud, était
appelé le "Saint du Saint". Le troisième,
visàvis de l'Est, était appelé
le Saint du plus Saint... le Saint des Saints est la chambre nuptiale.
I1 semble bien que ces textes gnostiques reflètent une
perception juive du Temple préexistante; selon le
Midrach Tanhouma, commentant la référence
au lit royal dans le Cantique des Cantiques 3:7, le commentateur
anonyme avance que (35):
Son lit (celui de Salomon) est le Temple. A quoi le Temple
estil comparé en bas ? Au lit, qui sert au fructifier
et au multiplier. De même le Temple, tout ce qui s'y trouvait
fructifiait et multipliait.
Examinons l'assertion selon laquelle le rideau cachait la
manière dont Dieu contrôlait la création.
Il semble plausible de supposer que l'auteur gnostique cherchait
à suggérer un acte sexuel se déroulant dans
le Saint du plus Saint, ce dernier étant considéré
comme une chambre nuptiale. Par ailleurs, dans cette
chambre nuptiale, la façon dont le monde est
gouverné peut être visualisée. Je souhaiterai
indiquer pour conclure que les entités qui étaient
aperçues dans le Saint du plus Saint étaient liées
d'une part aux chérubins - à cause des tonalités
sexuelles - et d'autre part aux deux attributs de Dieu: Midat
ha rahamim (la mesure de clémence) et Midat
ha din (la mesure de rigueur), selon la terminologie rabbinique,
qui représentent la façon dont Dieu contrôle
la création.
Cette thèse est fondée sur le fait que déjà
Philon d'Alexandrie identifiait les chérubins avec les
attributs divins (36). Par ailleurs, des identifications de chérubins
avec des puissances masculines et féminines étaient
connues dès les temps anciens, même audelà
des frontières du judaïsme (37). Bien qu'une influence
de Philon sur l'Evangile de Philippe soit possible, cette
thèse n'est en rien la seule solution offrant une probabilité
susceptible d'expliquer comment des visions juives du Saint des
Saints ont pu atteindre l'auteur gnostique; il est tout aussi
probable que des traditions juives, contemporaines de Philon mais
peutêtre indépendantes de ses écrits,
étaient connues par l'auteur anonyme (38). Nous sommes
donc en droit de conclure qu'une perception sexuellement connotée
du Saint des Saints existait dans l'ancien judaïsme. Peu
après la destruction du Temple, nous découvrons
un substitut à la fonction de ce dernier en tant que lieu
de résidence de la Chekhina.
Suivant une idée repérée dans le contexte
talmudique envisagé plus haut (39), la présence
effective de la Chekhina requiert l'existence d'au moins vingtdeux
myriades d'enfants d'Israël (40), chacun devant contribuer
à la pérennité de cette figure. Le peuple
d'Israël est regardé, en tant qu'individus ou en tant
que nation, comme Imago Templi, thème qui influença
aussi bien le christianisme que l'islam. D'après cette
conception, l'union pure du mâle et de la femelle fonctionne
comme un acte de restauration, permettant à la Chekhina
de conserver sa place naturelle: le sein de la nation juive. Au
moins partiellement, la procréation est accomplie en faveur
de la divinité, elle est un effort pour rétablir
l'harmonie existant pendant la période où les Temples
étaient en fonction. I1 semble donc raisonnable de supposer
que le dictum cabalistique médiéval: Chekhina
batahtonim (ô béisrael) tsorekh gavoa:
La présence de la Chekhina en bas (ou parmi Israël)
est pour Son (propre) bien, que cette sentence des plus
importantes, qui devint un slogan de la cabale théurgique,
reflète fidèlement une perception plus ancienne,
qui a été seulement articulée plus clairement
par les cabalistes.
Développons maintenant une autre approche cabalistique
de ce thème. Selon les sources rabbiniques classiques discutées
cidessus, la présence de la Chekhina durant l'acte
sexuel est conditionnée par la pureté rituelle des
participants. Aucune recherche de kavana (intention) n'est
mentionnée dans ces contextes, l'intention pure, décrite
par les cabalistes comme visant l'ascension de la pensée
humaine vers sa source supérieure et la descente consécutive
de la Chekhina, a été ajoutée par l'un des
plus anciens et des plus influents textes de la cabale, la Lettre
sur la sainteté (Igueret ha qodéch) (43):
I1 est bien connu des maîtres de la cabale que la
pensée humaine provient de l'âme intellectuelle qui
est descendue d'en haut. La pensée humaine est capable
de se dévêtir (des résidus étrangers)
et de monter jusqu'à atteindre le lieu de sa source (43).
Alors elle s'unit avec l'entité supérieure (44)
d'où elle procède et elle (i. e. la pensée)
et l'autre (i. e. sa source) deviennent une seule entité
(45). Et quand la pensée retourne du haut vers le bas,
quelque chose de semblable à une ligne apparaît et
la lumière supérieure descend, sous l'influence
de la pensée, qui l'attire en bas et attire la Chekhina
en bas, alors la lumière éclatante (46) vient et
surabonde sur le lieu où se tient celui qui a émis
cette pensée (...) puisque tel est le cas, nos anciens
sages ont dû dire que, quand le mari s'accouple avec sa
femme et que sa pensée s'unit avec les entités supérieures,
que cette pensée attire la lumière supérieure
en bas et que cette dernière s'établit sur la goutte
(de semence), il dirige son intention sur elle et pense à
elle (...) cette goutte même est liée en permanence
avec la lumière éclatante (...) puisque la pensée
à son égard est liée aux entités supérieures
et attire la lumière éclatante enbas.
I1 ressort que l'intention mystique de l'homme, qui doit accompagner
l'union sexuelle, peut entraîner la lumière supérieure,
et la Chekhina aussi bien (47), à descendre sur l'homme
durant cette même relation. Le mari doit élever sa
pensée jusqu'à sa source afin d'accomplir une unio
mystica, qui sera suivie par la descente de forces spirituelles
d'en haut sur le semen virile (48); ici, ascencio mentis,
unio mystica et reversio sont des étapes
préalables à la conception idéale (49).
I1 vaut la peine de comparer cette conception mystique de l'acte
sexuel avec le point de vue tantrique. Dans les deux cas, l'acte
sexuel doit être effectué avec beaucoup d'attention;
un certain état de conscience mystique est atteint au cours
de l'acte corporel. Cependant, l'usage de la relation sexuelle
pour vivre des expériences spirituelles est évidemment
différent. L'union mystique de la pensée avec sa
source est, dans la cabale, instrumentale par rapport au but principal:
la conception; la connaissance spirituelle est seulement une phase
préparatoire dans le processus de procréation, qui
doit être accomplie avec la coopération de la Chekhina.
Dans les systèmes tantriques, l'état de conscience
mystique, le bodhicitta, est un but en soi, tandis que
l'état parfait est obtenu par l'immobilisation du flux
du semen virile (50). L'acte sexuel est considéré
par les cabalistes comme un acte donneur de vie. Chez les maîtres
du Tantra, l'éjaculation est regardée comme une
mort (51). Les cabalistes mettent l'union mystique
au service de la procréation, le Tantra met la relation
sexuelle inféconde au service de la conscience mystique.
Pour les tenants de la cabale théosophique, le rapport
sexuel n'est pas un but en soi; le but final, ou plutôt
les buts finaux, sont la procréation et la préparation
de substrata appropriés -les êtres humains
- pour servir de résidence à la Chekhina. Le couple
humain ou ses descendants entrent en contact direct avec la Chekhina
qui descend sur l'homme qui accomplit l'acte sexuel dans la pureté.
En conséquence, un contact est évidemment établi
entre l'homme et le divin, durant lequel le premier conserve sa
nature masculine.
Dans les textes analysés cidessus, la Chekhina descend
pendant l'acte sexuel même. Néanmoins, elle ne joue
pas le rôle de la femelle et aucune mention de relations
sexuelles entre le mâle et la Chekhina ne peut être
discernée dans ces développements. Il semble que
le livre du Zohar ait apporté un concept important dans
le domaine des motifs sexuels (52): pour la première fois
dans une source juive (53), le juste est décrit comme se
tenant entre deux femelles (54): une femelle humaine - son épouse
- et une femelle d'en haut, la Chekhina. L'homme est capable d'accéder
à ce statut seulement quand il est marié à
une femme de chair et de sang, mais par la suite, lorsqu'il lui
arrive de se séparer de sa femme terrestre, il est dédommagé
par la présence de la Chekhina. Cette description sexuellement
connotée d'un contact humain avec la Chekhina est tout
d'abord relative à Moïse, ich ha Elolim
(l'homme de Dieu), une phrase interprétée par
les cabalistes comme signifiant l'époux de la Chekhina
(55); cependant, même d'autres justes aussi sont parfois
dépeints en termes similaires. Selon le Zohar, le mariage
donne non seulement au juste l'occasion d'accomplir le commandement
de la procréation, mais il le rend aussi capable d'atteindre
le statut mythique d'époux humain du monde de la
féminité: alma dénouqva. Cette
considération mérite de retenir l'attention: le
mariage rituel est un préalable pour l'accession au rôle
d'époux mythique. La consommation effective du mariage
est une condition sine qua non pour ce faire. I1
peut cependant être ensuite un obstacle à l'obtention
de l'expérience spirituelle.
D'après Rabbi Isaac d'Acco (56) :
Jacob, notre père, aussi longtemps qu'il vécut
avec la Rachel corporelle, en dehors de la terre d'Israël,
son âme ne pouvait s'unir avec la Rachel d'en haut, dont
la résidence est la terre sainte. Mais dès qu'il
atteignit la terre sainte, la Rachel d'en bas mourut et son âme
s'unit avec la Rachel d'en haut. Cette combinaison du mariage
corporel comme première étape, avec les épousailles
spirituelles comme étape seconde, signale vraisemblablement
une synthèse entre l'importance théosophique accordée
au mariage et l'insistance de la cabale extatique sur la nature
spirituelle de la relation entre l'homme et Dieu (57).
C - Le symbolisme horizontal descendant
Le symbolisme sexuel décrivant la relation entre le juste
et la Chekhina suppose la nature féminine de celleci;
l'évolution de ce concept est une question complexe qui
ne peut être discutée dans cet essai (58). Quoi qu'il
en soit, il est important d'insister ici sur le fait que pour
les cabalistes, le caractère féminin de cette manifestation
divine n'est que secondairement lié à sa relation
avec le juste. Elle est perçue essentiellement comme la
partenaire féminine du système des neuf sefirot
conçues comme le monde du mâle, ou de
leurs représentants, les sefirot Tiferet et Yessod. L'homme
juste imite donc la relation parallèle entre le juste d'en
haut - le Yessod - et la Chekhina: les processus réels,
archétypiques, ont lieu dans le monde divin, tandis qu'icibas,
nous ne faisons que refléter la mystérieuse dynamique
de l'univers intradivin. Tel le juste qui se tient entre deux
femelles, humaine et divine, la femelle divine se tient elle aussi
entre deux mâles, humain et divin (58a).
Puisque la relation entre le juste humain et la Chekhina est,
d'après les cabalistes, fondamentalement une mimesis
du processus supérieur, nous pouvons l'envisager comme
l'expression d'un symbolisme descendant. Le processus
le plus important a lieu en haut (59): nous usons de cette symbolique
dans le but de refléter un phénomène parallèle,
icibas. Ainsi, le symbolisme vertical descendant prend racine,
de l'avis des cabalistes, dans le symbolisme horizontal descendant.
La relation harmonieuse entre Tiferet et Malkhout, ou ainsi qu'elle
a été communément désignée:
Yihoud Qoudcha Berikh Hou ou Chekhinté (union
du Saint béni soitil et de sa Chekhina), est cruciale
pour le bienêtre du monde. Ce n'est que quand l'union
entre les deux puissances divines est accomplie que l'influx issu
du EnSof (l'Infini) peut être transmis au monde inférieur.
Cette harmonie, qui a été perturbée par le
péché originel, aussi bien que par les fautes en
général, peut être rétablie par l'accomplissement
cabalistique des commandements, l'un des plus importants étant
la relation sexuelle pure. Le couple humain effectuant l'unlon
sexuelle est capable de produire un état d'harmonie en
haut. L'acte sexuel est conçu comme doté de pouvoirs
théurgiques. Suivant la plupart des cabalistes, cet acte
humain reflète d'une part la structure d'en haut et d'autre
part il influe sur elle. En conséquence, mariage et union
sexuelle ont un énorme impact sur les mondes supérieurs.
Cette conception est l'une des plus importantes contribution de
la cabale au mode de vie juif: mariage et sexualité ont
été transformés en un mystère reflétant
un mystérieux mariage en haut, dont le succés est
capital, tant pour le cosmos divin que pour l'univers inférieur.
La procréation comme but ultime des relations conjugales
devint dans le Weltanschauung cabalistique un but secondaire;
bien que demeurant un but essentiel pour le couple humain, surtout
pour le mari, la signification théurgique devint de plus
en plus centrale au fur et à mesure que se développait
la pensée cabalistique (60).
L'un des plus anciens cabalistes, R. Yehouda ben Yaqar, a exprimé
la conception descendante de l'union sexuelle d'une
manière particulièrement concise: Et le commandement
de l'union, qui nous concerne, se rapporte aussi à ce que
Dieu dit au Sabbat (61): "Knesset Israël sera ton épouse",
et lui (le Sabbat) est le Juste, le Fondement du monde (62) d'où
proviennent tous les esprits et les âmes (63) [...] c'est
la raison pour laquelle les gens ont l'habitude de célébrer
le mariage lors du Sabbat.
Ici, Knesset Israël (la Communauté d'Israël)
est conçue comme l'épouse du Sabbat et ce dernier
symbolise, apparemment, la neuvième sefira, Yessod, l'époux.
L'union humaine, en conséquence, qui engendre le corps,
reflète l'union supérieure dans le domaine des sefirot,
dont émergent les âmes. Nous avons là un exemple
intéressant de la transformation d'un ancien Midrach, associant
deux entités mythiques - Knesset Israël et Sabbat
- en un mythe théosophique pleinement déployé.
Un facteur important de ce changement est la surdétermination
de la polarité sexuelle qui est apparemment secondaire
dans le Midrach. I1 est notable qu'il y a une centaine d'années,
M. Joël a montré la possibilité pour ce Midrach
d'avoir été composé à partir de l'arrièreplan
gnostique de la théorie des syzygies (64). Les cabalistes
médiévaux exploitèrent les potentialités
mythiques de ce passage midrachique dans le but d'élaborer
leur propre théosophie mythique. Le commandement de l'union,
selon R. Yehouda, est une imitation de l'union supérieure,
non seulement au niveau sexuel mais aussi en tant que coutume
qui perçoit le jour du Sabbat comme étant propice
à une telle union.
J'aimerais m'étendre sur la façon dont une telle
réélaboration a pu avoir lieu. Selon les dires du
Midrach, le Sabhat est considéré implicitement comme
une entité femelle, tandis que la Knesset Israël est
explicitement mentionnée comme masculin par l'expression
qui la qualifie: Ben Zoug. Cependant, les rôles changèrent
dans la formulation cabalistique de ce thème. S'agitil
d'une distorsion arbitraire de ce Midrach, due aux spéculations
théosophiques ? En fait, comme nous l'avons remarqué,
le Sabbat est perçu comme mâle même dans un
autre texte cabalistique ancien: le Livre Bahir. Toutefois,
il semble que nous devons rechercher une conception plus ancienne
qui se trouve encore dans le Midrach. D'après un autre
passage de Beréchit Rahba (65), Adam ne put
trouver une compagne appropriée parmi les animaux et il
s'exclama comme le Sabbat: Chaque créature a sa compagne
alors que je n'en ai pas. Ici, le mâle est décrit
comme cherchant une partenaire féminine, je présume
donc que ce modèle a formé la perception cabalistique
de la relation entre Sabbat et Knesset Israël.
La description de l'union de Tiferet ou Yessod et Malkhout a été
désignée plus haut comme un symbolisme sexuel descendant.
D'après la définition proposée par Kahler
du symbolisme descendant, qui a été
citée au début de cet essai, un processus est symbolisé
par un système symbolique qui est enraciné dans
un niveau supérieur. Pour ce qui concerne les sefirot inférieures,
leur relation, exprimée par une image sexuelle, reflète
une dichotomie sexuelle encore plus élevée. Dans
les premiers traités cabalistiques, les sefirot Hessed
et Guevoura étaient conçues comme un couple de puissances
respectivement mâle et femelle. C'est le cas chez R. Abraham
ben David de Posquières, qui considère les deux
attributs divins, apparemment Hessed et Guevoura, comme doupartsoufim
(deuxfaces), mâle et femelle, sembletil
(66). En conséquence, les sefirot inférieures reflètent
une syzygie supérieure. De fait, un examen serré
de l'évolution du premier symbolisme cabalistique montre
que la relation sexuelle probablement plus ancienne de deux attributs
divins, Hessed et Guevoura, a influencé le même genre
de conception pour les sefirot inférieures (67). De nouveau,
cette perception sexuelle de la relation entre Hessed et Guevoura
doit refléter une syzygie plus élevée encore
des sefirot: celle de Hokhma et Bina, qui furent considérées
respectivement comme Père et Mère.
De même que les sefirot inférieures doivent se tenir
en état de Yihoud (union), les deux sefirot
supérieures le doivent aussi, pour parvenir à la
condition d'une union élevée (68). D'après
des sources cabalistiques importantes, les deux sefirot supérieures
sont médiatisées par une sefira particulière,
Da'at, dont les tonalités sexuelles sont presque explicites,
spécialement dans la cabale lourianique (69). L'imagerie
sexuelle a donc joué un rôle des plus importants
dans les descriptions de la nature des attributs les plus divins
et de leurs relations intrinsèques. En outre, d'après
les cabalistes, l'existence des syzygies dans le monde divin est
une condition sine qua non de la réalisation de
la balance qui assure l'existence de la structure divine. Aussi,
la relation mâlefemelle est présentée
par eux comme une dynamique enveloppant la totalité, pénétrant
le monde divin en entier. Le rapport sexuel humain est perçu
alors comme une participation mystique à la
hiérogamie divine, à la fois en la reflétant
et en influençant le processus divin.
De plus, certaines phases de l'émanation, dans l'autogenèse
du système divin, sont dépeintes par une symbolique
sexuelle saisissante. Les sept sefirot inférieures ont
été engendrées par l'union entre la Hokhma
et la Bina, ces sept sefirot passant communément pour être
les fils des sefirot supérieures. Selon un
cabaliste du XVIe siècle, le processus
de l'émanation tout entier peut être décrit
comme une succession de fécondations et de naissances des
sefirot les unes des autres, commençant avec la Causa
causarum et s'achevant avec la dernière sefira (70).
D'après R. Moïse Cordovéro, un éminent
cabaliste de Safed (7l):
Le thème de l'union sexuelle entre les attributs
divins est véritablement symbolisé par notre union
sexuelle, une fois que son aspect corporel a été
complètement effacé; la conjonction des deux attributs
et leur désir d'union, peuvent être comparés
- et par là expliqués - à leur accession
au 'temps' (onah) spirituel qui consiste dans le déploiement
de la lumière de EnSof dans les attributs, et ceuxci
(les attributs) s'aiment l'un l'autre et se désirent mutuellement,
exactement comme le désir de l'homme pour son épouse,
une fois l'aspect corporel de celuici écarté.
Ici, la relation entre les attributs divins n'est pas seulement
comparée à la structure de l'acte sexuel humain,
mais elle est décrite aussi comme dépendante d'un
processus plus élevé, se déroulant entre
le EnSof et les sefirot: l'influx de lumières destiné
au domaine sefirotique. L'usage du terme ona (temps)
a une tonalité sexuelle manifeste, la lumière symbolisant
la semence (72) que les sefirot en tant qu'entité femelle
reçoivent d'en haut. Je présume que le temps
d'en haut est la veille du Sabbat, qui était considérée
par les cabalistes comme particulièrement propice aux rapports
sexuels (73).
L'auteur anonyme de la Igueret ha Qodech résume
le symbolisme cabalistique descendant lorsqu'il écrit (74):
Toutes les questions dont nous avons débattu (75)
sont le secret du système de l'ordre du monde et de sa
structure et le prototype du mâle et de la femelle [qui
sont] le secret du donneur [de l'influx] et de [son] receveur
(76), et voici: l'union convenable de l'homme et de sa femme est
à la ressemblance des cieux et de la terre (77).
Le principal courant de la cabale, le courant théosophique,
a articulé des perceptions juives antérieures concernant
l'existence humaine et divine: une polarité de facteurs
sexuels associés à la création de l'homme
dans la Bible et le Midrach, aux chérubins dans les textes
midrachiques et peutêtre aux attributs divins chez
Philon et dans les textes talmudiques et midrachiques, a été
structuée en un système totalement cohérent
déjà évident dans les toutes premières
sources cabalistiques (78). Cette corrélation entre les
différents niveaux du réel a permis aux cabalistes
d'appréhender l'union sexuelle d'une part comme une imitatio
dei et d'autre part comme un acte théurgique destiné
à produire un état d'harmonie entre les entités
supérieures.
De plus, les cabalistes se sont servis de ces prémices,
aussi bien que de motifs existants par ailleurs, dans le but de
construire un système bisexué des puissances du
mal. Ainsi, Samael et Lilit sont les contrefaçons
de Dieu qui essaient d'imiter l'union divine dans la structure
démonique parallèle (79). Une comparaison entre
les différentes conceptions juives de la relation sexuelle
et certaines anciennes conceptions chrétiennes et gnostiques
est pertinente à ce stade final de notre discussion (80).
Les conceptions à la fois philoniennes, talmudiques, midrachiques
et cabalistiques de la sexualité sont sans ambiguïté
positives. L'existence de deux sexes est acceptée comme
un fait, qui rend l'humanité capable de se reproduire,
sans la moindre insinuation péjorative quant à la
nature de l'acte sexuel. Le retour à l'état d'androgyne
originel de l'homme, qui a été décrit communément
par les gnostiques (81), ou l'effort pour transcender la condition
féminine par la transformation mystique de la femelle en
mâle, récurrent dans la pensée
chrétienne ancienne (82) et le gnosticisme (83), sont étrangers
au Weltanschauung du Talmud et de la cabale théosophique
(84).
Les chérubins peuvent bien être aperçus lorsqu'ils
sont enlacés, mais ils peuvent aussi se séparer
l'un de l'autre; les êtres humains peuvent s'unir dans l'acte
sexuel sans perdre leur nature sexuelle spécifique; les
manifestations divines supérieures sont supposées
atteindre leur état idéal lorsque les puissances
divines opposées sont unies, union qui est explicitement
décrite à travers une imagerie sexuelle. Néanmoins,
nulle part cette union n'est prise pour une annihilation de deux
sefirot et pour l'émergence d'une autre puissance divine
androgyne. Ce qui caractérise la conception cabalistique,
c'est l'insistance sur l'obtention d'une relation harmonieuse
entre principes opposés, dont l'existence séparée
est indispensable au bienêtre de l'univers entier.
Ou pour le dire autrement: la cabale théosophique n'a pas
recherché une restructuration drastique de l'existence,
soit par la transformation du féminin en masculin, soit
encore par leur fusion finale en une entité bisexuée
ou asexuée. Les cabalistes ont lutté au contraire
pour une amélioration des processus se déroulant
entre les éléments différenciés composant
les univers terrestre et divin. Les cabalistes ont transposé
la relation sexuelle humaine - et non seulement la différence
sexuelle - dans le monde supérieur; les processus qui s'y
déroulent doivent se conformer au comportement sexuel humain.
Dans la conception gnostique, le monde inférieur doit s'efforcer
de copier la règle supérieure d'androgynie ou d'asexualité
(85). L'attitude gnostique et à certains égards
aussi l'attitude chrétienne visàvis
de la sexualité, constituent un aspect important de leur
rejet plus général de ce monde (86); les eschatologies
gnostiques et chrétiennes proposent un salut spirituel
qui vise soit la restauration de l'androgynie paradisiaque soit
un statut d'asexualité pour le croyant. Au moins dans le
cas du gnosticisme, le malaise s'étend audelà
de ce monde jusqu'à son créateur mauvais, la sexualité
étant considérée comme un instrument implanté
en l'homme par ce dernier dans le but de perpétuer son
monde mauvais. L'ascétisme chrétien n'est rien d'autre
qu'une attitude plus modérée envers la condition
temporaire du monde jusqu'à la seconde venue du Sauveur.
L'instinct sexuel a été soit oblitéré,
soit partiellement sublimé sous la forme de l'amour du
Christ.
Sous l'impulsion des conceptions halakhiques, la cabale a traité
de la régulation de la libido plutôt que de sa suppression
ou de sa sublimation. Cet intérêt à l'égard
du sexe et de la sexualité est en général
orienté vers ce monde; l'effort essentiel a été
investi dans la tentative de trouver le moyen terme idéal
entre l'ascétisme sexuel, cultivé par les mystiques
chrétiens, et une insistance peu commune sur la centralité
des processus sexuels, qui aurait pu désintégrer
la texture normale de la vie familiale (87). Le danger qui a guetté
la cabale juive médiévale n'était pas une
spiritualité exagérée méprisant l'amour
charnel, mais une explosion des relations sexuelles
perçues comme positives audelà des limites
de la halakha.
Le balancement entre une attitude positive et naturelle à
l'égard de la sexualité et son appréhension
comme reflet de la hiérogamie d'en haut comporte aussi
ses problèmes. Lorsque les régulations halakhiques
s'affaiblirent, l'une des conséquences les plus importantes
et les plus immédiates fut la disparition des inhibitions
sexuelles; le sabhatianisme et le frankisme qui étaient
deux sectes liées au judaïsme mystique, se sont écartés
de la cabale essentiellement par leur transgression des interdits
de l'inceste, transgressions qui furent interprétées
comme une imitation des relations sans restrictions au sein du
monde divin (88). A la fois sabbatianistes et frankistes fondèrent
leur comportement licencieux sur des textes classiques de la cabale
(89). Comme les gnostiques (90), les sabbatianistes ont conçu
l'homme parfait - en l'occurrence Sabbataï Tsevi - comme
étant libre de toutes contraintes morales et comme appartenant
au Gan Eden, un état paradisiaque, qui est opposé
au monde inférieur décrit comme le cur
du monde démonique (91). De surcroît, le noyau même
de l'activité de Sabbataï Tsevi fut une fois présenté
comme la restauration de la gloire de la sexualité, c'estàdire
sembletil d'une activité sexuelle sans restriction
(92) :
Les patriarches vinrent au monde pour restaurer les sens
et ils le firent pour quatre de ces sens. Sabbataï Tsevi
vint et restaura le cinquième, le sens du toucher, qui
selon Aristote (99) et Maïmonide (94) est une cause de honte
pour nous, mais qui à présent a été
élevé par lui à une place d'honneur et de
gloire.
Nous avons là un cas exemplaire où une métaphysique
- en l'occurrence la cabale théosophique qui s'est développée
à partir des conceptions talmudiques et midrachiques -
est devenue un facteur indépendant qui détermina
le comportement des gens. Mises au service de 1'idée
métaphysique, une fois oblitérés les modes
ordinaires de la sexualité, les pratiques orgiaques sont
devenues une via mystica du nouvel éon. I1 n'est
pas étonnant que le grand développement suivant
du mysticisme juif - le Hassidisme - se soit montré beaucoup
plus réticent dans l'usage du symbolisme sexuel.
En conclusion, une remarque sur la métamorphose contemporaine
des attitudes précitées à l'égard
de la sexualité peut être pertinente. L'ancienne
attitude juive envers la sexualité en tant que mystère
présenté comme tel dans le Saint des Saints, eut
un profond impact sur le judaïsme en général
et sur la cabale en particulier. La hiérogamie d'en haut
et son reflet inférieur dans les relations conjugales,
devinrent l'un des principes fondamentaux de la tradition cabalistique;
au moins sur ce point, la cabale a élaboré un thème
juif déjà existant (95). Cette vision sans équivoque
de la sexualité eut une répercussion importante
dans la psychanalyse moderne à travers la conception freudienne
de la libido (99). Par ailleurs, la réticence
et parfois l'attitude ambiguë à l'égard de
la sexualité et du mariage dans le christianisme et le
gnosticisme, ont trouvé leur expression dans les travaux
de Carl Jung et de Mircea Eliade (97). Ces savants n'étaient
pas seulement profondément intéressés par
la mythologie gnostique, ils ont adopté semble til
plusieurs mythologoumena gnostiques comme vérités
intemporelles (98), voire comme directives spirituelles pour notre
temps (99). La perfection individuelle est le but ultime de leur
idéalisation de l'androgynie, en tant qu'elle s'oppose
au souci créatif, qu'il s'agisse de la procréation
ou de la restauration de l'harmonie divine dans la cabale théosophique.
Tout commentaire supplémentaire serait superflu.
* Nous remercions le Jewish Theological Seminary of America de
nous avoir autorisé à publier une traduction française
de l'article suivant de Moché Idel, article traduit de
l'anglais par Charles Mopsik et Éric Smilévitch
(N.D.E.).
1. Baer, Pbilo's Use-Richard A. Bacr, Jr., Pbilo's Use of tie Categories Male and Female (Leiden, 1970).
2. Eliade, Yoga - Mircea Eliade, Yoga, Immortality and Freedom (Princeton U.P., 1971).
3. Goldberg, Schekhinah - Arnold M. Goldberg, Untersuchungen über die Vorstellung von der Schekhinah (Berlin, 1969).
4. Idel, Ahrabam Aboulafia - M. Idel, Oeuvres et doctrines d'Abrabam Aboulafia (Thèse pour le Doctorat, Université Hébraïque de Jérusalem, 1976) (en hébreu).
5. Idel, " Unio Mystica " - M. Idel, Abraham Abulafia and Union Mystica, in I. Twersky, Studies in Medieval Jewish History and Literature (Cambridge, Mass.) vol. III (à paraître).
6. Idel, Hitbodedut - M. Idel, Hitbodedut qua Concentration in Ecstatic Kabbalah, Da'at, vol. 14 (1986) (Hébreu) pp. 3582.
7. Meeks, The Image of the Androgyne - Wayne A. Meeks, The Image of the Androgyne - Some Uses of a Symbol in Earliest Christianity, History of Religions, vol. 13 (1974) pp. 165208.
8. Patai, The Hebrew Goddess - Raphael Patai, The Hebrew Goddess (New York, 1978).
9. Scholem, Les origines - G. Scholem, Les origines de la Kabbale, (Paris, 1966).
10. Scholem, Major Trends - G. Scholem, Major Trends in Jewish Mysticism, (New York, 1967).
11. Scholem, Tbe Messianic Idea - G. Scholem, Tbe Messianic Idea in Judaism, (New York, 1972).
12. Tishby, La Sagesse du Zohar -
Isaiah Tishby, La
Sagesse du Zohar, I, Jérusalem,
1957), II, Jérusalem, 1061) (Hébreu).
Notes
1. Je me limiterai aux développements relatifs à
la sexualité dans la cabale évidents par
euxmêmes, laissant de côté une série
entière d'imageries Èrotiques. Quelquesunes
d'entre elles ont été étudiées par
Georges Vajda dans L'amour le Dieu dans la théologie
juive du Moyen Âge (Paris, 1957), ou par Hayim Wirszubski
dans Trois études sur la cabale chrétienne (Jérusalem,
1975) p. 1323 (en hébreu); M. D. G. Langer, Die
erotik der Kabblala (Prague, 1923). Voir aussi note 8 et 78
infra.
2. Voir son " The Nature of the Symbol î in Rollo
May (ed) Symbolism in Religion and Literature (NewYork,
1960) p. 65.
3. Ce terme apparaît aussi dans l'essai de Kahler, toutefois,
dans d'autres contextes spéculatifs que ceux qui sont discutés
ici, j'ai donc préféré proposer ma propre
définition pour cette phase. Comparez avec Kahler, idem,
p. 67-68.
4. Voir par ex. A. E. Waite, The Way of Divine Union (Londres,
1915 ), particulierement p. 126 sq.
5. Voir James H. Leuba, The Psyclology of Religious Mysticism
(Londres 1925) p. 116 sq. Pour une critique élaborée
des vues de Leuba voir De Montmorand, Revue Philosophique vol.
56 (1903) p. 382; vol. 57 (1904) p. 242, vol. 58 (1904) p. 602;
vol. 60 (1905) p. 1 sq.
6. J'ai volontairement évité toute discussion sur
des vues parallèles de Philon dans la mesure où
son corpus littéraire n'a apparemment pas influencé
la cabale. Phénoménologiquement, la structure de
la pensée de Philon est proche de celle d'Aboulafia, tous
deux usant d'un symbolisme vertical ascendant en même temps
que d'une terminologie philosophique d'origine grecque. De plus,
dans leurs écrits, une neutralisation des éléments
mythiques est évidente. Sur le puritanisme grec en matière
sexuelle, voir E. R. Dodds, The Greeks and the Irrational
(University of California Press, 1951) p. 154I55. Sur
l'usage par Plotin d'une imagerie érotique et son influence
sur la Renaissance, voir Edgar Wind, Pagan Mysteries
in the Renaissance (Faber and Faber, 1967) p.
6168.
7. Voir infra notre commentaire sur le passage de
R. Yehouda ben Yaqar.
8. MS Munich (Héb) 58 fol. 323 r. L'afffirmation
de Scholem, suivant laquelle: Les anciens cabalistes n'ont
jamais interprété le Cantique des Cantiques comme
un dialogue entre Dieu et l'âme, à savoir comme une
description allégorique du chemin vers l'unio mystica
(Major Trenls, p. 226) doit donc être rectifiée.
Aboulafia, en effet, a proposé une telle interprétation
allégorique, dont le but ultime est l'unio mystica;
sa perception est plus proche des interprétations philosophiques
que de celles des cabalistes antérieurs; cependant, il
s'écarte aussi des philosophes, puisqu'il recherche une
réelle effectuation de l'unio mystica, et donc l'interprétation
allégorique devient ce que je propose de nommer une interprétation
ou une herméneutique spirituelles. Sur les interprétations
philosophiques du Cantique des Cantiques, voir A. S. Halkin Ibn
Aknin's Commentary on the Song of Songs, Alexander Marx
Jubilee Volume (English Section) (New York, 1950) p. 389-424
et dans la monograhie de G. Vajda, note 1 supra.
9. Imré' Shefer, MS Paris (BN) (Héb) 777
p. 57.
10. Or ha Sekhel, MS Vatican 233 fol. 115 r.
11. Voir par ex. Aboulafia, Hayé ha Nefech, MS Munich
408 fol. 65v: ... l'adhésion de tout l'esprit en
acte dans le Nom selon le secret du plaisir du fiancé et
de la fiancée.
12. Or ha Menorah, MS Jérusalem, Biblio. Nat. 8°
1 303 fol. 28b. Comparez avec les collectanaea issues du
cercle d'Aboulafia, qui se trouvent dans MS New York, JTS Mic.
1771 fol. 34r, où une fois encore, Knesset Israal est
connectée avec l'âme rationnelle.
13. Israël = 541 = Sekhel ha poél. Sur d'autres
allégorisations philosophiques d'Israël
voir Marc Saperstein, Decoding the Rabbis (Cambridge, Mass.
1980) p. 110, 248.
14. Voir Idel, Abraham Aboulafia, p. 366373
et comparez avec Baer, Philo's Use p. 5564.
15. Comparez avec les vues de Scholem sur la communion
mystique qui est caractéristique du mysticisme juif, The
Messianic Idea p. 203205.
16. Sur l'unio mystica dans la doctrine d'Aboulafia, voir
Idel Unio Mystica, où un matériau
supplémentaire est cité pour nourrir la thèse
selon laquelle Aboulafia prétend que la fusion totale avec
une entité supérieure - qui parfois est Dieu - est
possible.
17. MS Vatican 233 fol. 115 r.
18. La valeur des lettres du Tétragrammaton est 26, qui
est formé de 13 + 13. Or 13 est la valeur de
Ehad, qui est un et de Ahavah qui
est amour. Par la guematria, Aboulafia prouve
qu'il est possible d'atteindre l'union mystique (un, un) avec
Dieu (le Tétragrammaton) au moyen de l'amour (Ahavah).
19. Néanmoins, le mariage ou la relation sexuelle ne sont
jamais présentés par Aboulafia ou ses disciples
comme un obstacle pour l'obtention d'une expérience mystique.
Nous savons avec certitude qu'Aboulafia luimême était
marié, tandis que dans sa liste d'exigences pour un étudiant
idéal (voir Hayé ha olam haba), MS
Oxford, 1582, fol. 33b35a) aucune référence
à l'impureté sexuelle ne peut être trouvée.
Voir aussi Idel, Abraham Aboulafia p. 336 sur le caractère
non ascétique de la mystique d'Aboulafia.
20. TB Sota fol. 17a. Comparez avec Pirké de
R. Eliézer ch. 12 et R. Touvia ben Eliézer,
Lekah Tov sur Genèse 2:23. Voir aussi la
remarque de M. Kasher dans Torah Shelemah, vol. 22, Appendice,
p. 18, où il a montré la connection possible entre
ce dictum et les chérubins. Voir aussi la remarque apologétique
de Louis Ginzberg selon laquelle ce dictum reflète une
autre conception païenne qui, sous une forme raffinée,
est passée dans la cabale à travers le Talmud
dans On Jewish Law and Lore, (New York, 1970) p. 190.
21. Le mot ì théurgie î, dans cette étude,
sert à désigner la conception d'après laquelle
des actions humaines, surtout les commandements, sont censées
changer les processus se déroulant dans le système
divin d'en haut.
22. La formulation du dictum de R. Akiba ne se réfere
pas explicitement à l'union sexuelle. Cependant, c'est
bien la façon dont il était compris par les commentateurs
classiques, comme Rachi. Voir aussi l'idée rabbinique selon
laquelle Dieu participe au processus de production de l'enfant,
de conserve avec son pére et sa mère, TB Nida
fol. 3la. L'affinité entre ces deux conceptions rabbiniques
a été perçue et exploitée par le cabaliste
anonyme qui composa la célèbre Epître sur
la conjonction sexuelle attribuée à Nahmanide:
voir l'édition de Chavel dans Kitvé Ramban (Jérusalem,
1964) vol. II p. 324-325.
23. Lévitique l0:1. Ici, comme dans la citation de Sota,
le verbe akhal est utilisé afin d'exprimer l'idée
d'une consumation par le feu.
24. Nombres 7:89.
25. TB Baba Batra fol. 99a: Comment se tiennentils
? R. Yohanan et R. Eliézer. L'un dit: Leur visage tourné
l'un vers l'autre. L'autre dit: Leur visage tourné vers
la maison. Celui qui dit que le visage est tourné l'un
vers l'autre, concorde avec le verset: "Leur face l'une vers
l'autre". Mais comment faitil avec ceci: "Leur
face vers la maison" ? Il n'y a pas difficulté. Là
quand Israël accomplit la volonté du Lieu. Ici quand
Israël n'accomplit pas la volonté du Lieu. La
double position des chérubins est assez intéressante:
séparés ou unis, ils se tiennent, selon quelques
interprètes médiévaux du Talmud, respectivement
pour la malédiction et la bénédiction, citées
dans la discussion talmudique sur les chérubins dans Yoma
fol. 54b: voir R. Shemuel Edeles, Novellae ad. locum,
où il cite l'avis de R. Yom Tov Achvili. Estce que
cette conception présumée tardive a quelque chose
à voir avec l'appréhension des chérubins
comme deux attributs divins, comme il en va déjà
dans Philon ?
26. TB Yoma fol. 54a. Voir la proposition intéressante
de Menahem Kasher, selon laquelle ce texte pourrait être
lié à la compréhension du Cantique des Cantiques
comme Saint des Saints et avec les secrets des arayot dans
la Michna Haguiga, en tant que sujet ésotérique:
Zohar, in Sinai Jubilee Volume (ed. I. C. Maimon,Jérusalem,
1958) p. 5556 (hébreu). Cet argument mériterait
une analyse plus élaborée.
27. Genèse Rabba 19:7 (p. 176). Cantique Rabba 5:1. Voir
aussi Genèse Rabba p. 177 où il est signifié
que les justes sont des personnes capables de causer la descente
de la Chekhina, qui a quitté notre monde à cause
des fautes des pécheurs. Comparez aussi avec l'Hénoch
hébreu chap. 5.
28. TB Yebamot fol. 63b64a.
29. Cf. Nombres 3:4.
30. Sur cette affirmation voir Avigdor Shinan: Les fautes
de Nadav et Avihou dans la Aggadah des Sages dans A. Shinan
(ed. ), The Aggadic Literature - A Reader (Jérusalem,
l983) p. I82l83 (hébreu).
31. Genèse 17:7
32. Comparez avec Genèse Rabba 8:9 (p. 63); 22:2 (p. 206):
"A notre image, selon notre ressemblance", pas
d'homme sans femme et pas de femme sans homme et pas les deux
sans Chekhina.
33. ì The Gospel of Philip î, d'après la traduction
de Wesley W. Isenberg dans l'éd. de James M. Robinson,
The Nag Hammadi Library (Harper and Row, 1984) p. 150.
Quelques affinités entre ce traité et des concepts
juifs ont été signalées par Yehouda Liehes
Le Messie du Zohar dans The Messianic Idea in Jewish
Thougth (Jérusalem, 1982) p. 230232 (héb)
; M. Idel Jérusalem dans la pensée juive médiévale
(à paraître, en hébreu). Il est important
de souligner le fait que les attitudes relativement positives
envers la sexualité et le mariage apparaissant dans des
textes gnostiques, comme dans cet Évangile et des parties
du Corpus Hermeticum, sont vraisemblablement le résultat
d'une influence juive.
34. Idem p. 142. Voir aussi p. 150: Les saints
des saints furent révélés et la chambre nuptiale
nous invita en elle. Voir aussi Robert M. Grant The
Mystery of Marriage in the Gospel of Philip, Vigiliae
Christianae, vol. 15 (1961) p. 129140; J. M. Sevrin,
Les noces spirituelles dans l'Évangile selon Philippe,
Le Museon 87 (1974) p. 143193. J. M. Sevrin Les
rites et la Gnose, in éd. Julien Ries, Gnosticisme
et Monde Hellénistique (LouvainLaNeuve,
1982) p. 44 8 4 5 0.
35. Version Buber, Nombres 17a. Comparez avec Patai, Man and
Temple p. 8992, et sur la perception du Saint des Saints
comme Cleitoris dans le livre du Zohar, voir Liebes (n.
33 supra) p. 194. Il paraît plausible que la connexion
midrachique entre l'Apirion mentionné dans
le Cantique des Cantiques III et le Temple et le Tabernacle pourrait
avoir quelque chose à faire aussi avec le priah
ourviah (croître et multiplier): voir Cantique
des Cantiques Rabba III, 15l9 (éd. S. Dunski, Jérusalem,
TelAviv, l980) p. 9396. Une chose fascinante, qui
ne peut être développée ici, est la similitude
entre le trône divin et l'arche dans le Saint des Saints,
I'affinité entre Dieu assis sur son trône et la Chekhina
établie sur l'arche a été signifiée
par G. Scholem, Jewish Gnosticism, Mercavah Mysticism and Talmadic
Tradition (New York, 1965 ) p. 2426. Cependant, pour
notre discussion, il est remarquable que les anges encouragent
par leurs hymnes le trône divin à contempler
le Roi qui siège sur Toi [avec joie] pareille à
la joie du fiancé dans sa chambre nuptiale (Scholem,
idem p. 26). Bien que la nature précise de cette
description de la relation entre Dieu et son trône ne soit
pas claire, sa tonalité sexuelle ne doit pas être
sousestimée. Voir aussi la Seliha (prière
pour le pardon) anonyme de Yom Kippour: Après la
chambre des lits il languit de désir, l'amitié de
l'amour de la beauté des décors du baiser,
cf. A. M. Habermann, Athereth Renanim (Jérusalem,
1967) p. 69 et le commentaire de 1'éditeur sur cette phrase:
Le mot Tsaatsoué [décorations, sculptures]
se réfère apparemment aux chérubins qui ont
été décrits comme des "oeuvres décoratives"
(maassé tsaatsouim).
36. Voir Erwin Goodenough By Ligth, Ligth (New Haven, 1935)
p. 2526, 359369, idem, Jewish Symbols in GrecoRoman
Period (Princeton, 1954) Vol. 4 p. l32.
37. Voir Gedaliahu Stroumsa Le couple de l'ange et de l'esprit,
traditions juives et chrétiennes, Revue biblique
vol. 88 (1981) p. 46 47.
38. Liebes (note 33 supra) p. 231 prétend
même que 1'auteur gnostique anonyme était d'extraction
juive.
39. TB Yebamot fol. 64a.
40. Cette figure ressurgit dans des textes midrachiques: voir
Goldberg, Schekhinah p. 357359, 508509.
41. Voir Nahmanide, Commentaire sur l'Exode, 29, 46, et
une longue série de cabalistes postérieurs; comparez
aussi avec l'expression de R. Joseph Gikatila: Tsorekh ha Chekhina
(le besoin de la Chekhina) dans son Cba'aré Ora
(éd. J. ben Chelomo, Jérusalem, 1970) vol. I
p. 67.
42. Kitvé ba Ramban (Jérusalem, 1964) II
p. 373.
43. Cette idée a été empruntée par
l'auteur anonyme de la Igueret à la cabale géronaise:
voir Scholem, Les origines p. 320321. Notre auteur
fait sembletil preuve d'originalité quand il applique
l'idée déjà existante de l'elevatio mentis
au processus sexuel de la procréation.
44. Littéralement secret (sod).
45. Sur cette expression voir Scholem, Les origines p. 322 note
192.
46. L'expression la lumière de la Chekhina
(Or ha Chekhina) qui a pu influencer ce texte, existait
plusieurs siècles avant l'auteur de la Igueret: voir
Georges Vajda Or ha Shekhina REJ vol.
134 (1975) p. 133135, auquel nous pourrions
ajouter le Midrach Tadché ch. II (Epstein
p. 156) et Goldberg Schekhinah p. 318319.
47. La présence de la Chekhina est induite par la
pensée pure du mari d'après quelques affirmations
additionnelles (idem, p. 332), 1'une d'elles assurant
que quiconque pense à la beauté extérieure
de sa femme ne pense pas selon la pensée pure d'en
haut et cause en conséquence le départ de
la Chekhina loin du couple.
48. Je suppose qu'à la conception rabbinique ancienne,
concernant la présence de la Chekhina pendant la relation
sexuelle, les cabalistes ajoutèrent une certaine perception
magique; selon plusieurs sources médiévales, I'homme
est apte à préparer en bas un substrat approprié,
sur lequel il peut attirer un influx d'en haut appelé ruhaniat
en arabe ou rouhaniout en hébreu. Dans
notre texte le semen virile se tient à la place
du substrat qui est destiné à collecter l'influx
supérieur nommé ici lumière éclatante
ou Chekhina.
49. Comparez cette conception, qui considère l'unio
mystica comme un moyen, à celle de R. Isaac d'Acco,
discutée plus bas, où c'est seulement après
que les relations physiques sont terminées, que le statut
spirituel supérieur de l'union est réalisé.
50. Voir Eliade, Yoga p. 248249, 266268, idem
The Two and the One (New York, 1969) p. 118l19. Publié
en français dans Mephistopbélès et l'Androgyne
(Paris, 1962).
51. Voir Eliade, Yoga, p. 249.
52. Sur l'importance du symbolisme sexuel dans le Zohar, voir
Scholem, Major Trends p. 225229; Tishby, La Sagesse
du Zohar vol. II p. 607626; A. E. Waite, The
Holy Kabbalah (New York. s.d.) p. 377405.
53. Un concept parallèle apparaît aussi dans la tradition
soufie, voir Idel, Hitbodedout p. 56 note 117.
54. Voir Tishby, La Sagesse du Zohar p. 149.
55. Voir Idel, Hitbodedout p. 56 notes 117, 119,
120.
56. Otsar Hayim, MS MoscouGunzburg 775 fol.
73v, imprimé dans Idel, Hitbodedout p. 56
note 117.
57. Comparez avec l'explication donnée par R. Moïse
de Léon et le Zohar sur la mort de Rachel avant l'entrée
de Jacob sur la Terre d'Israël; dans ces textes l'interdiction
d'épouser deux soeurs de leur vivant est mise en avant.
La conception ritualiste est donc choisie plutôt que la
spirituelle. Voir I. Tishby, Studies in Kabbalah and Its Branches
(Jérusalem, 1982) p. 45 (héb.). La transition
entre un concept physique de la relation avec des femmes et un
concept spirituel est évidente aussi dans une importante
parabole ajoutée par R. Isaac sur la fille du Roi;
voir Idel, Hitbodedout p. 5354. Voir
aussi note 49 supra.
58. L'idée généralement acceptée selon
laquelle dans les sources anciennes la Chekhina est identique
à la divinité et donc dépourvue de toute
caractéristique féminine, a été émise
par G. Scholem, E. E. Urbach et soutenue par Golberg dans sa monographie;
à l'opposé, Patai dans The Hebrew Goddess proposa
une conception radicalement différente de la Chekhina en
tant qu'entité femelle séparée, sans toutefois
apporter de preuves solides. Il semble que, bien que la première
idée représente l'idée commune dans les sources
rabbiniques classiques, la seconde conception n'en soit pas totalement
absente.
58a. Cf. Zohar I, 153b et Liebes, The Messiah of the Zohar,
p. 122, 179,note 194, p. 204 note 401.
59. Comparez avec Bertil Gartner, The Theology of the Gospel
According to Thomas (New York, 1961) p. 253: Dans les
systèmes gnostiques, la relation hommefemme est motivée
fondamentalement par la structure du monde céleste, les
puissances mâles et femelles qui recherchent l'unité.
Les cabalistes acceptèrent aussi, au moins de jure,
cette justification pour leur comportement sexuel; de facto
ils ont perçu la relation sexuelle humaine telle
qu'elle avait été façonnée par les
réglementations halakhiques. Ou pour le dire autrement:
les cabalistes ont envisagé leur symbolisme comme un symbolisme
descendant, alors que, tout au moins d'un point de vue moderne,
ce symbolisme est ascendant. Voir aussi note 78 infra.
60. Commentaire sur la prière (éd. Shemuel
Jerusalmi, Jérusalem, 1979), IIe partie, p. 42. Quant au
Sabbat comme moment propice pour les relations sexuelles, voir
déjà TB Ketoubot fol. 62b, plusieurs fois
dans le Zohar, et plus bas, le texte de R. Moïse Cordovéro
note 71.
61. Il semble que le cabaliste se fasse une conception quasiment
astrologique du Sabbat; puisqu'il était considéré
comme la puissance divine préposée à la fertilité,
le jour du Sabbat est particulièrement adapté à
l'activité sexuelle; et voir Erich Fromm, Le Langage
oublié (Paris, 1980), p. 193 à 199.
62. Voir Beréchit Rabba 11:8 p. 9596, ajouté
par R. Yehouda immédiatement après.
62a. Cf. Proverbes 10:26.
63. Comparez avec une idée parallèle qui apparaît
dans le Sefer ha Bahir (§ 157): Le Saint, béni
soitil, a un seul juste dans son monde [...] et il est le
fondement de toutes les âmes (nefachot) [...]
le fondement de toutes les âmes (nechamot) et
il est écrit: 'Le septième jour il a chômé
et repris haleine' (vayinafach) (Ex. 31:17).
64. M. Joël, Blicke in die Religiongeschichte (I,
Breslau) 1880, p. 107, 160, 161; voir aussi Ginzberg (note
20 supra) p. 190, qui suit 1'idée de Joël selon
laquelle les syzygies sont une influence gnostique sur le judaïsme.
65. XVII, 4, p. 156. Voir I. Tishby, Commentaire de R. Azriel
sur les Aggadoth du Talmud (Jérusalem, 1945), p. 17
et note 15. Il est très probable que l'identification des
chérubins avec les deux attributs divins soit la continuation
d'une ancienne tradition, qui se retrouve déjà chez
Philon et dans le Midrach Tadché: voir supra
note 36 et Pataï, The Hebrew Goddess p. 82. Cette
question sera travaillée dans une étude distincte.
66. Voir Scholem, Les origines, p. 232, 233.
67. Voir Idel, Jérusalem dans la pensée juive
médiévale (note 33 supra).
68. Sur les deux niveaux du Yihoud ou unification,
voir Tishby, La Sagesse du Zohar, II, p. 261 sq.
69. Voir déjà dans la Igueret haQodech, in Kitvé
ba Ramban II, p. 324.
70. Voir Abraham ben Eliezer ha Lévi, Massoret ha hokhma,
édité par G. Scholem dans Kiryat Sefer, vol.
II ( 19251926), p. 129130 (en héb.).
71. Voir Chiour Qoma (Jérusalem, 1966), fol. 26d.
72. Comparez avec la conception tantrique mentionnée par
Eliade, The Two and the One (note 50 supra) p. 4041.
73. Voir plus haut notre discussion du texte de R. Yehouda ben
Yaqar, et aussi ma discussion d'un passage de Cordovéro
dans L'interprétation magique et théurgique
de la musique dans les sources juives depuis la Renaissance jusqu'au
Hassidisme, Youval, vol. IV (1982), p. 5455
(en héb.).
74. Kitvé ba Ramban, II, p. 325.
75. Apparemment les puissances divines qui constituent la Mercaba
supérieure, c'estàdire le domaine sefirotique;
voir idem p. 234.
76. Machpia oumeqabel: ces termes, désignant
le fonctionnement mâle et femelle des entités, sont
courants dans les dernières oeuvres de R. Joseph Gikatila.
77. Ces mots doivent désigner symboliquement les sefirot
Tiferet et Malkhout. Comparez avec un parallèle dans les
Upanishads mentionnés par Eliade dans Yoga p. 254.
Il convient de remarquer que déjà dans le Midrach
(Nombres Rabba 2), les chérubins sont assimilés
aux cieux et à la terre.
78. Voir la conception exprimée par exemple dans l'Alphabet
de R. Akiba, éd. par S. A. Wertheimer, Baté
Midrachot (Jérusalem, 1955), vol. II p. 327:
Car toutes les créatures qui devaient étre
créées étaient exclusivement l'une mâle
l'autre femelle. Et voir les sources rapportées idem
note 38. Cette idée a été adoptée
par R. Eléazar de Worms et R. Jacob ben Chéchét:
de ce dernier, voir Mechiv Devarim Nekhohim (éd.
G. Vajda, Jérusalem, 1969), p. 114. Le thème de
la polarité sexuelle dans les mondes supérieurs
en tant qu'il appartient au Hassidisme achkénaze, est un
sujet important qui doit être traité méticuleusement,
car il peut constituer l'un des ponts les plus importants entre
les anciennes conceptions juives de la sexualité et la
cabale à son origine; voù aussi note 79 infra
et Monford Harris The concept of Love in Sefer Hassidim
JQR vol. 50 (1959) p. 13 44. Il semble réellement
que le matériau cabalistique ait influencé Léon
l'Hébreu, dont la pensée a été décrite
comme la polarisation radicale de l'univers entier en termes
de symboles mâles et femelles, cf. T. Anthony Perry,
Erotic Spirituality The integrative Tradition from leone
Ebreo to Join Donne (University of Alabama Press, 1980) p.
15. Voir aussi Idel, Cabale et philosophie antique chez
R. Isaac et Yehouda Abrabanel, in M. Dorman Z. Levy, La
philosophie de Léon l'Hébreu (TelAviv,
1985), p. 89 93 (en hébreu).
79. Voir R. J. Zwi Werblowsky, Age and Essence, Ex
Orbe Religionum (Leiden, 1972), vol. II, p. 318325;
J. Dan, Samael, Lilith, and the Concept of Evil in Early
Kabbalah, AJS Review vol. 5 (1980) p. 1725.
L'histoire du développement de la structure démonique
bisexuée doit être reconsidérée, à
mon avis, en s'orientant vers une plus ancienne apparition des
relations sexuelles entre les chefs des démons, j'espère
le faire ailleurs.
80. J'ai volontairement ignoré la comparaison peutêtre
plus intéressante entre l'approche cabalistique de la sexualité
et la conception hindouiste, dans la mesure où mon propos
consiste à comparer des conceptions qui ont fleuri dans
une même région géographique et qui auraient
pu s'influencer mutuellement. De plus, la Gnose et la Cabale partagent
une même vision d'un Plérôme composé
de syzygies et de relations hiérogamiques intrinsèques.
Sur ce fond commun, les divergences entre elles paraissent encore
plus saisissantes. J'essaie d'éviter un amalgame indistinct
d'éléments superficiellement parallèles tirés
des quatre coins du monde, dans le but de découvrir un
modèle - comme il en va dans la tentative d'Eliade,
voir par exemple note 81 infra - afin de me concentrer
sur des traits spécifiques de phénomènes
relativement proches.
81. Voir par exemple l'Evangile de Thomas et l'Evangile
de Philippe; les textes pertinents ont été cités
par Eliade, The Two and the One, p. 105107. Baer,
Philo's Use p. 7274; William C. Robinson, Jr. The
Exegesis of the Soul Novum Testamentum vol.
12 (1970) p. 111117; Meeks: The image of the Androgyne
p. 188 197.
82. Voir Galates III, 28; Wayne A. Meeks The Image of the
Androgyne, et Carl Jung, Mysterium Coniuctionis (Princeton
U.P., 1977), p. 373374. Ce thème est déjà
bien connu par Philon, mais, à mon avis, il est inconnu
dans les textes hébraïques, voir Baer Philo's Use
p. 4555; voir cependant son attitude typique à l'égard
du mariage, idem p. 75, 9495. Les conceptions philoniennes
relatives à la masculinité et à
la virginité en tant qu'idéal mystique
furent d'une grande influence sur la littérature patristique
et par là sur la pensée chrétienne en général.
Voir Maryanne Cline Horowitz, The Image of God in Man -
Is Woman Included, HTR vol. 72 (1979) p. 190204.
83. Baer, Philo's Use p. 6971.
84. Comme Meeks l'a bien remarqué (The Image of the
Androgyne p. 186): Dans le judaïsme, le mythe
de [l'androgyne] ne sert qu'à résoudre un dilemme
exégétique et à consolider la monogamie.
Toutefois, la cabale extatique utilise parfois une imagerie androgynique,
sous l'influence de la philosophie grecque, à travers la
médiation des oeuvres de Maïmonide; cependant, aucun
mouvement ascétique n'a émergé de ce courant
de pensée ; voir note 6 supra. Une autre différence
cruciale entre les conceptions juives et grecques de l'androgynie
est la vision juive positive de la séparation entre le
mâle et la femelle, alors que chez Platon, la séparation
est perçue comme une punition; comparez cependant avec
Thorlief Boman, Hebrew Thougth compared with the greek (Londres,
1960), p. 9697: La forme du mythe est quelque peu
différente de celle de Genèse 2 mais la signification
est exactement la même. (!!) Voir aussi le traité
gnostique intitulé Apocalypse d'Adam (trad. anglaise
de G. Macrae in James H. Charlesworth, The Old Testament Pseudepigrapha
(Londres, 1983), vol. I p. 712): Dieu, le gouverneur
des aeons et des puissances, nous a séparés avec
colère. Alors nous devînmes deux aeons et la gloire
de nos coeurs nous a abandonnés, moi et votre mère
Ève. Comparez aussi avec l'accusation d'une matrona
selon laquelle Dieu créa la femme par un vol (Genèse
Rabba 17:7 p. 157) contre la réponse de R. Yossé
qui insiste sur la bienveillance de Dieu. Sur le possible arrièreplan
gnostique de ce passage, voir récemment Rosalie GershenzonEliezer
Slomovic, A second century Jewish - Gnostic Debate: Rabbi
Jose ben Halafta and the Matrona, Journal of the Study
of Judaism, vol. XVI (1985) p. 2022.
85. Ou, comme Jung l'a exprimé de manière particulièrement
adéquate: Le gnosticisme [...] s'est efforcé
avec un grand sérieux de subordonner le physiologique au
métaphysique, dans son The Archetypes and
the Collective Unconscious (Princeton U. P., 1980) p. 177.
Meeks, The Image of the Androgyne, p. 207 use de l'expression
rebellion métaphysique dans sa description
des tendances androgyniques des cercles chrétiens et gnostiques.
Il semble qu'avec la cabale, la situation ait été
complètement différente.
86. Voir Meeks, The Image of the Androgyne, p. 207.
87. Voir les différentes discussions midrachiques sur l'OEuvre
de Dieu, appariant les couples depuis la fin de la création
du monde, rassemblées, traduites et analysées par
Aharon Agus, Some early Rabbinic Thinking on Gnosticism
JQR vol. 71, (1980) p. 1830. Bien qu'Agus ait parfaitement
raison sur son insistance quant au caractère antignostique
de la conception rabbinique de Dieu en tant que archeshadken
(archétype du marieur) certaines tendances antichrétiennes
ont pu aussi contribuer à l'émergence de cette conception.
J'espère traiter ailleurs de cette question. Voir aussi
Gershenzon Slomovic (note 84 supra) p. 2529.
88. Voir Scholem, The Messianic Idea, p. 136l37.
89. Ils étaient désignés comme zoharistes
à cause de leur fréquente étude de cette
oeuvre.
90. Au sujet des affinités phénoménologiques
entre les formes radicales du Sabbatianisme et le Gnosticisme,
voir par exemple Scholem, The Messianic Idea, p. 132133.
9l. Voir Nathan de Gaza, Traité de la Ménora,
imprimé par G. Scholem dans BeIqvot Mashiah
(Jérusalem, 1944), p. 102; voir aussi Scholem, Sabbatai
Sevi, The Mystical Messiah, 16261676 (Princeton U.P.,
1973) p. 810 et 311312. (Publié en français
dans Sabbataï Tsevi, Le Messie Mystique, éd.
Verdier, 1983).
92. Rapporté par Jacob Emden, Sefer hita'beqout (Lvov,
1877) fol. 6a, apud Scholem, The Messianic Idea
p. 117. La présentation de Sabbataï Tsevi comme sauveur
du sens du toucher est plutôt étrange. Presque tous
les cabalistes ont réfuté l'opinion de Maïmonide
et ont adhéré à une conception positive de
l'acte sexuel; voir déjà la position de la Igueret
ha Qodech chap. 2 (éd. Chavel p. 323324)
93. Ethique à Nicomaque, III, 10, 118b.
94. Voir Guide des Ègarés II, 36, 40; III,
8, 49.
95. Cette idée des plus importantes, partagée par
plusieurs auteurs qui ne sont pas experts dans la recherche touchant
la cabale, a été ignorée par les fondateurs
de l'étude savante de la cabale comme Scholem et Tishby.
Comparer avec Patai, The Hebrew Goddess, p. 119 sq., M.
Kasher (note 26 supra); Isaac Baer, Le service du
Sacrifice à l'époque du second Temple, Zion,
vol. 40 (1975), p. 10ll04 (en hébreu).
96. L'assertion de David Bakan selon laquelle la tradition
mystique juive a réellement influencé les conceptions
de Freud paraît être une approche solide, malgré
les difficultés rencontrées par l'auteur lorsqu'il
s'est efforcé de la prouver en usant d'arguments historiques.
Il suffit de reconnaître que, au moins pour la sexualité,
l'attitude juive non mystique n'était pas si
éloignée de celle de la cabale, et l'approche généralement
positive de cette notion était un dénominateur commun
pour la plupart des Juifs.
97. Je me réfère principalement à
leur adhésion à l'idée hermaphrodite ou androgynique
comme symbole de la perfection humaine: voir leurs oeuvres mentionnées
aux notes 50, 81, 82, 85 supra. Voir plus particulièrement
la discussion d'Eliade au sujet de l'androgynisation dans The
Two and the One (note 50 supra), p. 111114.
98. La conception junguienne de l'androgyne en tant qu'arché'type
en est un parfait exemple; selon lui, l'androgynie est une
idée primordiale devenue un symbole de l'union créatrice
des contraires, un symbole unitaire au sens littéral.
Voir The Archetypes (note 85 supra) p. 174.
99. Voir Eliade, The two and the One (note 50 supra)
p. 100, où il se réfere à l'androgynie
comme à un symbole de la plénitude résultant
de la fusion des sexes, un nouveau genre d'humanité
dans lequel la fusion des sexes produit une conscience nouvelle
non polarisée et idem p. 114. Comparez aussi
avec sa description complaisante des rites orgiaques dans Patterns
in Comparative Religion (New York, 1972) p. 356 sq.
particulièrement p. 361. Au sujet d'Eliade en tant
qu'herméneute créatif qui tenta de mettre en avant
une discipline spirituelle, voir W. L. Branneman Jr., S. O. Yarian
- A. M. Olson, The Seeing Eye (Pennsylvania State University,
1982) p. 5771.