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Lettre du Brésil: Myriam Gomes de Freitas (Porto Alegre, le 23 / 09 / 1997)

A propos de Walter Benjamin et d'un projet de revue:

“... Il est aussi un de mes auteurs favoris. Un jour il a voulu créer une revue. Cette revue devait s'appeler Angelus Novus - comme le tableau de Paul Klee qui fonde une de ses thèses sur l'histoire. Malheureusement cette revue n'a jamais été publiée. Benjamin a écrit un texte pour annoncer la revue et présenter son programme. Dans ce texte, il se sert d'une image pour faire comprendre le titre choisi: "Car les anges - nouveaux à chaque instant en multitudes - sont crées, selon une légende talmudique, pour chanter un hymne devant Dieu et disparaître. Que cette actualité - qui est l'unique actualité veritable - soit l'actualité de cette revue:c'est ça que son nom veut signifier". Une si fragile et si pleine actualité qui fait de cette presence devant Dieu et de la louange sa raison d'être a été interpretée par un des commentateurs de Benjamin comme "l'indice d'un autre temps au deça et au dela de l'histoire et de l'infinie épaisseur de la mémoire - où chaque mot devient louange et la mort n'est qu'un heureux effacement." Benjamin a toujours vu l'actualité d'un phénomene comme la représentation des connections oubliées de la révélation - la mémoire de l'origine qui fulgure un instant. [En même temps, cette découverte des connections oubliées n'a jamais été vue par lui comme une restauration inévitable de la situation originelle. Dans l'actualité benjamininenne il y a certainement une promesse mais jamais une certitude.] J'évoque cette image parce qu'une revue virtuelle - comme Jec - me semble un exemple parfait de cette actualité. "Angelus Novus" est l'image exemplaire de l'actualité d'une revue virtuelle qui disparaît sans laisser de traces, sans produire des ruines ni des cadavres. Selon B., dans la perspective de l'histoire, le monde est un champ de ruines (pour la collectivité) et de cadavres (pour l'individuel). L'actualité d'une revue virtuelle me semble le paradoxe entre cette espèce d'éternité idéalle du monde de la virtualité et la possible représentation des connections oubliées avec l'ordre des cadavres et des ruines. Il y a une inversion du sens de l'actualité - Angelus Novus, Novus Angelus - où il ne s'agit pas de la découverte des connections oubliées avec la révélation mais plutot de la préservation de la mémoire des connections oubliés avec l'histoire (pour Jec, l'histoire des études de la cabale, une histoire en même temps contemporaine et ancienne). En suivant cette image de Benjamin, je pense que l'actualité sur l'internet se doit plutôt au teneur d'histoire, au teneur de veracité historique qu'on arrive à deverser sur cette fenêtre d'éternité qui est l'écran de l'ordinateur. Une éternité que n'est qu'un simulacre. Et de sa condition de simulacre, l'inversion de l'image de Benjamin. C'est plutôt l'histoire qui frappe le simulacre éternel de l'écran et non plus l'histore qui reçoit la lumière d'une révélation perdue. Chaque numero de la revue ne chante pas son hymne devant Dieu, mais devant l'histoire. Si on considère le contenu de Jec, on voit aussi comment un Novus Angelus peut partager l'actualité d'un Angelus Novus et par la chanter aussi devant Dieu. C'est peut être trop confus, pour être simple: Angelus Novus est une bonne image pour une revue virtuelle.”