Métaphores et pratiques sexuelles dans la cabale

Moshé Idel

Article publié en annexe de Lettre sur la sainteté, le secret de la relation conjugale entre l'hiomme et la femme dans la cabale, traduit introduit et annoté par Charles Mopsik, Lagrasse, Verdier, 1986, p. 328-358.

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La présente étude* traitera de deux usages principaux de l'imagerie et de la pratique sexuelles ainsi que des métaphores du même ordre développées dans la littérature de la cabale (1). L'on peut subdiviser, par commodité, les divers types de motifs relatifs à la sexualité en deux grandes parties, en fonction de leurs références au plan théologique ou théosophique.

a) Quand la relation symbolisée par l'imagerie ou la pratique sexuelle se situe entre l'homme et Dieu, je me référerai à elle en tant que “symbolisme vertical”.

b) Quand la relation en jeu dans l'imagerie ou la pratique sexuelle vise un processus se déroulant entre des entités de même niveau, je m'y référerai en tant que “symbolisme horizontal”. Le “symbolisme vertical” est attesté dans les deux écoles principales de la cabale: la cabale dite théosophique, dont le chef­d'oeuvre est le Zohar, et dans la cabale extatique, représentée par les écrits de R. Abraham Aboulafia et de ses successeurs. Le “symbolisme horizontal” apparaît presque exclusivement dans la cabale théosophique. Grosso modo, les deux principaux types de symboles surgissent déjà dans les textes rabbiniques classiques: Talmud et Midrach. Cependant, les cabalistes du Moyen Age, qui adoptèrent les motifs sexuels préexistants, élaborèrent les détails des conceptions rabbiniques touchant aux thématiques sexuelles, et parfois intégrèrent des idées philosophiques qui contribuèrent surtout aux formulations propres à la cabale extatique.

Commençons par le symbolisme vertical. Ce type de symbolisme inclut deux différents genres de symboles:

I ) La cabale théosophique se réfère à la manifestation divine comme à une partenaire féminine, tandis que les cabalistes (ou des figures idéales de l'antiquité lointaine, héros bibliques ou rabbiniques) sont considérés comme jouant le rôle masculin dans leur relation au divin.

2) La cabale extatique, à l'opposé, représente le mystique ou ses facultés spirituelles comme féminin, alors que les puissances supérieures, en l'occurrence l'Intellect Actif, ou Dieu lui­même, sont regardées comme un partenaire masculin. Je parlerai de l'usage théosophique du symbolisme vertical aussi bien qu'horizontal, comme d'un “symbolisme descendant”.

Cette expression, proposée et définie par Erich Kahler (2), indique un cas où “la représentation symbolique se détache d'elle­même, descend jusqu'à nous, depuis une réalité antérieure et plus haute, une réalité déterminante, et donc supérieure à sa signification symbolique. Ce qui revient à dire que des oeuvres réellement mythiques et culturelles ne se proposent pas comme représentation symbolique, elles sont censées décrire des faits réels”.

En ce qui nous concerne, la “plus haute réalité” est le processus qui se déroule dans le monde intradivin, le domaine des sefirot, qui servent d'archétypes pour les processus à la fois verticaux et horizontaux. A l'opposé, le symbolisme vertical de la cabale extatique sera considéré comme un “symbolisme ascendant” (3), cette formule exprimant l'élévation d'un acte sexuel corporel au statut de métaphore pour la relation entre âme humaine et entités supérieures.

Je vais d'abord examiner l'histoire du symbolisme vertical et ascendant.

A - Le symbolisme vertical ascendant

C'est un lieu commun de dire que les littératures mystiques tendent à exprimer la relation entre l'âme du mystique et le divin au moyen d'une imagerie érotique (4). Tous les corpus classiques d'écrits mystiques peuvent aisément en produire maints exemples, parfois frappants, où des images sexuelles sont ouvertement et fréquemment employées. La cabale n'a rien d'unique à cet égard: elle use aussi, très amplement d'images sexuelles et de métaphores. Cependant, il y a quelque chose d'original dans cet ensemble d'écrits, qui transcende l'usage plus commun de motifs sexuels et érotiques: 1a différence ne repose pas tant dans les textes que dans leur contextes sociologiques.

Contrairement à leurs homologues chrétiens, les mystiques juifs qui adoptèrent l'imagerie sexuelle afin de décrire leur expérience du divin, partageaient avec d'autres Juifs la conviction que le mariage réel et l'accomplissement du commandement de la procréation constituent un impératif religieux. Les cabalistes, en conséquence, peuvent difficilement être considérés comme des personnes pour lesquelles l'emploi de métaphores sexuelles est une compensation de leur frustration en matière d'expériences érotiques “réelles” (5). Abraham Aboulafia, Isaac d'Acco, ou tout autre cabaliste qui sera mentionné plus bas, étaient vraisemblablement mariés ou, du moins, regardaient les relations sexuelles comme légitimes d'un point de vue religieux. I1 en résulte que la récurrence même de ce type d'imagerie dans des sources juives montre à l'évidence que l'explication assez commune donnée par quelques universitaires, quant à la genèse de l'imagerie sexuelle dans une libido réprimée, ne peut pas être davantage qu'une solution partielle.

Un bref examen du symbolisme vertical ascendant montre qu'il appert dans deux grands types de textes:

a) La littérature juive ancienne: la Bible et les textes talmudiques et midrachiques décrivent la relation entre Dieu et le peuple juif - désigné parfois comme Communauté d'Israël - comme une relation respective entre mari et femme. C'est aussi la principale démarche suivie par la littérature exégétique du Cantique des Cantiques, dans les textes médiévaux, qui considère sa signification simple comme relative au peuple d'Israël et à Dieu. I1 s'agit à l'évidence d'une partie du mythe national qui métamorphose la nation tout entière en une entité entretenant une relation sexuelle avec l'autre entité - la divinité. Cette relation mythique a peu à voir avec une mystique. Elle est concernée primordialement par la nation en tant qu'unité, tandis que le Juif singulier est plutôt négligé comme facteur significatif. L'individu, selon ces écrits juifs classiques, peut prendre part à ce lien avec Dieu par sa participation à une grande unité signifiante: Knesset Israel. Son activité doit donc être destinée à faire de lui une partie de ce plus grand corps.

L'imagerie érotique et sexuelle se fait jour, à mon avis, seulement sur ce point: la relation de la mythique Knesset Israel avec Dieu. Ce lien joue comme médiation entre l'individu juif et la Divinité, quand bien même cette relation est exprimée en termes sexuels.

b) C'est seulement plus tard, à l'époque médiévale, qu'à côté de ce lien mythique, exprimé dans une terminologie maritale, une relation mystique entre l'individu et Dieu fait son apparition. L'âme humaine, ou parfois l'intellect humain, ont été conçus comme féminin dans leurs relations à l'entité masculine supérieure, que ce soit l'Intellect Actif - regardé comme une puissance cosmique - ou Dieu lui­même (6). Tel est le modèle adopté depuis la fin du XIIe siècle par des philosophes juifs, et qui à partir de là, s'est infiltré dans la cabale extatique. Je limiterai les remarques suivantes à quelques exemples, le matériau étant beaucoup trop abondant pour que je puisse le commenter ici.

J'ai choisi des illustrations qui nous permettront de sentir la neutralisation de l'aspect mythique de Knesset Israel - telle qu'elle apparâît dans les textes rabbiniques classiques, ou dans la cabale théosophique (7) - et sa transformation en une allégorie de la capacité spirituelle de l'homme.

Dans son Gan Naoul, Abraham Aboulafia écrit (8):

“Le Cantique des Cantiques n'est rien autre qu'une parabole pour Knesset Israel et Dieu, qui est pour elle comme un parfait fiancé alors qu'elle est pour lui comme une jeune épousée parfaite, lui au plan divin, elle au plan humain (...) l'amour humain ne s'associe pas à [l'amour] divin avant de longues études de Torah et avant une pleine accession à la sagesse, ni avant la réception de la prophétie.”

Il ressort donc que l'accession à la prophétie, ou en d'autres mots la réalisation d'une expérience extatique, est l'équivalent de l'union d'un fiancé et de sa promise. La nature du fiancé est claire: c'est Dieu; la fiancée - Knesset Israel - est cependant humaine. Sur la base de ce seul passage, il paraît évident que Knesset Israel est conçue comme une entité individuelle: après tout, la réception de la prophétie est ordinairement une expérience individuelle.

Néanmoins, Aboulafia nous fait comprendre, dans une autre de ses oeuvres, ce qui suit (9): “Le secret de Knesset Israel est... Knesset I­Sar­EI, parce que l'homme parfait comporte toutes choses ensemble et il est appelé "la communauté de Jacob".” La métamorphose de la nation parfaite, partenaire de Dieu, en une âme individuelle, est claire. Le sage se tient à la place de toute la “communauté de Jacob” dans la mesure où il inclut la Knesset dans sa pensée, l'Intellect Actif, qui est représenté par le mot “Israël”.

L'expérience extatique est décrite par Aboulafia, qui utilise encore de fortes images érotiques, comme une unio mystica (10):

“Telle est la force de l'homme: il peut attacher la partie inférieure à la supérieure et la [partie] inférieure s'élèvera et s'unira à la [partie] supérieure, tandis que la [partie] d'en haut descendra et embrassera l'entité qui monte à sa rencontre, comme un fiancé embrasse réellement sa fiancée, à cause de son grand et vrai désir, propre au plaisir des deux, issu de la puissance de Dieu (ou du Nom).”

Selon Aboulafia, le but final de l'extase est le “plaisir du fiancé et de la fiancée”, expression souvent répétée dans ses écrits (11). Cette union de l'humain et du divin représente un changement clair, non seulement du mythique à la mystique, du national à l'individuel, mais aussi de la terminologie traditionnelle au langage philosophique. D'après un traité anonyme de l'école d'Aboulafia (12): “La faculté rationnelle, c'est­à­dire l'âme rationnelle qui reçoit l'influx divin, est appelée Knesset Israel, dont le secret est l'Intellect Actif.” “Israël” ou “Knesset Israël représente donc l'intellect humain qui est relié, d'une façon secrète, à l'Intellect suprême. La nature de ce secret semble être la guematria suivante: Israël a même valeur numérique que sekhel ha­poél (intellect actif) (13). J'inclinerais à résumer le changement entre la vision classique et la vision spéculative de Knesset Israel comme épouse de Dieu, de la manière suivante: c'est seulement lorsqu'il a été interprété comme se référant à l'individu, que ce terme a été relié à l'union mystique entre monos pro monos. Seulement alors le cabaliste pouvait se voir comme une “femelle” à l'intérieur de laquelle l'étincelle divine est semée et le fils spirituel né, autrement dit, une transmutation de l'esprit humain a lieu comme résultat d'un contact avec le divin (14). Il importe de remarquer que le symbolisme épithalamique (15) utilisé par Aboulafia est parfois transcendé par l'apparition d'un symbolisme unitaire (16); un exemple: le passage précité de Or ha Sekhel survient immédiatement après le passage suivant (17) :

“Le Nom (de Dieu) est composé de deux parties (18) puisqu'il y a deux parties d'amour (divisé entre) deux amants, et les (parties de) l'amour deviennent une seule (chose) quand l'amour devient actuel. L'amour divin intellectuel et l'amour humain intellectuel se conjoignent, devenant un.”

Avant d'abandonner ce genre de métaphores, il est important de souligner le fait qu'une expérience réelle d'un contact sexuel n'est pas essentielle pour l'adepte de la cabale extatique. Il peut l'avoir vécu ou non dans le passé ou s'y adonner encore ou non dans le présent, l'acte même de l'union sexuelle ne joue aucun rôle rituel dans l'expérience mystique (19). Par nature, la cabale extatique est surtout soucieuse des processus spirituels, pour lesquels les actions corporelles pourraient être seulement une entrave.

B - Le symbolisme vertical descendant

“Si homme et femme sont méritants la présence divine (la Chekhina) demeure entre eux, sinon - un feu les consumera (20).” Quelle est la signification de ce dictum ? Un simple avertissement visant à consolider les lois de pureté ? Peut­ être. Nonobstant cette possibilité, j'aimerais proposer une interprétation plus élaborée, concernant l'acte d'union entre homme et femme, lorsqu'il est accompli en conformité avec le rituel juif, en tant qu'il est chargé d'une signification théurgique (21). Ou, pour le dire autrement, l'union sexuelle parfaite (22) influence réellement la présence divine, la déterminant à résider avec le couple méritant. Cependant, quand l'union est accomplie par des personnes impures, le résultat est fatal: un feu les dévorera.

Le couple d'opposés: la présence favorable de la Divinité face au feu dévorant, nous rappelle une possibilité inhérente à une autre situation: l'entrée dans le sein le plus profond du sanctuaire juif. Moïse était capable d'entendre la parole divine à partir des chérubins dans le Tabernacle, tandis que Nadav et Avihou furent consumés par le feu lorsqu'ils pénétrèrent dans le sanctuaire (23). Ce parallélisme n'est­il qu'une pure coïncidence ? N'y a­t­il aucune affinité significative entre l'union sexuelle pure et le sanctuaire ? I1 me semble que la réponse est positive. La présence divine était censée résider entre les deux chérubins (24). Cette vision biblique a été développée dans le Talmud: les chérubins se tournent l'un vers l'autre quand Israël accomplit les commandements, ou, comme le dit le Talmud, la volonté de Dieu; mais, lorsqu'ils fautent, les chérubins détournent leur face l'un de l'autre (25). Donc, grâce à l'accomplissement de la volonté divine, les chérubins changent de position, ce qui est apparemment décrit dans un autre passage du Talmud (26) :

“Quand Israël accomplissait le pèlerinage, ils [les prêtres] déroulaient pour eux la Parokhet (le rideau) et leur montraient les chérubins qui étaient enlacés l'un à l'autre et ils leur disaient: "Voyez, votre amour devant Dieu est comme l'amour du mâle et de la femelle".”

I1 semble, en conséquence, que l'accomplissement de la volonté divine et l'amour de Dieu pour Israël trouvent leur expression dans la position sexuellement orientée des chérubins. I1 convient de nous attacher à la signification précise de ce dernier passage: l'amour de Dieu pour Israël n'est pas équivalent à l'amour d'un chérubin pour l'autre, en d'autres mots: les chérubins ne sont pas à la place de Dieu et d'Israël; seule la nature de l'amour du mâle et de la femelle est une métaphore de l'amour divin.

L'établissement de la présence Divine entre les chérubins et entre mari et femme ayant mérité, ne sont que des cas particuliers d'une intention plus générale, exprimée par la sentence midrachique (27): “Iqar chekhina batahtonim hayeta, qui signifie ceci: le lieu naturel de la Chekhina était en bas. La construction du Temple, ou l'accomplissement des commandements - et dans notre cas ceux qui sont liés à l'acte sexuel - visent la restauration de l'état initial de la présence Divine.

I1 est intéressant de noter qu'une discussion talmudique sur l'impératif de préparer une résidence à la Chekhina est encore liée explicitement à la procréation (28); le refus de Ben Azaï quant au mariage, afin de se consacrer à l'étude de la Torah, est vertement flétri par quelques Tannaïtes; R. Eliézer décida même que quiconque s'abstient de la procréation sera puni de mort, il avance à ce sujet l'exemple de Nadav et Avihou, qui moururent, selon cette interprétation, parce “qu'ils n'avaient pas eu d'enfants” (29), et qui autrement seraient restés vivants (30). Une autre explication du châtiment de l'abstention est le fait qu'une telle restriction cause le retrait de la Chekhina d'Israël, ce point de vue s'appuyant sur le verset (3l): “Pour être un Dieu pour toi et pour ta semence après toi.”

Le sage anonyme poursuit: “Si ta semence est après toi, la Chekhina réside [en bas], s'il n'y a pas de semence après toi, sur qui la Chekhina résiderait, sur les arbres et sur les pierres ?” La procréation est donc indispensable à la réalisation de l'état idéal de la Chekhina, non seulement Elle est présente durant l'acte même d'union entre mari et femme (32), mais grâce à la nature productive de cet acte, elle continue à résider en bas.

L'affinité entre la présence de la Chekhina sur le couple de chérubins dans le Temple et sa résidence sur le couple humain méritant est, à mon avis, hautement significative. Tout se passe comme si le rôle religieux des chérubins était transféré sur les couples humains. Quand le Temple fut détruit, sa fonction fut partiellement préservée par l'activité humaine. Ce transfert fut, semble­t­il, rendu possible par l'existence d'une très ancienne conception du Saint des Saints en tant que chambre à coucher. Selon un traité gnostique préservé à Nag Hammadi (33):

“Les mystères de la vérité sont révélés, quoique par symbole et par image, la chambre nuptiale demeure néanmoins cachée. Elle est le saint des saints. Le rideau au début cachait la manière dont Dieu contrôlait la création, mais quand le rideau est tiré et que les choses intérieures sont dévoilées, cette maison sera laissée à la désolation.”

Ou encore (34):

“I1 y avait trois bâtiments réservés spécialement au sacrifice dans Jérusalem. Celui qui faisait face à l'Ouest était appelé le "Saint". Un autre, faisant face au Sud, était appelé le "Saint du Saint". Le troisième, vis­à­vis de l'Est, était appelé le Saint du plus Saint... le Saint des Saints est la chambre nuptiale.”

I1 semble bien que ces textes gnostiques reflètent une perception juive du Temple pré­existante; selon le Midrach Tanhouma, commentant la référence au lit royal dans le Cantique des Cantiques 3:7, le commentateur anonyme avance que (35):

“Son lit (celui de Salomon) est le Temple. A quoi le Temple est­il comparé en bas ? Au lit, qui sert au fructifier et au multiplier. De même le Temple, tout ce qui s'y trouvait fructifiait et multipliait.”

Examinons l'assertion selon laquelle le rideau “cachait la manière dont Dieu contrôlait la création”. Il semble plausible de supposer que l'auteur gnostique cherchait à suggérer un acte sexuel se déroulant dans le Saint du plus Saint, ce dernier étant considéré comme une “chambre nuptiale”. Par ailleurs, dans cette “chambre nuptiale”, la façon dont le monde est gouverné peut être visualisée. Je souhaiterai indiquer pour conclure que les entités qui étaient aperçues dans le Saint du plus Saint étaient liées d'une part aux chérubins - à cause des tonalités sexuelles - et d'autre part aux deux attributs de Dieu: Midat ha rahamim (la mesure de clémence) et Midat ha din (la mesure de rigueur), selon la terminologie rabbinique, qui représentent la façon dont Dieu “contrôle la création”.

Cette thèse est fondée sur le fait que déjà Philon d'Alexandrie identifiait les chérubins avec les attributs divins (36). Par ailleurs, des identifications de chérubins avec des puissances masculines et féminines étaient connues dès les temps anciens, même au­delà des frontières du judaïsme (37). Bien qu'une influence de Philon sur l'Evangile de Philippe soit possible, cette thèse n'est en rien la seule solution offrant une probabilité susceptible d'expliquer comment des visions juives du Saint des Saints ont pu atteindre l'auteur gnostique; il est tout aussi probable que des traditions juives, contemporaines de Philon mais peut­être indépendantes de ses écrits, étaient connues par l'auteur anonyme (38). Nous sommes donc en droit de conclure qu'une perception sexuellement connotée du Saint des Saints existait dans l'ancien judaïsme. Peu après la destruction du Temple, nous découvrons un substitut à la fonction de ce dernier en tant que lieu de résidence de la Chekhina.

Suivant une idée repérée dans le contexte talmudique envisagé plus haut (39), la présence effective de la Chekhina requiert l'existence d'au moins vingt­deux myriades d'enfants d'Israël (40), chacun devant contribuer à la pérennité de cette figure. Le peuple d'Israël est regardé, en tant qu'individus ou en tant que nation, comme Imago Templi, thème qui influença aussi bien le christianisme que l'islam. D'après cette conception, l'union pure du mâle et de la femelle fonctionne comme un acte de restauration, permettant à la Chekhina de conserver sa place naturelle: le sein de la nation juive. Au moins partiellement, la procréation est accomplie en faveur de la divinité, elle est un effort pour rétablir l'harmonie existant pendant la période où les Temples étaient en fonction. I1 semble donc raisonnable de supposer que le dictum cabalistique médiéval: “Chekhina ba­tahtonim (ô béisrael) tsorekh gavoa”: “La présence de la Chekhina en bas (ou parmi Israël) est pour Son (propre) bien”, que cette sentence des plus importantes, qui devint un slogan de la cabale théurgique, reflète fidèlement une perception plus ancienne, qui a été seulement articulée plus clairement par les cabalistes.

Développons maintenant une autre approche cabalistique de ce thème. Selon les sources rabbiniques classiques discutées ci­dessus, la présence de la Chekhina durant l'acte sexuel est conditionnée par la pureté rituelle des participants. Aucune recherche de kavana (intention) n'est mentionnée dans ces contextes, l'intention pure, décrite par les cabalistes comme visant l'ascension de la pensée humaine vers sa source supérieure et la descente consécutive de la Chekhina, a été ajoutée par l'un des plus anciens et des plus influents textes de la cabale, la Lettre sur la sainteté (Igueret ha qodéch) (43):

“I1 est bien connu des maîtres de la cabale que la pensée humaine provient de l'âme intellectuelle qui est descendue d'en haut. La pensée humaine est capable de se dévêtir (des résidus étrangers) et de monter jusqu'à atteindre le lieu de sa source (43). Alors elle s'unit avec l'entité supérieure (44) d'où elle procède et elle (i. e. la pensée) et l'autre (i. e. sa source) deviennent une seule entité (45). Et quand la pensée retourne du haut vers le bas, quelque chose de semblable à une ligne apparaît et la lumière supérieure descend, sous l'influence de la pensée, qui l'attire en bas et attire la Chekhina en bas, alors la lumière éclatante (46) vient et surabonde sur le lieu où se tient celui qui a émis cette pensée (...) puisque tel est le cas, nos anciens sages ont dû dire que, quand le mari s'accouple avec sa femme et que sa pensée s'unit avec les entités supérieures, que cette pensée attire la lumière supérieure en bas et que cette dernière s'établit sur la goutte (de semence), il dirige son intention sur elle et pense à elle (...) cette goutte même est liée en permanence avec la lumière éclatante (...) puisque la pensée à son égard est liée aux entités supérieures et attire la lumière éclatante en­bas.”

I1 ressort que l'intention mystique de l'homme, qui doit accompagner l'union sexuelle, peut entraîner la lumière supérieure, et la Chekhina aussi bien (47), à descendre sur l'homme durant cette même relation. Le mari doit élever sa pensée jusqu'à sa source afin d'accomplir une unio mystica, qui sera suivie par la descente de forces spirituelles d'en haut sur le semen virile (48); ici, ascencio mentis, unio mystica et reversio sont des étapes préalables à la conception idéale (49).

I1 vaut la peine de comparer cette conception mystique de l'acte sexuel avec le point de vue tantrique. Dans les deux cas, l'acte sexuel doit être effectué avec beaucoup d'attention; un certain état de conscience mystique est atteint au cours de l'acte corporel. Cependant, l'usage de la relation sexuelle pour vivre des expériences spirituelles est évidemment différent. L'union mystique de la pensée avec sa source est, dans la cabale, instrumentale par rapport au but principal: la conception; la connaissance spirituelle est seulement une phase préparatoire dans le processus de procréation, qui doit être accomplie avec la coopération de la Chekhina. Dans les systèmes tantriques, l'état de conscience mystique, le bodhicitta, est un but en soi, tandis que l'état parfait est obtenu par l'immobilisation du flux du semen virile (50). L'acte sexuel est considéré par les cabalistes comme un acte donneur de vie. Chez les maîtres du Tantra, l'éjaculation est regardée comme une “mort” (51). Les cabalistes mettent l'union mystique au service de la procréation, le Tantra met la relation sexuelle inféconde au service de la conscience mystique.

Pour les tenants de la cabale théosophique, le rapport sexuel n'est pas un but en soi; le but final, ou plutôt les buts finaux, sont la procréation et la préparation de substrata appropriés -les êtres humains - pour servir de résidence à la Chekhina. Le couple humain ou ses descendants entrent en contact direct avec la Chekhina qui descend sur l'homme qui accomplit l'acte sexuel dans la pureté. En conséquence, un contact est évidemment établi entre l'homme et le divin, durant lequel le premier conserve sa nature masculine.

Dans les textes analysés ci­dessus, la Chekhina descend pendant l'acte sexuel même. Néanmoins, elle ne joue pas le rôle de la femelle et aucune mention de relations sexuelles entre le mâle et la Chekhina ne peut être discernée dans ces développements. Il semble que le livre du Zohar ait apporté un concept important dans le domaine des motifs sexuels (52): pour la première fois dans une source juive (53), le juste est décrit comme se tenant entre deux femelles (54): une femelle humaine - son épouse - et une femelle d'en haut, la Chekhina. L'homme est capable d'accéder à ce statut seulement quand il est marié à une femme de chair et de sang, mais par la suite, lorsqu'il lui arrive de se séparer de sa femme terrestre, il est dédommagé par la présence de la Chekhina. Cette description sexuellement connotée d'un contact humain avec la Chekhina est tout d'abord relative à Moïse, “ich ha Elolim (l'homme de Dieu), une phrase interprétée par les cabalistes comme signifiant “l'époux de la Chekhina” (55); cependant, même d'autres justes aussi sont parfois dépeints en termes similaires. Selon le Zohar, le mariage donne non seulement au juste l'occasion d'accomplir le commandement de la procréation, mais il le rend aussi capable d'atteindre le statut mythique d'époux humain du “monde de la féminité”: alma dé­nouqva. Cette considération mérite de retenir l'attention: le mariage rituel est un préalable pour l'accession au rôle d'époux mythique. La consommation effective du mariage est une condition sine qua non pour ce faire. I1 peut cependant être ensuite un obstacle à l'obtention de l'expérience spirituelle.

D'après Rabbi Isaac d'Acco (56) :

“Jacob, notre père, aussi longtemps qu'il vécut avec la Rachel corporelle, en dehors de la terre d'Israël, son âme ne pouvait s'unir avec la Rachel d'en haut, dont la résidence est la terre sainte. Mais dès qu'il atteignit la terre sainte, la Rachel d'en bas mourut et son âme s'unit avec la Rachel d'en haut.” Cette combinaison du mariage corporel comme première étape, avec les épousailles spirituelles comme étape seconde, signale vraisemblablement une synthèse entre l'importance théosophique accordée au mariage et l'insistance de la cabale extatique sur la nature spirituelle de la relation entre l'homme et Dieu (57).

C - Le symbolisme horizontal descendant

Le symbolisme sexuel décrivant la relation entre le juste et la Chekhina suppose la nature féminine de celle­ci; l'évolution de ce concept est une question complexe qui ne peut être discutée dans cet essai (58). Quoi qu'il en soit, il est important d'insister ici sur le fait que pour les cabalistes, le caractère féminin de cette manifestation divine n'est que secondairement lié à sa relation avec le juste. Elle est perçue essentiellement comme la partenaire féminine du système des neuf sefirot conçues comme le “monde du mâle”, ou de leurs représentants, les sefirot Tiferet et Yessod. L'homme juste imite donc la relation parallèle entre le juste d'en haut - le Yessod - et la Chekhina: les processus réels, archétypiques, ont lieu dans le monde divin, tandis qu'ici­bas, nous ne faisons que refléter la mystérieuse dynamique de l'univers intradivin. Tel le juste qui se tient entre deux femelles, humaine et divine, la femelle divine se tient elle aussi entre deux mâles, humain et divin (58a).

Puisque la relation entre le juste humain et la Chekhina est, d'après les cabalistes, fondamentalement une mimesis du processus supérieur, nous pouvons l'envisager comme l'expression d'un “symbolisme descendant”. Le processus le plus important a lieu en haut (59): nous usons de cette symbolique dans le but de refléter un phénomène parallèle, ici­bas. Ainsi, le symbolisme vertical descendant prend racine, de l'avis des cabalistes, dans le symbolisme horizontal descendant. La relation harmonieuse entre Tiferet et Malkhout, ou ainsi qu'elle a été communément désignée: Yihoud Qoudcha Berikh Hou ou Chekhinté (union du Saint béni soit­il et de sa Chekhina), est cruciale pour le bien­être du monde. Ce n'est que quand l'union entre les deux puissances divines est accomplie que l'influx issu du En­Sof (l'Infini) peut être transmis au monde inférieur. Cette harmonie, qui a été perturbée par le péché originel, aussi bien que par les fautes en général, peut être rétablie par l'accomplissement cabalistique des commandements, l'un des plus importants étant la relation sexuelle pure. Le couple humain effectuant l'unlon sexuelle est capable de produire un état d'harmonie en haut. L'acte sexuel est conçu comme doté de pouvoirs théurgiques. Suivant la plupart des cabalistes, cet acte humain reflète d'une part la structure d'en haut et d'autre part il influe sur elle. En conséquence, mariage et union sexuelle ont un énorme impact sur les mondes supérieurs. Cette conception est l'une des plus importantes contribution de la cabale au mode de vie juif: mariage et sexualité ont été transformés en un mystère reflétant un mystérieux mariage en haut, dont le succés est capital, tant pour le cosmos divin que pour l'univers inférieur. La procréation comme but ultime des relations conjugales devint dans le Weltanschauung cabalistique un but secondaire; bien que demeurant un but essentiel pour le couple humain, surtout pour le mari, la signification théurgique devint de plus en plus centrale au fur et à mesure que se développait la pensée cabalistique (60).

L'un des plus anciens cabalistes, R. Yehouda ben Yaqar, a exprimé la conception “descendante” de l'union sexuelle d'une manière particulièrement concise: “Et le commandement de l'union, qui nous concerne, se rapporte aussi à ce que Dieu dit au Sabbat (61): "Knesset Israël sera ton épouse", et lui (le Sabbat) est le Juste, le Fondement du monde (62) d'où proviennent tous les esprits et les âmes (63) [...] c'est la raison pour laquelle les gens ont l'habitude de célébrer le mariage lors du Sabbat.”

Ici, Knesset Israël (la Communauté d'Israël) est conçue comme l'épouse du Sabbat et ce dernier symbolise, apparemment, la neuvième sefira, Yessod, l'époux. L'union humaine, en conséquence, qui engendre le corps, reflète l'union supérieure dans le domaine des sefirot, dont émergent les âmes. Nous avons là un exemple intéressant de la transformation d'un ancien Midrach, associant deux entités mythiques - Knesset Israël et Sabbat - en un mythe théosophique pleinement déployé. Un facteur important de ce changement est la surdétermination de la polarité sexuelle qui est apparemment secondaire dans le Midrach. I1 est notable qu'il y a une centaine d'années, M. Joël a montré la possibilité pour ce Midrach d'avoir été composé à partir de l'arrière­plan gnostique de la théorie des syzygies (64). Les cabalistes médiévaux exploitèrent les potentialités mythiques de ce passage midrachique dans le but d'élaborer leur propre théosophie mythique. Le commandement de l'union, selon R. Yehouda, est une imitation de l'union supérieure, non seulement au niveau sexuel mais aussi en tant que coutume qui perçoit le jour du Sabbat comme étant propice à une telle union.

J'aimerais m'étendre sur la façon dont une telle réélaboration a pu avoir lieu. Selon les dires du Midrach, le Sabhat est considéré implicitement comme une entité femelle, tandis que la Knesset Israël est explicitement mentionnée comme masculin par l'expression qui la qualifie: Ben Zoug. Cependant, les rôles changèrent dans la formulation cabalistique de ce thème. S'agit­il d'une distorsion arbitraire de ce Midrach, due aux spéculations théosophiques ? En fait, comme nous l'avons remarqué, le Sabbat est perçu comme mâle même dans un autre texte cabalistique ancien: le Livre Bahir. Toutefois, il semble que nous devons rechercher une conception plus ancienne qui se trouve encore dans le Midrach. D'après un autre passage de Beréchit Rahba (65), Adam ne put trouver une compagne appropriée parmi les animaux et il s'exclama comme le Sabbat: “Chaque créature a sa compagne alors que je n'en ai pas.” Ici, le mâle est décrit comme cherchant une partenaire féminine, je présume donc que ce modèle a formé la perception cabalistique de la relation entre Sabbat et Knesset Israël.

La description de l'union de Tiferet ou Yessod et Malkhout a été désignée plus haut comme un symbolisme sexuel descendant. D'après la définition proposée par Kahler du “symbolisme descendant”, qui a été citée au début de cet essai, un processus est symbolisé par un système symbolique qui est enraciné dans un niveau supérieur. Pour ce qui concerne les sefirot inférieures, leur relation, exprimée par une image sexuelle, reflète une dichotomie sexuelle encore plus élevée. Dans les premiers traités cabalistiques, les sefirot Hessed et Guevoura étaient conçues comme un couple de puissances respectivement mâle et femelle. C'est le cas chez R. Abraham ben David de Posquières, qui considère les deux attributs divins, apparemment Hessed et Guevoura, comme “doupartsoufim (deux­faces), mâle et femelle, semble­t­il (66). En conséquence, les sefirot inférieures reflètent une syzygie supérieure. De fait, un examen serré de l'évolution du premier symbolisme cabalistique montre que la relation sexuelle probablement plus ancienne de deux attributs divins, Hessed et Guevoura, a influencé le même genre de conception pour les sefirot inférieures (67). De nouveau, cette perception sexuelle de la relation entre Hessed et Guevoura doit refléter une syzygie plus élevée encore des sefirot: celle de Hokhma et Bina, qui furent considérées respectivement comme “Père” et “Mère”. De même que les sefirot inférieures doivent se tenir en état de Yihoud (union), les deux sefirot supérieures le doivent aussi, pour parvenir à la condition d'une “union élevée” (68). D'après des sources cabalistiques importantes, les deux sefirot supérieures sont médiatisées par une sefira particulière, Da'at, dont les tonalités sexuelles sont presque explicites, spécialement dans la cabale lourianique (69). L'imagerie sexuelle a donc joué un rôle des plus importants dans les descriptions de la nature des attributs les plus divins et de leurs relations intrinsèques. En outre, d'après les cabalistes, l'existence des syzygies dans le monde divin est une condition sine qua non de la réalisation de la balance qui assure l'existence de la structure divine. Aussi, la relation mâle­femelle est présentée par eux comme une dynamique enveloppant la totalité, pénétrant le monde divin en entier. Le rapport sexuel humain est perçu alors comme une “participation mystique” à la hiérogamie divine, à la fois en la reflétant et en influençant le processus divin.

De plus, certaines phases de l'émanation, dans l'auto­genèse du système divin, sont dépeintes par une symbolique sexuelle saisissante. Les sept sefirot inférieures ont été engendrées par l'union entre la Hokhma et la Bina, ces sept sefirot passant communément pour être les “fils” des sefirot supérieures. Selon un cabaliste du XVIe siècle, le processus de l'émanation tout entier peut être décrit comme une succession de fécondations et de naissances des sefirot les unes des autres, commençant avec la Causa causarum et s'achevant avec la dernière sefira (70). D'après R. Moïse Cordovéro, un éminent cabaliste de Safed (7l):

“Le thème de l'union sexuelle entre les attributs divins est véritablement symbolisé par notre union sexuelle, une fois que son aspect corporel a été complètement effacé; la conjonction des deux attributs et leur désir d'union, peuvent être comparés - et par là expliqués - à leur accession au 'temps' (onah) spirituel qui consiste dans le déploiement de la lumière de En­Sof dans les attributs, et ceux­ci (les attributs) s'aiment l'un l'autre et se désirent mutuellement, exactement comme le désir de l'homme pour son épouse, une fois l'aspect corporel de celui­ci écarté.”

Ici, la relation entre les attributs divins n'est pas seulement comparée à la structure de l'acte sexuel humain, mais elle est décrite aussi comme dépendante d'un processus plus élevé, se déroulant entre le En­Sof et les sefirot: l'influx de lumières destiné au domaine sefirotique. L'usage du terme “ona” (temps) a une tonalité sexuelle manifeste, la lumière symbolisant la semence (72) que les sefirot en tant qu'entité femelle reçoivent d'en haut. Je présume que le “temps” d'en haut est la veille du Sabbat, qui était considérée par les cabalistes comme particulièrement propice aux rapports sexuels (73).

L'auteur anonyme de la Igueret ha Qodech résume le symbolisme cabalistique descendant lorsqu'il écrit (74):

“Toutes les questions dont nous avons débattu (75) sont le secret du système de l'ordre du monde et de sa structure et le prototype du mâle et de la femelle [qui sont] le secret du donneur [de l'influx] et de [son] receveur (76), et voici: l'union convenable de l'homme et de sa femme est à la ressemblance des cieux et de la terre (77).” Le principal courant de la cabale, le courant théosophique, a articulé des perceptions juives antérieures concernant l'existence humaine et divine: une polarité de facteurs sexuels associés à la création de l'homme dans la Bible et le Midrach, aux chérubins dans les textes midrachiques et peut­être aux attributs divins chez Philon et dans les textes talmudiques et midrachiques, a été structuée en un système totalement cohérent déjà évident dans les toutes premières sources cabalistiques (78). Cette corrélation entre les différents niveaux du réel a permis aux cabalistes d'appréhender l'union sexuelle d'une part comme une imitatio dei et d'autre part comme un acte théurgique destiné à produire un état d'harmonie entre les entités supérieures.

De plus, les cabalistes se sont servis de ces prémices, aussi bien que de motifs existants par ailleurs, dans le but de construire un système bisexué des puissances du mal. Ainsi, Samael et Lilit sont les “contrefaçons de Dieu” qui essaient d'imiter l'union divine dans la structure démonique parallèle (79). Une comparaison entre les différentes conceptions juives de la relation sexuelle et certaines anciennes conceptions chrétiennes et gnostiques est pertinente à ce stade final de notre discussion (80). Les conceptions à la fois philoniennes, talmudiques, midrachiques et cabalistiques de la sexualité sont sans ambiguïté positives. L'existence de deux sexes est acceptée comme un fait, qui rend l'humanité capable de se reproduire, sans la moindre insinuation péjorative quant à la nature de l'acte sexuel. Le retour à l'état d'androgyne originel de l'homme, qui a été décrit communément par les gnostiques (81), ou l'effort pour transcender la condition féminine par la transformation mystique de la femelle en “mâle”, récurrent dans la pensée chrétienne ancienne (82) et le gnosticisme (83), sont étrangers au Weltanschauung du Talmud et de la cabale théosophique (84).

Les chérubins peuvent bien être aperçus lorsqu'ils sont enlacés, mais ils peuvent aussi se séparer l'un de l'autre; les êtres humains peuvent s'unir dans l'acte sexuel sans perdre leur nature sexuelle spécifique; les manifestations divines supérieures sont supposées atteindre leur état idéal lorsque les puissances divines opposées sont unies, union qui est explicitement décrite à travers une imagerie sexuelle. Néanmoins, nulle part cette union n'est prise pour une annihilation de deux sefirot et pour l'émergence d'une autre puissance divine androgyne. Ce qui caractérise la conception cabalistique, c'est l'insistance sur l'obtention d'une relation harmonieuse entre principes opposés, dont l'existence séparée est indispensable au bien­être de l'univers entier. Ou pour le dire autrement: la cabale théosophique n'a pas recherché une restructuration drastique de l'existence, soit par la transformation du féminin en masculin, soit encore par leur fusion finale en une entité bisexuée ou asexuée. Les cabalistes ont lutté au contraire pour une amélioration des processus se déroulant entre les éléments différenciés composant les univers terrestre et divin. Les cabalistes ont transposé la relation sexuelle humaine - et non seulement la différence sexuelle - dans le monde supérieur; les processus qui s'y déroulent doivent se conformer au comportement sexuel humain. Dans la conception gnostique, le monde inférieur doit s'efforcer de copier la règle supérieure d'androgynie ou d'asexualité (85). L'attitude gnostique et à certains égards aussi l'attitude chrétienne vis­à­vis de la sexualité, constituent un aspect important de leur rejet plus général de ce monde (86); les eschatologies gnostiques et chrétiennes proposent un salut spirituel qui vise soit la restauration de l'androgynie paradisiaque soit un statut d'asexualité pour le croyant. Au moins dans le cas du gnosticisme, le malaise s'étend au­delà de ce monde jusqu'à son créateur mauvais, la sexualité étant considérée comme un instrument implanté en l'homme par ce dernier dans le but de perpétuer son monde mauvais. L'ascétisme chrétien n'est rien d'autre qu'une attitude plus modérée envers la condition temporaire du monde jusqu'à la seconde venue du Sauveur. L'instinct sexuel a été soit oblitéré, soit partiellement sublimé sous la forme de l'amour du Christ.

Sous l'impulsion des conceptions halakhiques, la cabale a traité de la régulation de la libido plutôt que de sa suppression ou de sa sublimation. Cet intérêt à l'égard du sexe et de la sexualité est en général orienté vers ce monde; l'effort essentiel a été investi dans la tentative de trouver le moyen terme idéal entre l'ascétisme sexuel, cultivé par les mystiques chrétiens, et une insistance peu commune sur la centralité des processus sexuels, qui aurait pu désintégrer la texture normale de la vie familiale (87). Le danger qui a guetté la cabale juive médiévale n'était pas une spiritualité exagérée méprisant l'amour “charnel”, mais une explosion des relations sexuelles perçues comme positives au­delà des limites de la halakha.

Le balancement entre une attitude positive et naturelle à l'égard de la sexualité et son appréhension comme reflet de la hiérogamie d'en haut comporte aussi ses problèmes. Lorsque les régulations halakhiques s'affaiblirent, l'une des conséquences les plus importantes et les plus immédiates fut la disparition des inhibitions sexuelles; le sabhatianisme et le frankisme qui étaient deux sectes liées au judaïsme mystique, se sont écartés de la cabale essentiellement par leur transgression des interdits de l'inceste, transgressions qui furent interprétées comme une imitation des relations sans restrictions au sein du monde divin (88). A la fois sabbatianistes et frankistes fondèrent leur comportement licencieux sur des textes classiques de la cabale (89). Comme les gnostiques (90), les sabbatianistes ont conçu l'homme parfait - en l'occurrence Sabbataï Tsevi - comme étant libre de toutes contraintes morales et comme appartenant au Gan Eden, un état paradisiaque, qui est opposé au monde inférieur décrit comme le “cœur” du monde démonique (91). De surcroît, le noyau même de l'activité de Sabbataï Tsevi fut une fois présenté comme la restauration de la gloire de la sexualité, c'est­à­dire semble­t­il d'une activité sexuelle sans restriction (92) :

“Les patriarches vinrent au monde pour restaurer les sens et ils le firent pour quatre de ces sens. Sabbataï Tsevi vint et restaura le cinquième, le sens du toucher, qui selon Aristote (99) et Maïmonide (94) est une cause de honte pour nous, mais qui à présent a été élevé par lui à une place d'honneur et de gloire.”

Nous avons là un cas exemplaire où une métaphysique - en l'occurrence la cabale théosophique qui s'est développée à partir des conceptions talmudiques et midrachiques - est devenue un facteur indépendant qui détermina le comportement des gens. Mises au service de 1'“idée” métaphysique, une fois oblitérés les modes ordinaires de la sexualité, les pratiques orgiaques sont devenues une via mystica du nouvel éon. I1 n'est pas étonnant que le grand développement suivant du mysticisme juif - le Hassidisme - se soit montré beaucoup plus réticent dans l'usage du symbolisme sexuel.

En conclusion, une remarque sur la métamorphose contemporaine des attitudes précitées à l'égard de la sexualité peut être pertinente. L'ancienne attitude juive envers la sexualité en tant que mystère présenté comme tel dans le Saint des Saints, eut un profond impact sur le judaïsme en général et sur la cabale en particulier. La hiérogamie d'en haut et son reflet inférieur dans les relations conjugales, devinrent l'un des principes fondamentaux de la tradition cabalistique; au moins sur ce point, la cabale a élaboré un thème juif déjà existant (95). Cette vision sans équivoque de la sexualité eut une répercussion importante dans la psychanalyse moderne à travers la conception freudienne de la libido (99). Par ailleurs, la réticence et parfois l'attitude ambiguë à l'égard de la sexualité et du mariage dans le christianisme et le gnosticisme, ont trouvé leur expression dans les travaux de Carl Jung et de Mircea Eliade (97). Ces savants n'étaient pas seulement profondément intéressés par la mythologie gnostique, ils ont adopté semble­ t­il plusieurs mythologoumena gnostiques comme vérités intemporelles (98), voire comme directives spirituelles pour notre temps (99). La perfection individuelle est le but ultime de leur idéalisation de l'androgynie, en tant qu'elle s'oppose au souci créatif, qu'il s'agisse de la procréation ou de la restauration de l'harmonie divine dans la cabale théosophique. Tout commentaire supplémentaire serait superflu.


* Nous remercions le Jewish Theological Seminary of America de nous avoir autorisé à publier une traduction française de l'article suivant de Moché Idel, article traduit de l'anglais par Charles Mopsik et Éric Smilévitch (N.D.E.).




ABRÉVIATIONS

1. Baer, Pbilo's Use-Richard A. Bacr, Jr., Pbilo's Use of tie Categories Male and Female (Leiden, 1970).

2. Eliade, Yoga - Mircea Eliade, Yoga, Immortality and Freedom (Princeton U.P., 1971).

3. Goldberg, Schekhinah - Arnold M. Goldberg, Untersuchungen über die Vorstellung von der Schekhinah (Berlin, 1969).

4. Idel, Ahrabam Aboulafia - M. Idel, Oeuvres et doctrines d'Abrabam Aboulafia (Thèse pour le Doctorat, Université Hébraïque de Jérusalem, 1976) (en hébreu).

5. Idel, " Unio Mystica " - M. Idel, “Abraham Abulafia and Union Mystica”, in I. Twersky, Studies in Medieval Jewish History and Literature (Cambridge, Mass.) vol. III (à paraître).

6. Idel, “Hitbodedut” - M. Idel, “Hitbodedut qua Concentration in Ecstatic Kabbalah”, Da'at, vol. 14 (1986) (Hébreu) pp. 35­82.

7. Meeks, “The Image of the Androgyne” - Wayne A. Meeks, “The Image of the Androgyne - Some Uses of a Symbol in Earliest Christianity”, History of Religions, vol. 13 (1974) pp. 165­208.

8. Patai, The Hebrew Goddess - Raphael Patai, The Hebrew Goddess (New York, 1978).

9. Scholem, Les origines - G. Scholem, Les origines de la Kabbale, (Paris, 1966).

10. Scholem, Major Trends - G. Scholem, Major Trends in Jewish Mysticism, (New York, 1967).

11. Scholem, Tbe Messianic Idea - G. Scholem, Tbe Messianic Idea in Judaism, (New York, 1972).

12. Tishby, La Sagesse du Zohar - Isaiah Tishby, La Sagesse du Zohar, I, Jérusalem, 1957), II, Jérusalem, 1061) (Hébreu).


Notes

1. Je me limiterai aux développements relatifs à la sexualité dans la cabale évidents par eux­mêmes, laissant de côté une série entière d'imageries Èrotiques. Quelques­unes d'entre elles ont été étudiées par Georges Vajda dans L'amour le Dieu dans la théologie juive du Moyen Âge (Paris, 1957), ou par Hayim Wirszubski dans Trois études sur la cabale chrétienne (Jérusalem, 1975) p. 13­23 (en hébreu); M. D. G. Langer, Die erotik der Kabblala (Prague, 1923). Voir aussi note 8 et 78 infra.

2. Voir son " The Nature of the Symbol î in Rollo May (ed) Symbolism in Religion and Literature (NewYork, 1960) p. 65.

3. Ce terme apparaît aussi dans l'essai de Kahler, toutefois, dans d'autres contextes spéculatifs que ceux qui sont discutés ici, j'ai donc préféré proposer ma propre définition pour cette phase. Comparez avec Kahler, idem, p. 67-68.

4. Voir par ex. A. E. Waite, The Way of Divine Union (Londres, 1915 ), particulierement p. 126 sq.

5. Voir James H. Leuba, The Psyclology of Religious Mysticism (Londres 1925) p. 116 sq. Pour une critique élaborée des vues de Leuba voir De Montmorand, Revue Philosophique vol. 56 (1903) p. 382; vol. 57 (1904) p. 242, vol. 58 (1904) p. 602; vol. 60 (1905) p. 1 sq.

6. J'ai volontairement évité toute discussion sur des vues parallèles de Philon dans la mesure où son corpus littéraire n'a apparemment pas influencé la cabale. Phénoménologiquement, la structure de la pensée de Philon est proche de celle d'Aboulafia, tous deux usant d'un symbolisme vertical ascendant en même temps que d'une terminologie philosophique d'origine grecque. De plus, dans leurs écrits, une neutralisation des éléments mythiques est évidente. Sur le puritanisme grec en matière sexuelle, voir E. R. Dodds, The Greeks and the Irrational (University of California Press, 1951) p. 154­I55. Sur l'usage par Plotin d'une imagerie érotique et son influence sur la Renaissance, voir Edgar Wind, Pagan Mysteries in the Renaissance (Faber and Faber, 1967) p. 61­68.

7. Voir infra notre commentaire sur le passage de R. Yehouda ben Yaqar.

8. MS Munich (Héb) 58 fol. 323 r. L'afffirmation de Scholem, suivant laquelle: “Les anciens cabalistes n'ont jamais interprété le Cantique des Cantiques comme un dialogue entre Dieu et l'âme, à savoir comme une description allégorique du chemin vers l'unio mystica” (Major Trenls, p. 226) doit donc être rectifiée. Aboulafia, en effet, a proposé une telle interprétation allégorique, dont le but ultime est l'unio mystica; sa perception est plus proche des interprétations philosophiques que de celles des cabalistes antérieurs; cependant, il s'écarte aussi des philosophes, puisqu'il recherche une réelle effectuation de l'unio mystica, et donc l'interprétation allégorique devient ce que je propose de nommer une interprétation ou une herméneutique spirituelles. Sur les interprétations philosophiques du Cantique des Cantiques, voir A. S. Halkin “Ibn Aknin's Commentary on the Song of Songs”, Alexander Marx Jubilee Volume (English Section) (New York, 1950) p. 389-424 et dans la monograhie de G. Vajda, note 1 supra.

9. Imré' Shefer, MS Paris (BN) (Héb) 777 p. 57.

10. Or ha Sekhel, MS Vatican 233 fol. 115 r.

11. Voir par ex. Aboulafia, Hayé ha Nefech, MS Munich 408 fol. 65v: “... l'adhésion de tout l'esprit en acte dans le Nom selon le secret du plaisir du fiancé et de la fiancée”.

12. Or ha Menorah, MS Jérusalem, Biblio. Nat. 8° 1 303 fol. 28b. Comparez avec les collectanaea issues du cercle d'Aboulafia, qui se trouvent dans MS New York, JTS Mic. 1771 fol. 34r, où une fois encore, Knesset Israal est connectée avec l'âme rationnelle.

13. Israël = 541 = Sekhel ha poél. Sur d'autres allégorisations philosophiques d'“Israël” voir Marc Saperstein, Decoding the Rabbis (Cambridge, Mass. 1980) p. 110, 248.

14. Voir Idel, Abraham Aboulafia, p. 366­373 et comparez avec Baer, Philo's Use p. 55­64.

15. Comparez avec les vues de Scholem sur la “communion” mystique qui est caractéristique du mysticisme juif, The Messianic Idea p. 203­205.

16. Sur l'unio mystica dans la doctrine d'Aboulafia, voir Idel “Unio Mystica”, où un matériau supplémentaire est cité pour nourrir la thèse selon laquelle Aboulafia prétend que la fusion totale avec une entité supérieure - qui parfois est Dieu - est possible.

17. MS Vatican 233 fol. 115 r.

18. La valeur des lettres du Tétragrammaton est 26, qui est formé de 13 + 13. Or “13” est la valeur de Ehad, qui est “un” et de Ahavah qui est “amour”. Par la guematria, Aboulafia prouve qu'il est possible d'atteindre l'union mystique (un, un) avec Dieu (le Tétragrammaton) au moyen de l'amour (Ahavah).

19. Néanmoins, le mariage ou la relation sexuelle ne sont jamais présentés par Aboulafia ou ses disciples comme un obstacle pour l'obtention d'une expérience mystique. Nous savons avec certitude qu'Aboulafia lui­même était marié, tandis que dans sa liste d'exigences pour un étudiant idéal (voir Hayé ha olam ha­ba), MS Oxford, 1582, fol. 33b­35a) aucune référence à l'impureté sexuelle ne peut être trouvée. Voir aussi Idel, Abraham Aboulafia p. 336 sur le caractère non ascétique de la mystique d'Aboulafia.

20. TB Sota fol. 17a. Comparez avec Pirké de R. Eliézer ch. 12 et R. Touvia ben Eliézer, Lekah Tov sur Genèse 2:23. Voir aussi la remarque de M. Kasher dans Torah Shelemah, vol. 22, Appendice, p. 18, où il a montré la connection possible entre ce dictum et les chérubins. Voir aussi la remarque apologétique de Louis Ginzberg selon laquelle ce dictum reflète “une autre conception païenne qui, sous une forme raffinée, est passée dans la cabale à travers le Talmud” dans On Jewish Law and Lore, (New York, 1970) p. 190.

21. Le mot ì théurgie î, dans cette étude, sert à désigner la conception d'après laquelle des actions humaines, surtout les commandements, sont censées changer les processus se déroulant dans le système divin d'en haut.

22. La formulation du dictum de R. Akiba ne se réfere pas explicitement à l'union sexuelle. Cependant, c'est bien la façon dont il était compris par les commentateurs classiques, comme Rachi. Voir aussi l'idée rabbinique selon laquelle Dieu participe au processus de production de l'enfant, de conserve avec son pére et sa mère, TB Nida fol. 3la. L'affinité entre ces deux conceptions rabbiniques a été perçue et exploitée par le cabaliste anonyme qui composa la célèbre Epître sur la conjonction sexuelle attribuée à Nahmanide: voir l'édition de Chavel dans Kitvé Ramban (Jérusalem, 1964) vol. II p. 324-325.

23. Lévitique l0:1. Ici, comme dans la citation de Sota, le verbe akhal est utilisé afin d'exprimer l'idée d'une “consumation” par le feu.

24. Nombres 7:89.

25. TB Baba Batra fol. 99a: “Comment se tiennent­ils ? R. Yohanan et R. Eliézer. L'un dit: Leur visage tourné l'un vers l'autre. L'autre dit: Leur visage tourné vers la maison. Celui qui dit que le visage est tourné l'un vers l'autre, concorde avec le verset: "Leur face l'une vers l'autre". Mais comment fait­il avec ceci: "Leur face vers la maison" ? Il n'y a pas difficulté. Là quand Israël accomplit la volonté du Lieu. Ici quand Israël n'accomplit pas la volonté du Lieu.” La double position des chérubins est assez intéressante: séparés ou unis, ils se tiennent, selon quelques interprètes médiévaux du Talmud, respectivement pour la malédiction et la bénédiction, citées dans la discussion talmudique sur les chérubins dans Yoma fol. 54b: voir R. Shemuel Edeles, Novellae ad. locum, où il cite l'avis de R. Yom Tov Achvili. Est­ce que cette conception présumée tardive a quelque chose à voir avec l'appréhension des chérubins comme deux attributs divins, comme il en va déjà dans Philon ?

26. TB Yoma fol. 54a. Voir la proposition intéressante de Menahem Kasher, selon laquelle ce texte pourrait être lié à la compréhension du Cantique des Cantiques comme Saint des Saints et avec les secrets des arayot dans la Michna Haguiga, en tant que sujet ésotérique: “Zohar”, in Sinai Jubilee Volume (ed. I. C. Maimon,Jérusalem, 1958) p. 55­56 (hébreu). Cet argument mériterait une analyse plus élaborée.

27. Genèse Rabba 19:7 (p. 176). Cantique Rabba 5:1. Voir aussi Genèse Rabba p. 177 où il est signifié que les justes sont des personnes capables de causer la descente de la Chekhina, qui a quitté notre monde à cause des fautes des pécheurs. Comparez aussi avec l'Hénoch hébreu chap. 5.

28. TB Yebamot fol. 63b­64a.

29. Cf. Nombres 3:4.

30. Sur cette affirmation voir Avigdor Shinan: “Les fautes de Nadav et Avihou dans la Aggadah des Sages” dans A. Shinan (ed. ), The Aggadic Literature - A Reader (Jérusalem, l983) p. I82­l83 (hébreu).

31. Genèse 17:7

32. Comparez avec Genèse Rabba 8:9 (p. 63); 22:2 (p. 206): “"A notre image, selon notre ressemblance", pas d'homme sans femme et pas de femme sans homme et pas les deux sans Chekhina.”

33. ì The Gospel of Philip î, d'après la traduction de Wesley W. Isenberg dans l'éd. de James M. Robinson, The Nag Hammadi Library (Harper and Row, 1984) p. 150. Quelques affinités entre ce traité et des concepts juifs ont été signalées par Yehouda Liehes “Le Messie du Zohar” dans The Messianic Idea in Jewish Thougth (Jérusalem, 1982) p. 230­232 (héb) ; M. Idel “Jérusalem dans la pensée juive médiévale” (à paraître, en hébreu). Il est important de souligner le fait que les attitudes relativement positives envers la sexualité et le mariage apparaissant dans des textes gnostiques, comme dans cet Évangile et des parties du Corpus Hermeticum, sont vraisemblablement le résultat d'une influence juive.

34. Idem p. 142. Voir aussi p. 150: “Les saints des saints furent révélés et la chambre nuptiale nous invita en elle”. Voir aussi Robert M. Grant “The Mystery of Marriage in the Gospel of Philip”, Vigiliae Christianae, vol. 15 (1961) p. 129­140; J. M. Sevrin, “Les noces spirituelles dans l'Évangile selon Philippe”, Le Museon 87 (1974) p. 143­193. J. M. Sevrin “Les rites et la Gnose”, in éd. Julien Ries, Gnosticisme et Monde Hellénistique (Louvain­La­Neuve, 1982) p. 44 8 ­4 5 0.

35. Version Buber, Nombres 17a. Comparez avec Patai, Man and Temple p. 89­92, et sur la perception du Saint des Saints comme Cleitoris dans le livre du Zohar, voir Liebes (n. 33 supra) p. 194. Il paraît plausible que la connexion midrachique entre l'“Apirion” mentionné dans le Cantique des Cantiques III et le Temple et le Tabernacle pourrait avoir quelque chose à faire aussi avec le priah ourviah (croître et multiplier): voir Cantique des Cantiques Rabba III, 15­l9 (éd. S. Dunski, Jérusalem, Tel­Aviv, l980) p. 93­96. Une chose fascinante, qui ne peut être développée ici, est la similitude entre le trône divin et l'arche dans le Saint des Saints, I'affinité entre Dieu assis sur son trône et la Chekhina établie sur l'arche a été signifiée par G. Scholem, Jewish Gnosticism, Mercavah Mysticism and Talmadic Tradition (New York, 1965 ) p. 24­26. Cependant, pour notre discussion, il est remarquable que les anges encouragent par leurs hymnes le trône divin à “contempler le Roi qui siège sur Toi [avec joie] pareille à la joie du fiancé dans sa chambre nuptiale” (Scholem, idem p. 26). Bien que la nature précise de cette description de la relation entre Dieu et son trône ne soit pas claire, sa tonalité sexuelle ne doit pas être sous­estimée. Voir aussi la Seliha (prière pour le pardon) anonyme de Yom Kippour: “Après la chambre des lits il languit de désir, l'amitié de l'amour de la beauté des décors du baiser”, cf. A. M. Habermann, Athereth Renanim (Jérusalem, 1967) p. 69 et le commentaire de 1'éditeur sur cette phrase: “Le mot Tsaatsoué [décorations, sculptures] se réfère apparemment aux chérubins qui ont été décrits comme des "oeuvres décoratives" (maassé tsaatsouim).”

36. Voir Erwin Goodenough By Ligth, Ligth (New Haven, 1935) p. 25­26, 359­369, idem, Jewish Symbols in Greco­Roman Period (Princeton, 1954) Vol. 4 p. l32.

37. Voir Gedaliahu Stroumsa “Le couple de l'ange et de l'esprit, traditions juives et chrétiennes”, Revue biblique vol. 88 (1981) p. 46­ 47.

38. Liebes (note 33 supra) p. 231 prétend même que 1'auteur gnostique anonyme était d'extraction juive.

39. TB Yebamot fol. 64a.

40. Cette figure ressurgit dans des textes midrachiques: voir Goldberg, Schekhinah p. 357­359, 508­509.

41. Voir Nahmanide, Commentaire sur l'Exode, 29, 46, et une longue série de cabalistes postérieurs; comparez aussi avec l'expression de R. Joseph Gikatila: Tsorekh ha Chekhina (le besoin de la Chekhina) dans son Cba'aré Ora (éd. J. ben Chelomo, Jérusalem, 1970) vol. I p. 67.

42. Kitvé ba Ramban (Jérusalem, 1964) II p. 373.

43. Cette idée a été empruntée par l'auteur anonyme de la Igueret à la cabale géronaise: voir Scholem, Les origines p. 320­321. Notre auteur fait semble­til preuve d'originalité quand il applique l'idée déjà existante de l'elevatio mentis au processus sexuel de la procréation.

44. Littéralement “secret” (sod).

45. Sur cette expression voir Scholem, Les origines p. 322 note

192.

46. L'expression “la lumière de la Chekhina” (Or ha Chekhina) qui a pu influencer ce texte, existait plusieurs siècles avant l'auteur de la Igueret: voir Georges Vajda “Or ha Shekhina REJ vol. 134 (1975) p. 133­135, auquel nous pourrions ajouter le Midrach Tadché ch. II (Epstein p. 156) et Goldberg Schekhinah p. 318­319.

47. La présence de la Chekhina est induite par la pensée pure du mari d'après quelques affirmations additionnelles (idem, p. 332), 1'une d'elles assurant que quiconque pense à la beauté extérieure de sa femme ne pense pas selon la “pensée pure d'en haut” et cause en conséquence le départ de la Chekhina loin du couple.

48. Je suppose qu'à la conception rabbinique ancienne, concernant la présence de la Chekhina pendant la relation sexuelle, les cabalistes ajoutèrent une certaine perception magique; selon plusieurs sources médiévales, I'homme est apte à préparer en bas un substrat approprié, sur lequel il peut attirer un influx d'en haut appelé ruhaniat en arabe ou rouhaniout en hébreu. Dans notre texte le semen virile se tient à la place du substrat qui est destiné à collecter l'influx supérieur nommé ici “lumière éclatante” ou “Chekhina”.

49. Comparez cette conception, qui considère l'unio mystica comme un moyen, à celle de R. Isaac d'Acco, discutée plus bas, où c'est seulement après que les relations physiques sont terminées, que le statut spirituel “supérieur” de l'union est réalisé.

50. Voir Eliade, Yoga p. 248­249, 266­268, idem The Two and the One (New York, 1969) p. 118­l19. Publié en français dans Mephistopbélès et l'Androgyne (Paris, 1962).

51. Voir Eliade, Yoga, p. 249.

52. Sur l'importance du symbolisme sexuel dans le Zohar, voir Scholem, Major Trends p. 225­229; Tishby, La Sagesse du Zohar vol. II p. 607­626; A. E. Waite, The Holy Kabbalah (New York. s.d.) p. 377­405.

53. Un concept parallèle apparaît aussi dans la tradition soufie, voir Idel, Hitbodedout p. 56 note 117.

54. Voir Tishby, La Sagesse du Zohar p. 149.

55. Voir Idel, Hitbodedout p. 56 notes 117, 119, 120.

56. Otsar Hayim, MS Moscou­Gunzburg 775 fol. 73v, imprimé dans Idel, Hitbodedout p. 56 note 117.

57. Comparez avec l'explication donnée par R. Moïse de Léon et le Zohar sur la mort de Rachel avant l'entrée de Jacob sur la Terre d'Israël; dans ces textes l'interdiction d'épouser deux soeurs de leur vivant est mise en avant. La conception ritualiste est donc choisie plutôt que la spirituelle. Voir I. Tishby, Studies in Kabbalah and Its Branches (Jérusalem, 1982) p. 45 (héb.). La transition entre un concept physique de la relation avec des femmes et un concept spirituel est évidente aussi dans une importante parabole ajoutée par R. Isaac sur la “fille du Roi”; voir Idel, “Hitbodedout” p. 53­54. Voir aussi note 49 supra.

58. L'idée généralement acceptée selon laquelle dans les sources anciennes la Chekhina est identique à la divinité et donc dépourvue de toute caractéristique féminine, a été émise par G. Scholem, E. E. Urbach et soutenue par Golberg dans sa monographie; à l'opposé, Patai dans The Hebrew Goddess proposa une conception radicalement différente de la Chekhina en tant qu'entité femelle séparée, sans toutefois apporter de preuves solides. Il semble que, bien que la première idée représente l'idée commune dans les sources rabbiniques classiques, la seconde conception n'en soit pas totalement absente.

58a. Cf. Zohar I, 153b et Liebes, “The Messiah of the Zohar”, p. 122, 179,note 194, p. 204 note 401.

59. Comparez avec Bertil Gartner, The Theology of the Gospel According to Thomas (New York, 1961) p. 253: “Dans les systèmes gnostiques, la relation homme­femme est motivée fondamentalement par la structure du monde céleste, les puissances mâles et femelles qui recherchent l'unité.” Les cabalistes acceptèrent aussi, au moins de jure, cette justification pour leur comportement sexuel; de facto ils ont perçu la relation sexuelle humaine telle qu'elle avait été façonnée par les réglementations halakhiques. Ou pour le dire autrement: les cabalistes ont envisagé leur symbolisme comme un “symbolisme descendant”, alors que, tout au moins d'un point de vue moderne, ce symbolisme est ascendant. Voir aussi note 78 infra.

60. Commentaire sur la prière (éd. Shemuel Jerusalmi, Jérusalem, 1979), IIe partie, p. 42. Quant au Sabbat comme moment propice pour les relations sexuelles, voir déjà TB Ketoubot fol. 62b, plusieurs fois dans le Zohar, et plus bas, le texte de R. Moïse Cordovéro note 71.

61. Il semble que le cabaliste se fasse une conception quasiment astrologique du Sabbat; puisqu'il était considéré comme la puissance divine préposée à la fertilité, le jour du Sabbat est particulièrement adapté à l'activité sexuelle; et voir Erich Fromm, Le Langage oublié (Paris, 1980), p. 193 à 199.

62. Voir Beréchit Rabba 11:8 p. 95­96, ajouté par R. Yehouda immédiatement après.

62a. Cf. Proverbes 10:26.

63. Comparez avec une idée parallèle qui apparaît dans le Sefer ha Bahir (§ 157): “Le Saint, béni soit­il, a un seul juste dans son monde [...] et il est le fondement de toutes les âmes (nefachot) [...] le fondement de toutes les âmes (nechamot) et il est écrit: 'Le septième jour il a chômé et repris haleine' (vayinafach) (Ex. 31:17).”

64. M. Joël, Blicke in die Religiongeschichte (I, Breslau) 1880, p. 107, 160, 161; voir aussi Ginzberg (note 20 supra) p. 190, qui suit 1'idée de Joël selon laquelle les syzygies sont une influence gnostique sur le judaïsme.

65. XVII, 4, p. 156. Voir I. Tishby, Commentaire de R. Azriel sur les Aggadoth du Talmud (Jérusalem, 1945), p. 17 et note 15. Il est très probable que l'identification des chérubins avec les deux attributs divins soit la continuation d'une ancienne tradition, qui se retrouve déjà chez Philon et dans le Midrach Tadché: voir supra note 36 et Pataï, The Hebrew Goddess p. 82. Cette question sera travaillée dans une étude distincte.

66. Voir Scholem, Les origines, p. 232, 233.

67. Voir Idel, “Jérusalem dans la pensée juive médiévale” (note 33 supra).

68. Sur les deux niveaux du Yihoud ou unification, voir Tishby, La Sagesse du Zohar, II, p. 261 sq.

69. Voir déjà dans la Igueret haQodech, in Kitvé ba Ramban II, p. 324.

70. Voir Abraham ben Eliezer ha Lévi, Massoret ha hokhma, édité par G. Scholem dans Kiryat Sefer, vol. II ( 1925­1926), p. 129­130 (en héb.).

71. Voir Chiour Qoma (Jérusalem, 1966), fol. 26d.

72. Comparez avec la conception tantrique mentionnée par Eliade, The Two and the One (note 50 supra) p. 40­41.

73. Voir plus haut notre discussion du texte de R. Yehouda ben Yaqar, et aussi ma discussion d'un passage de Cordovéro dans “L'interprétation magique et théurgique de la musique dans les sources juives depuis la Renaissance jusqu'au Hassidisme”, Youval, vol. IV (1982), p. 54­55 (en héb.).

74. Kitvé ba Ramban, II, p. 325.

75. Apparemment les puissances divines qui constituent la Mercaba supérieure, c'est­à­dire le domaine sefirotique; voir idem p. 234.

76. Machpia ou­meqabel: ces termes, désignant le fonctionnement mâle et femelle des entités, sont courants dans les dernières oeuvres de R. Joseph Gikatila.

77. Ces mots doivent désigner symboliquement les sefirot Tiferet et Malkhout. Comparez avec un parallèle dans les Upanishads mentionnés par Eliade dans Yoga p. 254. Il convient de remarquer que déjà dans le Midrach (Nombres Rabba 2), les chérubins sont assimilés aux cieux et à la terre.

78. Voir la conception exprimée par exemple dans l'Alphabet de R. Akiba, éd. par S. A. Wertheimer, Baté Midrachot (Jérusalem, 1955), vol. II p. 327: “Car toutes les créatures qui devaient étre créées étaient exclusivement l'une mâle l'autre femelle”. Et voir les sources rapportées idem note 38. Cette idée a été adoptée par R. Eléazar de Worms et R. Jacob ben Chéchét: de ce dernier, voir Mechiv Devarim Nekhohim (éd. G. Vajda, Jérusalem, 1969), p. 114. Le thème de la polarité sexuelle dans les mondes supérieurs en tant qu'il appartient au Hassidisme achkénaze, est un sujet important qui doit être traité méticuleusement, car il peut constituer l'un des ponts les plus importants entre les anciennes conceptions juives de la sexualité et la cabale à son origine; voù aussi note 79 infra et Monford Harris “The concept of Love in Sefer Hassidim” JQR vol. 50 (1959) p. 13­ 44. Il semble réellement que le matériau cabalistique ait influencé Léon l'Hébreu, dont la pensée a été décrite comme “la polarisation radicale de l'univers entier en termes de symboles mâles et femelles”, cf. T. Anthony Perry, Erotic Spirituality ­ The integrative Tradition from leone Ebreo to Join Donne (University of Alabama Press, 1980) p. 15. Voir aussi Idel, “Cabale et philosophie antique chez R. Isaac et Yehouda Abrabanel”, in M. Dorman Z. Levy, La philosophie de Léon l'Hébreu (Tel­Aviv, 1985), p. 89­ 93 (en hébreu).

79. Voir R. J. Zwi Werblowsky, “Age and Essence”, Ex Orbe Religionum (Leiden, 1972), vol. II, p. 318­325; J. Dan, “Samael, Lilith, and the Concept of Evil in Early Kabbalah”, AJS Review vol. 5 (1980) p. 17­25. L'histoire du développement de la structure démonique bisexuée doit être reconsidérée, à mon avis, en s'orientant vers une plus ancienne apparition des relations sexuelles entre les chefs des démons, j'espère le faire ailleurs.

80. J'ai volontairement ignoré la comparaison peut­être plus intéressante entre l'approche cabalistique de la sexualité et la conception hindouiste, dans la mesure où mon propos consiste à comparer des conceptions qui ont fleuri dans une même région géographique et qui auraient pu s'influencer mutuellement. De plus, la Gnose et la Cabale partagent une même vision d'un Plérôme composé de syzygies et de relations hiérogamiques intrinsèques. Sur ce fond commun, les divergences entre elles paraissent encore plus saisissantes. J'essaie d'éviter un amalgame indistinct d'éléments superficiellement parallèles tirés des quatre coins du monde, dans le but de découvrir un “modèle” - comme il en va dans la tentative d'Eliade, voir par exemple note 81 infra - afin de me concentrer sur des traits spécifiques de phénomènes relativement proches.

81. Voir par exemple l'Evangile de Thomas et l'Evangile de Philippe; les textes pertinents ont été cités par Eliade, The Two and the One, p. 105­107. Baer, Philo's Use p. 72­74; William C. Robinson, Jr. “The Exegesis of the Soul” Novum Testamentum vol. 12 (1970) p. 111­117; Meeks: “The image of the Androgyne” p. 188­ 197.

82. Voir Galates III, 28; Wayne A. Meeks “The Image of the Androgyne”, et Carl Jung, Mysterium Coniuctionis (Princeton U.P., 1977), p. 373­374. Ce thème est déjà bien connu par Philon, mais, à mon avis, il est inconnu dans les textes hébraïques, voir Baer Philo's Use p. 45­55; voir cependant son attitude typique à l'égard du mariage, idem p. 75, 94­95. Les conceptions philoniennes relatives à la “masculinité” et à la “virginité” en tant qu'idéal mystique furent d'une grande influence sur la littérature patristique et par là sur la pensée chrétienne en général. Voir Maryanne Cline Horowitz, “The Image of God in Man - Is Woman Included”, HTR vol. 72 (1979) p. 190­204.

83. Baer, Philo's Use p. 69­71.

84. Comme Meeks l'a bien remarqué (“The Image of the Androgyne” p. 186): “Dans le judaïsme, le mythe de [l'androgyne] ne sert qu'à résoudre un dilemme exégétique et à consolider la monogamie.” Toutefois, la cabale extatique utilise parfois une imagerie androgynique, sous l'influence de la philosophie grecque, à travers la médiation des oeuvres de Maïmonide; cependant, aucun mouvement ascétique n'a émergé de ce courant de pensée ; voir note 6 supra. Une autre différence cruciale entre les conceptions juives et grecques de l'androgynie est la vision juive positive de la séparation entre le mâle et la femelle, alors que chez Platon, la séparation est perçue comme une punition; comparez cependant avec Thorlief Boman, Hebrew Thougth compared with the greek (Londres, 1960), p. 96­97: “La forme du mythe est quelque peu différente de celle de Genèse 2 mais la signification est exactement la même.” (!!) Voir aussi le traité gnostique intitulé Apocalypse d'Adam (trad. anglaise de G. Macrae in James H. Charlesworth, The Old Testament Pseudepigrapha (Londres, 1983), vol. I p. 712): “Dieu, le gouverneur des aeons et des puissances, nous a séparés avec colère. Alors nous devînmes deux aeons et la gloire de nos coeurs nous a abandonnés, moi et votre mère Ève.” Comparez aussi avec l'accusation d'une matrona selon laquelle Dieu créa la femme par un vol (Genèse Rabba 17:7 p. 157) contre la réponse de R. Yossé qui insiste sur la bienveillance de Dieu. Sur le possible arrière­plan gnostique de ce passage, voir récemment Rosalie Gershenzon­Eliezer Slomovic, “A second century Jewish - Gnostic Debate: Rabbi Jose ben Halafta and the Matrona”, Journal of the Study of Judaism, vol. XVI (1985) p. 20­22.

85. Ou, comme Jung l'a exprimé de manière particulièrement adéquate: “Le gnosticisme [...] s'est efforcé avec un grand sérieux de subordonner le physiologique au métaphysique”, dans son The Archetypes and the Collective Unconscious (Princeton U. P., 1980) p. 177. Meeks, “The Image of the Androgyne”, p. 207 use de l'expression “rebellion métaphysique” dans sa description des tendances androgyniques des cercles chrétiens et gnostiques. Il semble qu'avec la cabale, la situation ait été complètement différente.

86. Voir Meeks, “The Image of the Androgyne”, p. 207.

87. Voir les différentes discussions midrachiques sur l'OEuvre de Dieu, appariant les couples depuis la fin de la création du monde, rassemblées, traduites et analysées par Aharon Agus, “Some early Rabbinic Thinking on Gnosticism” JQR vol. 71, (1980) p. 18­30. Bien qu'Agus ait parfaitement raison sur son insistance quant au caractère anti­gnostique de la conception rabbinique de Dieu en tant que “arche­shadken” (archétype du marieur) certaines tendances anti­chrétiennes ont pu aussi contribuer à l'émergence de cette conception. J'espère traiter ailleurs de cette question. Voir aussi Gershenzon Slomovic (note 84 supra) p. 25­29.

88. Voir Scholem, The Messianic Idea, p. 136­l37.

89. Ils étaient désignés comme “zoharistes” à cause de leur fréquente étude de cette oeuvre.

90. Au sujet des affinités phénoménologiques entre les formes radicales du Sabbatianisme et le Gnosticisme, voir par exemple Scholem, The Messianic Idea, p. 132­133.

9l. Voir Nathan de Gaza, Traité de la Ménora, imprimé par G. Scholem dans Be­Iqvot Mashiah (Jérusalem, 1944), p. 102; voir aussi Scholem, Sabbatai Sevi, The Mystical Messiah, 1626­1676 (Princeton U.P., 1973) p. 810 et 311­312. (Publié en français dans Sabbataï Tsevi, Le Messie Mystique, éd. Verdier, 1983).

92. Rapporté par Jacob Emden, Sefer hita'beqout (Lvov, 1877) fol. 6a, apud Scholem, The Messianic Idea p. 117. La présentation de Sabbataï Tsevi comme sauveur du sens du toucher est plutôt étrange. Presque tous les cabalistes ont réfuté l'opinion de Maïmonide et ont adhéré à une conception positive de l'acte sexuel; voir déjà la position de la Igueret ha Qodech chap. 2 (éd. Chavel p. 323­324)

93. Ethique à Nicomaque, III, 10, 118b.

94. Voir Guide des Ègarés II, 36, 40; III, 8, 49.

95. Cette idée des plus importantes, partagée par plusieurs auteurs qui ne sont pas experts dans la recherche touchant la cabale, a été ignorée par les fondateurs de l'étude savante de la cabale comme Scholem et Tishby. Comparer avec Patai, The Hebrew Goddess, p. 119 sq., M. Kasher (note 26 supra); Isaac Baer, “Le service du Sacrifice à l'époque du second Temple”, Zion, vol. 40 (1975), p. 10l­l04 (en hébreu).

96. L'assertion de David Bakan selon laquelle la tradition mystique juive a réellement influencé les conceptions de Freud paraît être une approche solide, malgré les difficultés rencontrées par l'auteur lorsqu'il s'est efforcé de la prouver en usant d'arguments historiques. Il suffit de reconnaître que, au moins pour la sexualité, l'attitude juive “non mystique” n'était pas si éloignée de celle de la cabale, et l'approche généralement positive de cette notion était un dénominateur commun pour la plupart des Juifs.

97. Je me réfère principalement à leur adhésion à l'idée hermaphrodite ou androgynique comme symbole de la perfection humaine: voir leurs oeuvres mentionnées aux notes 50, 81, 82, 85 supra. Voir plus particulièrement la discussion d'Eliade au sujet de l'androgynisation dans The Two and the One (note 50 supra), p. 111­114.

98. La conception junguienne de l'androgyne en tant qu'arché'type en est un parfait exemple; selon lui, l'androgynie “est une idée primordiale devenue un symbole de l'union créatrice des contraires”, un “symbole unitaire au sens littéral”. Voir The Archetypes (note 85 supra) p. 174.

99. Voir Eliade, The two and the One (note 50 supra) p. 100, où il se réfere à l'androgynie comme à un symbole “de la plénitude résultant de la fusion des sexes”, “un nouveau genre d'humanité dans lequel la fusion des sexes produit une conscience nouvelle non polarisée” et idem p. 114. Comparez aussi avec sa description complaisante des rites orgiaques dans Patterns in Comparative Religion (New York, 1972) p. 356 sq. particulièrement p. 361. Au sujet d'Eliade en tant qu'herméneute créatif qui tenta de mettre en avant une discipline spirituelle, voir W. L. Branneman Jr., S. O. Yarian - A. M. Olson, The Seeing Eye (Pennsylvania State University, 1982) p. 57­71.