Dictionnaire des cabalistes

Kabbalists Dictionary


Abraham Aboulafia - Bahir - Elia Benamozegh - Hayim Vital - Hayim de Volozhyn - Isaac Louria - Joseph Caro - Joseph Gikatila - Moïse Cordovéro - Moïse de Léon - Méir ibn Gabbay - Moïse Hayim Luzzatto - Zohar

 

Retour


BAHIR (Livre de la Clarté). Tel qu'il nous est parvenu, cet ouvrage qui peut être considéré comme le plus ancien livre de cabale, a été écrit vers la fin du XIIe siècle, probablement dans le Languedoc, à partir de sources provenant des piétistes judéo-achkénazes. Sa rédaction s'est effectuée par accumulation de strates successives. Il comporte près de deux cents paragraphes souvent très elliptiques, attribués à l'enseignement du rabbin Nehounia ben Hakana (Palestine, IIe siècle). La lecture symbolique des versets bibliques, décryptés à travers une grille de correspondance qui établit les rapports entre chaque énoncé et une composante du monde divin, est le principal sujet de ce écrit à bien des égard encore énigmatique. Il y est traité de la transmigration des âmes, de cosmogonie et de cosmologie, des anges, du Messie, de quelques pratiques cultuelles et des sacrifices dont la signification mystique est dégagée. La figure de la "fille de lumière", entité céleste détachée du monde d'en haut et venue ici-bas pour éclairer l'humanité, identifiée ici à la Chekhinah (la présence divine) de la littérature rabbinique classique et à la Sagesse qui inspira jadis le roi Salomon, occupe une place importante. D'un point de vue littéraire, on peut noter une procédure singulière : souvent, après chaque exposé exégétique ou théorique, une illustration sous la forme d'une parabole ou d'un bref récit est proposée, qu'il appartient au lecteur de décrypté et qui renferme non seulement une répétition imagée des propos qui viennent d'être tenus, mais qui constitue une sorte d'énigme supplémentaire à résoudre. La métaphore relance ainsi l'énoncé spéculatif ou doctrinal presque inintelligible et lui confère une portée qui va bien au-delà de son sens immédiat.

Une édition critique de grande qualité a récemment été publiée par Daniel Abrams.

C. M.


Moïse de Léon. Cabaliste castillan né en 1240 à Léon, mort en 1305 à Arévalo, il a été surtout connu pour la controverse sur le le Zohar dont la rédaction ou l'édition lui fut attribuée. Mais il a été un auteur fécond dont l'oeuvre hébraïque comprend plus d'une dizaine d'ouvrages. Son itinéraire intellectuel le conduisit à s'intéresser d'abord à la philosophie (Maïmonide, Aristote et le néoplatonisme) et à la mystique du langage dans laquelle il voit les fondements d'une ontologie hébraïque enfin indépendante de l'héritage grec. Mais il se tourne ensuite vers la théosophie par laquelle il pourra davantage encore s'affranchir des limites imposées à la pensée juive de l'époque par la vision du monde aristotélicien. Cette “théosophie” cabalistique comporte à la fois une contemplation des dix émanations divines ou sefirot et une pratique théurgique visant à exercer une influence sur elles. Outre le Zohar, plusieurs écrits pseudépigraphiques lui ont été attribués par la critique moderne qui reconnaît en ce cabaliste espagnol une figure singulière de l'histoire de la littérature religieuse. Douée d'une prodigieuse inventivité et d'une imagination hors paire, cet auteur est sans doute l'un des théosophes juifs le plus important du Moyen Âge. Plus que tout autre, il a développé une eschatologie de l'âme riche, complexe et audacieuse. Les peintures de la résurrection des morts qu'il compose dans ses écrits comptent parmi les plus détaillées que nous a léguées la littérature hébraïque médiévale. Bien qu'à titre d'auteur du Zohar (attribution toujours sujette à discussion), il ait bénéficié de l'intérêt des chercheurs, son oeuvre attend encore une monographie conséquente.

Les écrits :

Écrits perdus mentionnés par Moïse de Léon :

C. M.


Zohar (Livre de la Splendeur). Oeuvre théosophique écrite en araméen dans la Castille de la fin du XIIIe siècle. Pseudépigraphe attribué à rabbi Siméon ben Yohaï (fin du Ie et début du IIe siècle), il paraît avoir été rédigé par Moïse ben Chem Tov de Léon ou un par un autre membre de l'Ecole théosophique castillane à laquelle il appartenait. Cet ouvrage assez volumineux (environ deux mille pages), reflète les conceptions des cabalistes espagnols du XIIIe siècle appartenant au courant théosophique et théurgique, par opposition aux cabalistes prophétiques et extatiques dont Abraham Aboulafia fut le chef de file (suivant la classification mise en vogue par Moshé Idel). L'autorité et le prestige de ce livre qui se présente comme un commentaire (midrach) sur le Pentateuque et sur les cinq Rouleaux (en fait seulement du Cantique des Cantiques, de Ruth, des Lamentations) furent si grands qu'il devint la Bible de la cabale. Regardé comme un Livre saint du judaïsme, il passionna de nombreux érudits chrétiens de la Renaissance qui crurent y découvrir l'enseignement adamique primordial qui inspira la philosophie de Platon et les religions monothéistes. Oeuvre littéraire composite, puisqu'il comprend, outre le commentaire biblique, une série de traités (Livre du mystère, Grande et Petite Assemblée, Midrach ésotérique, Secrets des Lettres, Secret des secrets sur la physiognomonie, etc.), il est écrit dans un style assez inégal, mais qui est souvent celui de l'emphase mystique, de la poésie religieuse la plus élevée, de l'exaltation devant les mystères de l'univers. Son contenu doctrinal et philosophique est une sorte de néoplatonisme adapté à la tradition rabbinique, transformé, parfois renversé, pour qu'il serve à la description des dix sefirot, les degrés de manifestation de la divinité, qui sont perçues comme des réalités vivantes et parfois dotées d'une certaine personnalité. Les événements relatés par l'histoire biblique sont interprétés comme les symboles d'événements ayant lieu dans le monde divin, et les personnages de l'histoire sainte deviennent des figures quasi mythiques. Cette théosophie complexe et riche, dans laquelle domine la peinture de structures intradivines bipolaires masculines et féminines et de leurs relations, est liée à une conception de la pratique religieuse qui lui prête un pouvoir théurgique immense. Ainsi, le juste, figure idéale de l'homme pieux et fidèle, est capable par son action ici-bas et ses prières, d'unifier les composantes du monde divin (les sefirot), d'éveiller les puissances divines et de les renforcer, de changer le cours des choses, aussi bien en Dieu même que dans les régions inférieures du cosmos. Mais le Dieu qui se révèle dans ses sefirot n'est que l'émanation d'un principe caché et indicible appelé Eyn Sof (Infini), qui demeure hors de portée des croyances et des pensées, et dont la surabondance nourrit d'être tous les univers qui n'existent que parce qu'il épanche en eux ses influx vivifiants.

Aucune édition critique à ce jour, hormis un court chapitre sur le mystère des lettres publié par Stephen G. Wald : The Doctrine of the Divine Name, An Introduction to Classical Kabbalistic Theology, Brown Judaic Studies, 149, Atlanta, 1988.

C. M.


Abraham Aboulafia. Cabaliste et philosophe juif. Né à Saragosse (Aragon) en 1240 et mort semble-t-il en Sicile en 1291 ou 1292. Chef de file de l'Ecole de cabale prophétique dont les adeptes tentaient d'accéder à l'union mystique et à la prophétie par la méthode de la combinaison contemplative des noms divins, il est l'auteur d'une cinquantaine d'ouvrages en hébreu, dont une trentaine a été conservé. Auteur de trois commentaires sur le Guide des Egarés de Maïmonide, il a développé des techniques mystiques proches de celles en usage dans le soufisme et dans le yoga et il décrivit ses expériences et en proposa la théorie en employant la terminologie et les concepts de la philosophie aristotélicienne médiévale. Il mena une vie d'errance et d'aventure spirituelle en quête de disciples et de révélations prophétiques. Il voyagea en terre sainte, en Grèce, en Italie et en Sicile. En 1270, une révélation lui enjoint de rencontrer le Pape, ce qu'il tenta de faire en 1280, au péril de sa vie. Mais le jour où il arriva devant le palais pontifical, le souverain pontife mourrut subitement, ce qui lui épargna une exécution presque certaine. Après un bref séjour dans les prisons des frères mineurs, il partit en Sicile où il parvint à fonder un important cercle d'étude. Mais des opposants obtinrent la condamnation de ses idées par un grand rabbin espagnol, ce qui lui valut la mise au ban de ses écrits qui demeurent encore pour l'essentiel à l'état de manuscrits.

C. M.


Elia Benamozegh (Livourne, 1823-1900) a consacré toute son énergie à la défense et à la diffusion de la cabale, à une époque où les milieux savants juifs d'Europe la refusaient comme doctrine “étrangère”, fausse ou barbare. Rabbin à Livourne où il enseignait la théologie au séminaire rabbinique et assumait la tâche de rabbin-prédicateur, Benamozegh s'était nourri dès son plus jeune âge de cabbale et de philosophie. Il avait étudié la première avec son oncle maternel, Yéhoudah Coriat, d'origine marocaine comme l'était d'ailleurs la famille paternelle (Fès) ; puisqu'il avait “reçu” la doctrine, comme il le déclare très discrètement dans une oeuvre de jeunesse (Eimath mafguia'), il peut être considéré comme un véritable meqoubbal. Il s'était en revanche initié à la seconde en autodidacte.

Son oeuvre est abondante et variée : elle couvre les domaines de l'exégèse biblique (Nir le-Dawid, commentaire sur les Psaumes, Livourne 1858 ; Em la-Miqra, commentaire sur le Pentateuque, 5 vol., ivi 1862-1865) ; du droit (Delle fonti del diritto ebraico, ivi 1882 ; Ya'aneh ba-'es, ivi 1886) ; de l'apologie (Morale Juive et morale chrétienne, Paris 1867) ; de la polémique (Eimath mafguia', Livourne 1855 ; Ta'am leshad, ivi 1863), de l'histoire (Storia degli Esseni, Florence 1865) ; et du projet religieux (Israël et l'humanité, Paris 1914). Mais c'est dans la théologie qu'il donnera le meilleur de lui-même (Teologia: Dio, Livourne 1877 ; Spinoza et la kabbale, dans Univers Israélite XIX, 1864). Une démarche théologique est par ailleurs présente dans tous ses ouvrages.

Elia Benamozegh participe au débat philosophique européen avec une forma mentis de cabbaliste. De ce fait, sa pensée peut être lue aussi bien dans un contexte général qu'à l'intérieur d'une tradition spécifiquement juive. Cette double appartenance a pu nuire à la réception de son oeuvre : repoussé par les rabbins de Syrie et de Terre Sainte puisque scandaleusement ouvert aux mythologies du Moyen Orient et au christianisme, aux marges de la grande culture européenne à cause des réserves vis-à-vis de ses références cabbalistique, il se définit lui-même, non sans ironie, “comme suspendu en l'air” (Tzori Guil'ad, dans Ha-Levanon, suppl., Paris 1871). Il se range aux côtés du philosophe catholique libéral Vincenzo Gioberti (1801-1852), en partageant sa critique de la dialectique hégélienne. Pour les deux penseurs religieux, la synthèse précède les moments de la thèse et de l'antithèse, Dieu précède le monde et l'homme ; l'histoire humaine est un progrès à l'infini, qui tend à se rapprocher de la plénitude divine (Teologia). Dans ce sens, Benamozegh est un penseur progressiste qui partage l'optimisme de son siècle : mais le progrès tel qu'il l'entend s'identifie au retour à Dieu, dans un procès - à jamais inachevé - d'unification du divin éparpillé dans le monde. Les visions unitaires du néoplatonisme et de la cabale acquièrent une forme plus dynamique, et plus ample (l'acteur du progrès n'est pas l'individu, mais l'Humanité). L'évolutionnisme darwinien n'est pas absent non plus de son élaboration théorique : il l'insère dans un contexte métaphysique, dans lequel joue un rôle primordial le concept de berour, sélection.

La contribution la plus originale de Benamozegh est probablement l'idée de l'être comme série de consciences concentriques, et de Dieu comme Conscience des consciences. L'histoire consiste en un passage progressif de l'inconscient au conscient, et Dieu représente la conscience déployée (Bibliothèque de l'hébraïsme, Livourne 1897). On peut retrouver ici l'ancienne idée cabbalistique (Cf. Ezra de Gèrone, Commentaire sur le Cantique des Cantiques) de la création comme passage de l'inconnu au connu, la manifestation progressive de ce qui a toujours existé, et le schéma mental des séfiroth comme circonférences concentriques ; tout cela s'insère en même temps dans la mouvance de l'idéalisme allemand, mais aussi de la psychanalyse (Freud n'est pas loin).

La cabale représente, pour Benamozegh, la véritable tradition dogmatique du judaïsme qui serait, sans ses doctrines, une énorme machine rituelle sans raison idéale profonde ; elle peut représenter une solution à la crise religieuse de l'Europe, puisqu'elle réunit le monothéisme “sémitique” et l'esprit de multiplicité propre aux “aryens” (Israël et l'humanité). Il faut bien la distinguer du christianisme et du spinozisme, qui ont cassé l'équilibre délicat entre monde divin (en particulier la séfirah malkhouth) et monde humain : le premier en ôtant toute positivité au monde humain (il l'appelle “union vers le haut”, Morale juive et morale chrétienne, L'origine des dogmes chrétiens, inédit), le second en le divinisant (c'est l'”union vers le bas”, Spinoza et la kabbale, Bibliothèque de l'hébraïsme). La présence de la notion talmudique et cabbalistique de qitsouts ha-neti'oth (couper les jeunes pousses), comme indication des limites entre l'orthodoxie et le basculement vers l'hérésie, est dans ce cas évidente.

Benamozegh s'opposait, comme la plupart de ses contemporains juifs d'Europe de l'Ouest, à la tournure que la cabale avait prise chez les hassidim de l'Est, qui lui semblait orientée vers la “thaumaturgie”, dépourvue de son noyau philosophique et, au fond, obscurantiste. Quant au débat sur l'authenticité de l'attribution du Zohar, il y participa de façon originale, en se déclarant prêt à accepter l'hypothèse d'une rédaction médiévale, mais en maintenant l'ancienneté et le caractère traditionnel des doctrines (Ta'am leshad ; Lettere a S. D. Luzzatto, Livourne 1890). Dans ce domaine, comme dans d'autres (par exemple la théorie du langage), la vision historique de Benamozegh semble supérieure au positivisme naïf, qui triomphait à l'époque dans l'Europe savante.

A. G.


Moïse Cordovéro. Rabbin et cabaliste qui vécut à Safed, en Haute Gallilée (1522-1570). Auteur d'une oeuvre considérable qui compte plus de quize mille pages d'écritures serrées, c'est l'un des plus grands théoriciens systématique de la cabale espagnole après l'Expulsion (1492). Outre une très solide formation dans les sciences classiques du judaïsme (Bible et Talmud), marquée par son accession très précoce au rang de décisionnaire de la Loi, il commença à étudier la philosophie de Maïmonide mais s'en détourna, vers l'âge de vingt ans, pour se consacrer totalement à l'apprentissage puis à l'enseignement de la cabale qu'il découvrit grâce à l'enseignement de son maître et futur beau-frère, R. Salomon Halévy Alkabetz. Il fonda une école et eut de nombreux disciples, parmi lesquels Isaac Louria et Hayim Vital, Mordekhaï Dato, Elie Da Vidas. Le chef du judaïsme italien de l'époque, Menahem Azaria de Fano, peut être considéré également comme l'un de ses disciples, au moins à travers ses écrits. Sa contribution au renouveau de la théosophie juive et à l'approfondissement spéculatif de ses doctrines fut de première grandeur et eut un impact considérable. Il mit en valeur la nature paradoxale de toute manifestation du divin à l'extérieur de lui-même, qui équivaut toujours à une forme d'occultation. Son oeuvre la plus célèbre, le Pardés Rimonim (Le verger des grenadiers) est à la fois une présentation didactique de la cabale et un essai pour résoudre les contraditions apparues au cours de son histoire entre les différentes écoles qui s'en réclamaient. Il rédigea un commentaire du Zohar intitulé Or Yaqar (La lumière préciseuse) qui est un momument gigantesque construit autour de la Bible des cabalistes (une trentaine de volumes, en cours de publication). Son oeuvre de maturité, le Elimah Rabbati, n'a été publiée que partiellement, mais de récentes découvertes de manuscrits de plusieurs parties inédites devraient permettre d'en connaître un plus vaste ensemble. Il expose la signification éthique de la doctrine des sefirot (émanations) dans un petit traité, le Palmier de Débora, qui faisait originellement partie du Elimah mais en fut séparée par la suite. La pensée de Cordovéro se distingue par la recherche explicite de l'intelligibilité des sources littéraires et des motifs de la cabale. Il tente d'appliquer la méthode discursive utilisée dans l'étude du Talmud pour scruter les propos de ses prédécesseurs et lever les contradictions entre leurs affirmations. Tout en étant l'un des représentants majeurs d'une cabale intellectualiste et spéculative, il est aussi un mystique qui expérimente les diverses pratiques extatiques et prophétiques et en particulier celles qu'avait prônées Abraham Aboulafia. Il inscrit dans un petit ouvrage le résultat de ses “exils” volontaires dans la campagne, où, avec son maître et ami Salomon Alkabetz, il pratique la libre association d'idées dans le but de recevoir des messages et des enseignements du monde céleste (Sefer Guirouchin), essentiellement des exégèses spontannées et inspirées de versets de l'Ecriture. La doctrine de Cordovéro joua aussi un très grand rôle dans le développement du Hassidisme.

Aucune édition critique de ses oeuvres n'a encore vu le jour, mise à part des extraits conséquents de certains chapitres publiés par Bracha Sack.

C. M.


Joseph Caro. Rabbin, législateur et mystique d'origine espagnole (1488-1575), émigré à Safed (Haute Galillée) après l'Expulsion de 1492. Il dispensa dans cette ville sous domination ottomane un enseignement en matière de droit religieux juif à des disciples dont certains devinrent des personnalités importantes comme R. Moïse Cordovéro. Il y exerça aussi des fonctions de juge. Il est surtout connu comme l'auteur d'un Code de lois religieuses, civiles et pénales, le Choulhan Aroukh (La table dressée), qui devint le canon légal du judaïsme aussi bien en Orient qu'en Occident et dont l'autorité est encore actuelle. Il donna naissance à une riche littérature juridique et de plusieurs actualisations et abrégés. Mais son oeuvre la plus volumineuse est un imposant commentaire sur le Code de Maïmonide (Michné Torah), intitulé La Maison de Joseph (Beit Yossef). Il rédigea aussi un journal mystique, le Maguid Mécharim (Le guide de réctitude), dont la paternité qui fut un temps consteté ne fait plus de doute aujourd'hui. Dans ce journal, R. Joseph Caro a consigné ses entretiens avec son Magguid, un mentor angélique, personnification de la Michnah, qui lui parlait à travers sa propre voix et lui enseignait les mystères du monde céleste, le renseignait sur l'origine de son âme, son avenir personnel, et orientait son itinéaire mystique en lui conseillant des ascèses, un régime alimentaire strict, et des lectures fréquentes du Zohar.

C. M.


Luzzatto, Moïse Hayim. Cabaliste, théologien, moraliste, exégète, logicien, poète et dramaturge juif italien né à Padoue (1707) et mort à Saint-Jean d'Acre (1747). Il renouvela la langue hébraïque et produisit les premières oeuvres littéraires hébraïques modernes. En tant que cabaliste, il s'illustra par ses interprétations spéculatives de la doctrine d'Isaac Louria. Il écrivit plusieurs oeuvres mystiques sous la dictée d'un guide céleste (Maguid) dont il recevait les révélations. Très jeune encore, il prit la tête d'un cercle de disciples padouans qui étudiaient le Zohar sous sa direction et pratiquaient des exercices spirituels destinés à hâter la Rédemption. Accusé par les autorités religieuses d'Italie de promouvoir une doctrine hérétique, il fut contraint de retirer ses écrits de la circulation et de s'exiler à Amsterdam, où il écrivit Le sentier de rectitude (Messilat yécharim), traité de morale ascétique et mystique qui eu une très grande popularité et que l'on considère comme un classique inégalé de la littérature juive dans ce domaine. Il rédigea encore des traités de rhétorique et de physique, une introduction à l'étude du Talmud et à son système de raisonnement, une histoire d'Israël abordée sous un angle théologique, et une défense de la cabale contre ses détracteurs du camp de la philosophie intitulé Le philosophe et le cabaliste (Hoqer ou-Meqoubal). Il dut encore s'exiler, à cause d'un anathème jeté sur son enseignement et son oeuvre par les rabbins de Venise, et partit en Terre Sainte en 1743 où l'on perd sa trace.

C. M.


Hayim de Volozhyn. Talmudiste et cabaliste lithuanien (1759-1821). Disciple du prestigieux Gaon Elie de Vilna, il joua un rôle de premier plan dans la vie juive d'Europe orientale. Il fonda en 1802 une Yéchiva, ou Académie talmudique, dans la ville de Volozhyn où il était rabbin depuis l'âge de vingt-cinq ans, bien qu'il tirât ses revenus d'une activité commerciale. Cette Académie devint le modèle de nombreux centres d'étude juive qui se créèrent à son exemple et elle forma les maîtres et rabbins les plus importants du siècle. R. Hayim introduisit une nouvelle atmosphère au sein de ces études austères, en mettant l'accent sur la puissance cosmique de l'étude de la Torah qui devait se dérouler de manière ininterrompue, les élèves se relayant jour et nuit pour qu'elle ne cesse pas. Bien que l'enseignement fut l'activité principale de R. Hayim, il connut la célébrité en tant qu'écrivain en rédigeant L'âme de la vie (Nefech ha-Hayim), dont il n'autorisa la publication qu'après sa mort. Il fut l'auteur aussi d'un commentaire sur le Traité des Pères (Pirqé Avot), intitulé L'Esprit de vie (Rouah Hayim). Il écrivit aussi des responsa d'ordre juridique. Il consacra beaucoup d'efforts à lutter contre le Hassidisme, mouvement piétiste juif qui mettait l'accent sur les prières et l'extase mystique, en montrant que l'étude intellectuelle de la Torah et du Talmud est en soi l'union mystique la plus authentique et la plus élevée.

C. M.


Isaac Louria. Surnomé saint Ari (le saint Lion). Cabaliste égyptien d'origine allemande ou polonaise, né à Jérusalem en 1534, mort à Safed en 1572. Il perdit son père à l'âge de huit ans et fut élevé par sa mère auprès de laquelle il demeura le reste de ses jours. Il s'installa tardivement à Safed (Haute Gallilée) mais il y exerça une influence considérable. Figure dominante de la cabale théosophique après l'Expulsion des Juifs d'Espagne (1492), il est l'auteur indirect d'une oeuvre immense qui s'imposera peu à peu comme la version la plus achévée de la doctrine ésotérique juive. Il ne rédigea lui-même que quelques rares commentaires, mais ses disciples, parmi lesquels Hayim Vital, couchèrent ses enseignements oraux sur le papier. Considéré comme un personnage visité par l'Esprit Saint et le prophète Elie, il était capable de percevoir l'origine de l'âme de ses interlocuteurs, ses migrations lors de ses vies antérieures, et il pouvait prescrire les "réparations" nécessaires au salut définitif de leur âme. De son propre aveu, sa prodigieuse fécondité intellectuelle l'empêcha de figer par écrit le flot de pensées qui jaillissaient sans cesse de son âme. De nombreuses légendes hagiographiques circulèrent très tôt sur son compte et certains le reconnurent comme un précurseur du Messie. Sa doctrine théosophique prodigieusement complexe et riche fut exposée dans L'arbre de Vie ('Ets Hayim) par Vital.

C. M.


Hayim Vital. Cabaliste et mystique d'origine italienne, né à Safed en 1542 et mort à Damas 1620. Ecrivain prolifique, on lui doit entre autre la version principale de la doctrine de son maître Isaac Louria, consignée dans L'Arbre de Vie ('Ets Hayim). Mais il fut d'abord le disciple du cabaliste Moïse Cordovéro. Il passa deux ans à l'étude de l'alchimie puis reçut l'ordination de rabbin à Jérusalem et il exerça cette fonction dans cette ville puis à Damas. Il souffrait d'une maladie nerveuse qui lui imposait périodiquement des états dépressifs qu'il expliquait par la haute origine de son âme affectée par sa descente dans l'abîme de la matière. Il mêle dans ses oeuvres personnelles, parmi lesquelles Les portes de la sainteté (Cha'aré Qedoucha) occupe une place à part, la cabale théosophique des sefirot et la cabale extatique et prophétique d'Abraham Aboulafia. On lui doit l'une des rares autobiographies que des mystiques juifs aient laissée, le Livre des visions (Sefer ha-Hezionot), dans lequel il inclut surtout des récits et des témoignages de sa grandeur mais aussi la relation de ses rêves. Un volume de sermons sur des sujets exotériques et de cabale populaire a été préservé en manuscrit. Il est aussi l'auteur d'un Livre d'astronomie (Sefer ha-Tekhouna). Il écrivit un commentaire du Zohar et un commentaire sur la Bible, qu'il intégra dans son grand ouvrage, L'Arbre de la connaissance ('Ets ha-da'at), mais ce qu'il nomme le "sens littéral" et le "sens allusif" dans cet ouvrage, est en fait le sens ésotérique de la cabale classique. On lui doit aussi un traité de morale, Le coeur de David (Lev David).

C. M.


Joseph Gikatila. Cabaliste castillan né à Medinaceli en 1248, mort vers 1325. Il vécut de nombreuses années à Ségovie et entre 1272 et 1274 il étudia la cabale des lettres sous l'égide de R. Abraham Aboulafia qui le considérait comme son meilleur élève. Il peut être considéré comme l'un des écrivains les plus doués de son temps. Son premier ouvrage, Le jardin du noyer (Guinat Egoz), publié en 1615, porte la marque de cet enseignement. Il combine la mystique symbolique de l'alphabet hébreu et des point-voyelles, des spéculations sur les noms divins, avec une doctrine des sefirot (les dix nombres primordiaux du Livre de la Création) de type philosophique, qui les identifie avec les "Intelligences" de l'aristotélisme de Maïmonide. On lui doit un commentaire mystico-philosophique sur le Guide des Egarés, un commentaire sur le Cantique des Cantique et sur la vision d'Ezéchiel ainsi que des poèmes mystiques. Il est l'auteur d'un nombre importants d'ouvrages et d'opuscules consacrés aux diverses branches de la cabale. Dans un deuxième temps, il épousa la cause de la cabale théosophique, celle que l'Ecole du Zohar et Moïse de Léon diffusèrent avec brio. Il rédigea dans la veine de ce courant Les portes de la justice (Cha'aré Tsedeq), publié en 1559, qui explique le système des sefirot, et surtout Les portes de la lumière (Cha'aré Ora) qui devint un grand classique.

Traduction anglaise : Gates of light = Sha'are orah, San Francisco, HarperCollins, 1994.

C. M.


Méir ibn Gabbay. Cabaliste constantinopolitain né en Espagne en 1480, mort à Magnésie vers 1543. Il subit dans son enfance le traumatisme de l'Expulsion des Juifs d'Espagne (1492), et il s'installa dans l'Empire ottoman. Il fut membre du tribunal rabbinique de Tire autour de 1516. Il connut dans sa jeunesse de nombreuses difficultés matérielles. Il est l'auteur de trois ouvrages qui jouirent d'une audience assez large. Le Vermisseau de Jacob (Tola'at Ya'aqov), écrit en 1507 est consacré à l'étude des prières et des rites cultuels dont la signification mystique et le pouvoir théurgique sont systématiquement dégagés ; Le chemin de la foi (Derekh émouna), écrit en 1539, se présente comme un commentaire du Portique du Questionneur (Cha'ar ha-Choel) de R. Azriel de Gérone, un cabaliste du XIIe siècle, et il dépeint de façon didactique le système des dix sefirot ou émanations ; Le culte sacré ('Avodat ha-Qodech), son oeuvre majeure, écrit en 1531. Ce cabaliste recueille dans ses oeuvres la majeure partie des grandes élaborations cabalistiques de ses prédécesseurs espagnols, dont il fut l'un des principaux représentants parmi les exilés. Mais l'intérêt de ses écrits ne se limite pas à leur caractère encyclopédique. Sa virtuosité littéraire et son sens aigu de l'exactitude conceptuelle font de lui un interprète classique de la théosophie juive espagnole dont il a souligné la pleine intégration au sein du judaïsme rabbinique.

C. M.