Textes de référence

Charles Mopsik et Eric Smilevitch

Observations sur l'oeuvre de Gershom Scholem

Article paru dans Pardés, vol. 1, 1985, p. 6-31. La pagination de la
première édition est donnée entre crochets droits.

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L'oeuvre de G. Scholem en tant qu'historien de la mystique juive est immense, nous n'avons pas l'intention d'en traiter en soi. Ce qui a retenu notre attention dans l'article qui suit n'est seulement qu'un aspect de son travail, mais son importance est loin d'être négligeable ou secondaire puisqu'il s'agit de ce qui a trait en définitive à l'orientation idéologique d'une recherche qui s'est elle-même voulue et prétendue de bout en bout “scientifique”.

Nous traiterons de deux affirmations de G. Scholem: le caractère gnostique de la Cabale (du Bahir, du Zohar, de la Cabale d'Isaac Louria) et de la littérature "pré-cabalistique" des Hekhalot (les "Palais"), ensuite nous examinerons ses thèses concernant la nature néo-platonicienne du En-Sof, par rapport aux sefirot. Ces questions ne sont pas des sujets scolaires de dissertation ou des soucis d'érudits, elles touchent à l'intime du destin d'Israël, elles débouchent sur des jugements globaux quant à savoir si une métaphysique propre aux communautés fidèles à la tradition hébraïque s'est perpétuée dans son originalité, ou si toutes les oeuvres spirituelles de cette tradition ne sont que les résultats d'influences étrangères qui l'ont déterminée. Si le mot "pensée juive" a vraiment un sens ou s'il n'est qu'une étiquette affublant un récipient vide, ou rempli de fragments issus de toutes les cultures. Si la Cabale est un mouvement intérieur à la tradition juive, dite "tradition rabbinique", ou si elle est une émergence d'origine étrangère apparue au sein du judaïsme vers le xiie siècle. [7]


DU PRETENDU GNOSTICISME JUIF:

LES ECRITS DE LA MERKABA



Caractères généraux du gnosticisme et des écrits de la Merkaba

Beaucoup de ceux qui s'intéressent aujourd'hui à la littérature des Hekhalot (fin de l'Antiquité) le doivent à l'oeuvre de Gershom Scholem. La multiplication des recherches en ce domaine est directement redevable de l'immense travail d'historien qu'il a accompli. Les critiques cependant n'ont pas manqué; depuis quelques années, les chercheurs anglo-saxons ou allemands n'ont pas hésité à remettre en cause les idées maîtresses auxquelles les recherches de Scholem semblaient aboutir(1), cependant que, de leur côté, les chercheurs français manifestent à l'égard de l'ensemble de son oeuvre une complaisance telle que seule la vénération semble, pour l'instant, admise. Il suffit de se reporter à leurs travaux les plus récents pour s'apercevoir que les thèses scholémiennes y sont accréditées sans discussion. Citons, pour l'exemple, les propos de G. Vajda, qui voit en Gershom Scholem un "maître incontesté, sinon par une bigoterie avec laquelle il est inutile de polémiquer" (Revue d'histoire religieuse, CXCII-1, juillet 1977). Scholem, il est vrai, ne pratiquait guère la critique interne, et encore moins la remise en cause des certitudes qu'il pensait acquises dès le début de ses recherches. Qui consulte, en effet, les principales oeuvres de Scholem(2) ne peut manquer d'être frappé par la constance avec laquelle certaines idées dominent tout l'ensemble, depuis ses premiers travaux jusqu'à ses recherches les plus récentes.

L'existence d'un certain nombre de parallèles entre la Gnose et la littérature des Hekhalot avait déjà fait l'objet des remarques de chercheurs comme H. Graetz et M. Gaster au début du siècle. H. Odeberg, dans son édition du Sefer Hekhalot (3 Enoch) en 1928, avait plus particulièrement mis en relief certaines ressemblances terminologiques entre les textes juifs de la Merkaba et quelques écrits gnostiques. Aujourd'hui encore, nul ne songerait à nier l'existence de ces similitudes, qui sont parfois frappantes(3). Mais cela signifie-t-il, comme le prétend Scholem, que la littérature des Hekhalot est, purement et simplement, une "gnose juive" ? Cela reviendrait à élever un nombre limité de parallèles ponctuels au rang de système, et à penser l'ensemble de cette littérature à partir de quelques-uns de ces morceaux, uniquement parce qu'on peut trouver des échos de ces derniers dans des textes issus d'une autre tradition. Cette thèse a déjà fait l'objet de tant de critiques que nous aurions pu nous contenter de renvoyer le lecteur aux travaux déjà cités, si ceux-ci ne nous avaient pas paru trop ignorés en France. De plus, les affirmations de Scholem à ce sujet sont si catégoriques que l'on ne saurait se contenter de sous-entendus. Comment Scholem définit-il, en effet, la Gnose ? S'appuyant sur l'étymologie (gnôsis = savoir), il voit dans la Gnose un "savoir de caractère en même temps ésotérique et salvifique(4)". Définition extrêmement large, si large d'ailleurs [8] qu'elle peut aussi inclure Platon et une bonne partie de la philosophie. Malheureusement, même une définition aussi générale ne s'applique pas et ne convient pas à la littérature des Hekhalot. Comme le fait justement remarquer I. Gruenwald(5), les textes mystiques juifs ne comportent aucune visée de rédemption immédiate et sont étrangers à toute pensée du salut. De plus, alors que le gnosticisme trouve sa dynamique dans une échappée hors de la matière et du monde, la mystique juive du trône divin présuppose toujours le retour aux choses terrestres de celui qui s'est élevé à la contemplation des palais célestes.

Cet obstacle n'arrête pas Scholem; appliquant aux textes hébraïques les thèmes et les figures propres à la littérature gnostique, il les arraisonne avec une terminologie et une problématique que des chercheurs avaient élaborées avant lui à propos du gnosticisme, sans prendre le temps d'interroger la pertinence d'une telle démarche. Le plus étrange est que Scholem fait tout pour donner à croire qu'il apporte du nouveau dans les études juives, alors que ses argumentations sont aussi manifestement empruntées. Au point que l'objet même de ses analyses et de ses réflexions fait figure, à son tour, de pièce rapportée: rien n'est plus radical que l'idée d'une "gnose juive" pour arracher aux textes hébraïques la singularité qui est la leur au sein de la littérature mystique de la fin de l'antiquité. C'est le cas, par exemple, lorsque G. Scholem analyse le Shiour Koma - Mesure du Corps (de la divinité), l'un des plus anciens textes de la littérature de la Merkaba selon lui - dont la partie la plus originale consiste dans la description des dimensions corporelles du Dieu de la vision d'Ézéchiel, de la tête aux pieds. A ce propos, Scholem rapporte la distinction gnostique, et antijuive ainsi qu'il le souligne, entre un Dieu inconnu et bon et un Dieu mauvais, créateur du monde et Dieu d'Israël. Puis il suggère que les descriptions du Shiour Koma visent le second Dieu, le démiurge, mais dans le cadre d'un dualisme plus tempéré, plus harmonieux, où le créateur du monde serait le reflet et l'apparence du Dieu inconnu (cf. Les Grands Courants de la mystique juive, p. 79). Scholem ne semble pas se rendre compte que l'idée d'un Dieu inconnu est doublement superflue: elle n'apparaît nulle part dans la littérature des Hekhalot ou de la Merkaba et, dans sa propre analyse, elle n'est qu'un redoublement inutile du démiurge. Le dualisme, même harmonisé, entre un Dieu-corps et un Dieu-esprit va absolument à l'encontre du langage même de ces textes, qui ne parlent jamais que d'un Dieu et qui confessent sans cesse son unité. Que penser, ensuite, des faux problèmes que Scholem pose au sujet de la mystique juive ? En se demandant si celle-ci est dualiste et hérétique, ne se trompe-t-il pas purement et simplement d'objet, en confondant les problèmes du judaïsme avec ceux du christianisme ? Relativement à quoi la littérature des Hekhalot serait-elle "hérétique" ? Ne trouve-t-on pas nombre de ses éléments dans le Talmud et le Midrach ? Quant au dualisme, si l'on entend par là l'affirmation de l'existence de deux pouvoirs distincts et concurrents, on est forcé de reconnaître qu'aucun texte n'affirme une chose pareille. Au contraire, ce genre de propos est nettement et explicitement rejeté en plusieurs occasions. Scholem s'emploie donc à montrer que la mystique juive - qui aurait, par nature, une tendance à l'hérésie - s'efforce malgré [9] tout de s'intégrer dans le cadre du "judaïsme traditionnel" - notion dont la signification est plus que flottante puisqu'elle est transposée de la terminologie du christianisme - puis à établir que la littérature des Hekhalot présente des affinités avec le dualisme, sans toutefois en être un.



La parallélomanie

S'entêtant toujours davantage dans la voie d'une gnose juive, Scholem se lance à la poursuite de parallèles entre la mystique juive et les textes gnostiques du début de notre ère. La méthode comparative, qu'il veut "scientifique", prend alors l'allure d'une obsession qui s'exerce dans toutes les directions sans qu'en apparaissent jamais les raisons ni les buts. Rien, il est vrai, ne disqualifie la méthode comparative en elle-même, et lorsqu'elle est correctement employée - ce que Scholem fait aussi - ses résultats sont tout à fait probants. Ainsi, comparer un écrit à un autre à l'intérieur d'un même corpus, ou bien un corpus à un autre à l'intérieur d'une même tradition permet, comme Scholem l'a prouvé dans maints de ses travaux, de situer des textes les uns par rapport aux autres, de retrouver les filiations et les écoles, d'établir une chronologie et enfin d'attribuer ces textes à leurs véritables auteurs. Mais, lorsque Scholem s'obstine à chercher des parallèles entre des textes issus de traditions distinctes (la Gnose et la Merkaba), les correspondances qu'il prétend découvrir n'autorisent plus ni filiation ni chronologie, pour la raison que chacune des traditions mises arbitrairement en relation a ses propres rythmes et sa propre histoire, qu'elle ne partage avec aucune autre. On voit alors Scholem choisir, parmi des écrits et dans des contextes totalement différents, des "morceaux" qu'il découpe soigneusement pour les besoins du parallèle, et dont il prétend tirer de grandes thèses générales touchant l'histoire des idées, qu'il imagine comme une sorte d'histoire universelle planant au-dessus des multiples traditions. C'est bien là le principe qui nous semble présider à l'approche de Scholem: l'hypothèse que tous les discours touchant au divin reviennent au même une fois dépouillés de leur "gangue" particulariste. Pour reprendre les expressions de P. Schäfer, cette "parallelomania" ne peut produire que des "clichés". Plus grave encore: Scholem ne prend même pas la peine d'établir soigneusement ses parallèles, tant il est sûr du résultat qu'il doit obtenir(6).



LES ORIGINES DE LA CABALE



L'héritage gnostique

Il va de soi que la critique portée aux thèses scholémiennes sur la littérature mystique juive de la fin de l'Antiquité se répercute sur celles [10] qu'il professe pareillement au sujet de l'origine de la Cabale, puisque cette dernière, selon lui, n'est que "la réapparition, au coeur du judaïsme, de la tradition gnostique(7)". En réalité, Scholem a bien des difficultés à maintenir le point de vue unilatéralement gnostique si bien que, s'agissant de la Cabale, son parti pris du parallélisme le conduit souvent à rechercher des points de contact avec d'autres traditions que celle de la Gnose, en particulier le néo-platonisme grec ou chrétien. Voyons comment Scholem s'en explique. Les formules à l'emporte-pièce des Origines de la Kabbale méritent d'être citées à cette occasion: "Il est permis d'affirmer que les matériaux gnostiques de provenance orientale, dans le Bahir, une fois reçus et adoptés par un milieu religieux sensible et productif, suffisent amplement pour expliquer l'évolution interne de la Kabbale, jusqu'au Zohar inclusivement" (p. 101), et, quelques lignes plus bas : "Aux rédacteurs du Bahir ne sont parvenus, de ces sources, que d'obscurs vestiges, pas un système, mais des fragments de système, pas un cadre fixe de symboles, mais des fragments de symboles, dont l'attrait était néanmoins encore suffisant pour inciter l'imagination et stimuler la pensée à combiner de vieux matériaux avec de nouvelles associations d'idées, de façon à leur donner un nouveau contenu" (Ibid., p. 102). Il faudrait s'entendre: tout expliquer par la Gnose, c'est la voir à l'uvre systématiquement; mais si, non seulement, les premiers cabalistes n'ont reçu que des "fragments", et s'ils ont, en plus, pris la peine de réélaborer leur contenu, on se demande ce qui peut bien rester d'une prétendue explication exhaustive du développement de la Cabale! De plus, si l'on se reporte à la définition scholémienne de la Gnose, mentionnée plus haut (un "savoir ésotérique et salvifique"), on doit avouer que l'idée d'un salut ou d'une rédemption par la Cabale n'est jamais déterminante dans les textes juifs. Scholem n'en dit d'ailleurs plus mot. Et l'aspect ésotérique de cette connaissance n'y est pas non plus décisif, à preuve l'extraordinaire popularité de la Cabale après le Zohar.



Le Bahir et la gnose

Scholem passe sous silence le fait que le Bahir, par exemple, auquel il consacre de longues analyses pour en prouver le caractère gnostique, est entièrement construit et tissé de références implicites au Talmud et au Midrach, qu'il cite quelquefois mot pour mot. L'idée de plénitude, précisément, n'a absolument pas, dans le Bahir, le rôle exceptionnel que joue le Plérôme, en tant que condition et fin de la Gnose, dans la gnose valentinienne. Scholem établit pourtant le parallèle, allant même jusqu'à dire que c'est "la notion technique du plérôme (qui) se retrouve, à moitié déformée, mais encore nettement reconnaissable, en traduction hébraïque exacte, sous la forme de ha-Malé, le 'plein' ou la 'plénitude'" (Ibid., p. 79). Quand on sait à quelles difficultés et à quels enjeux se heurtent de nos jours les spécialistes de la Gnose au sujet du Plérôme, on est ébahi de la facilité avec laquelle Scholem accède au secret de sa "notion technique". Quelle est, cependant, la nature de la plénitude dans le Bahir ? Est-elle la "figure et le lieu de [12] l'Être impersonnellement saisi dans sa totalité et sa plénitude absolues" (H.C. Puech, En quête de la Gnose, II, p. 142) ? Est-elle le domaine de l'"Esprit pur" auquel aspire le gnostique (H. Leisegang, La Gnose, p. 200) ? Nullement, elle est tout bonnement un lieu commun de la tradition rabbinique, selon lequel Dieu emplit tout (cf. ARNB 43 in Leçons des Pères du Monde, p. 437, Verdier). Que dit d'ailleurs le Bahir ? Que la lettre Beït, qui désigne la bénédiction car elle est la première lettre de ce mot, est "remplie de la bénédiction de YHVH" et qu'elle est donc la "plénitude" . De plus, si le texte insiste sur la bénédiction et la plénitude de la lettre Beït, c'est parce qu'elle est la première lettre de la Torah, et qu'elle désigne la racine de la création du monde par laquelle s'ouvre la Torah. Ce qui signifie qu'à travers la lettre Beit la "bénédiction de YHVH" emplit le monde (cf. Le Bahir, pp. 18-20, Verdier). On voit que cette plénitude n'est pas une réalité au-delà du monde, dont ce dernier serait déchu, comme c'est pourtant le cas dans la gnose valentinienne; et qu'elle n'a même pas de réalité distincte, puisqu'elle n'est que le "remplissement" du monde par Dieu. Ajoutons que la démarche mise en oeuvre par le Bahir est purement midrachique, associant chaque thème à un verset biblique et construisant son dire en tirant un mot d'un verset pour le lire en un autre. Nul besoin d'imaginer ici la greffe d'un matériau gnostique; la tradition rabbinique suffit à rendre compte de ces interprétations. La terminologie gnostique n'est donc nullement requise à cette occasion; elle est, une fois encore, superflue.

Au-delà des mots eux-mêmes, Scholem assoit la totalité de ses analyses sur les similitudes qu'il pense mettre en relief entre des thèmes proprement gnostiques et la Cabale. En vérité, la revue critique de ces prétendus parallèles, dont il nous revient de faire maintenant le détail, est grandement facilitée par le fait que Scholem y est toujours à deux doigts de se contredire, quand il ne le fait pas ouvertement. Il vaut la peine de citer plusieurs passages de cet ordre, qui témoignent à quel point la "parallelomania" de Scholem peut prendre le pas sur une démarche historique sensée, et au premier chef le parallèle "obligé" avec les cathares. On sait que les premiers cabalistes sont contemporains, de façon plus ou moins directe, du catharisme languedocien et que ce dernier présente certaines affinités avec le gnosticisme chrétien des premiers siècles de notre ère. Scholem a donc enquêté sur l'existence de possibles points de contacts entre la plus ancienne Cabale et l'apparition du catharisme, ainsi que sur la présence de similitudes doctrinales ou simplement thématiques entre les deux. Que découvre-t-il ? "Ces perushim (ascètes juifs) prenaient sur eux le "joug de la Torah" et détournaient entièrement leurs pensées des affaires d'ici-bas. Ils ne faisaient pas de commerce et s'efforçaient d'atteindre la pureté. Les traits que ce phénomène a de commun avec le monachisme chrétien, d'une part, et la condition des perfecti, ou bonshommes, chez les cathares, d'autre part, sautent réellement aux yeux, abstraction faite des divergences fort nettes qui découlent de l'attitude différente observée par le judaïsme et le christianisme en matière d'ascèse sexuelle" (Ibid., p. 245), et Scholem de rajouter plus loin: "L'abstinence de la viande est un des éléments les plus saillants dans la conduite du "parfait [12]" cathare" (Ibid., p. 247), ce qui n'est pas un critère décisif dans le cas des juifs. Que reste-t-il donc de ce parallèle une fois éliminées les divergences ? Rien d'autre que le fait qu'il existe, à peu près aux mêmes époques, un ascétisme juif, un ascétisme chrétien et un ascétisme cathare, dont les manifestations sont chaque fois différentes. Dans un même souffle, Scholem commence par réclamer "un examen de la question de quelque possibilité de rapports, au milieu du xiie siècle, entre l'entrée en scène de la Kabbale et de catharisme" (Ibid., p. 249), mais il ajoute qu'"il est douteux, toutefois, que de pareils rapports puissent se déduire avec certitude d'une analyse des plus anciennes traditions de la Kabbale. Dans les indications fournies par les sources cathares ou dans les dossiers de l'Inquisition relatifs aux croyances de groupes ou d'individus cathares, on ne constate que rarement des éléments parallèles à ceux de la doctrine kabbaliste. Nous voyons bien une sorte de parenté générale dans l'hypothèse fondamentale selon laquelle, de part et d'autre, on admet la réalité d'un monde supérieur particulier qui appartient entièrement à Dieu et où se déroulent des événements dramatiques qui ont leur contrepartie dans le monde inférieur" (Ibid.). Aucun rapport précis donc, mais une prétendue parenté générale; on aimerait bien savoir où Scholem a pu voir, dans la Cabale, des événements "dramatiques" survenir au sein de la vie divine ? Y aurait-il une révolte du fils de Dieu dans les textes juifs ? La cour céleste serait-elle l'objet d'une conquête satanique ? La création du monde proviendrait-elle d'un Dieu du mal ou d'un démiurge irresponsable ? Ce genre de motif n'apparaît évidemment nulle part dans les textes cabalistiques. Tout au contraire, l'opposition des anges au projet divin, qui n'est d'ailleurs que momentanée, a pour seul but d'empêcher la création de l'homme au vu de ses fautes futures. De plus, qu'il y ait un monde supérieur et un monde inférieur, et que le premier influe sur le second, c'est là un lieu commun qui n'appartient exclusivement à aucune tradition déterminée: sa présence est attestée aussi bien dans les écrits platoniciens ou néo-platoniciens, que dans les textes gnostiques chrétiens, dans l'ismaélisme, etc. Cependant, Scholem oublie ici ce qui est unique et tout à fait caractéristique de la tradition juive au sujet de ces deux mondes, à savoir que le système des contreparties n'est pas univoque. Il va dans les deux sens, du monde supérieur au monde inférieur et du monde inférieur au monde supérieur. Il appartient en propre à la Cabale d'avoir signifié cette seconde forme de contrepartie sous l'espèce d'une mise en branle ou d'un éveil du supérieur par l'inférieur(8).

Autre parallèle manqué: "Une certaine ressemblance peut se constater également entre la doctrine, dans le Bahir, du Satan séducteur des âmes, prince du tohu et du monde matériel qui en a été façonné, et les conceptions des cathares quant au rôle du Satan. Les textes du Bahir sont évidemment formulés d'une façon tout à fait juive et peuvent avoir leurs racines aussi, sous l'angle de l'histoire des religions, dans d'autres traditions d'un temps plus reculé" (Ibid., pp. 249-250). Dès lors, la conclusion s'impose: "Les deux camps se touchent çà et là (...) mais ce ne sont toujours que des détails incohérents, et ils ne concernent que des points d'un intérêt secondaire. Quant aux principes, [13] il ne pouvait évidemment pas y avoir entre les deux mouvements de contact réel, puisque, rejetant le monde, création du Satan, et la Torah, loi du Satan, les cathares allaient encore beaucoup plus loin dans leur antisémitisme métaphysique que l'Église catholique. D'ailleurs, les savants juifs de Provence étaient parfaitement conscients de l'abîme qui séparait la conception juive des choses et celle des cathares" (Ibid., pp. 251-252). Prenons donc acte du fait qu'il n'existe aucun rapport significatif entre l'origine de la Cabale et l'apparition du dualisme gnostique des cathares. En conséquence, puisqu'il n'existe aucun autre courant de type gnostique à l'époque et dans le lieu où naît la Cabale, il n'existe aucune possibilité d'un rapport historique réel entre Cabale et Gnose, alors qu'une telle possibilité ne peut être récusée d'emblée dans le cas de la littérature des Hekhalot.



Parallèles à l'infini

Toujours en quête de parallèles, Scholem s'est donc tourné vers des gnoses beaucoup plus anciennes, comme le Manichéisme et le Mandéisme, et, en historien consciencieux, il a voulu voir dans les similitudes qu'il découvrait un rapport originel qui lierait certains fragments de la première Cabale aux antiques spéculations des mystiques iraniens. Du coup, l'origine de la Cabale devait se situer pour lui en Orient... bien qu'elle apparaisse d'abord, ainsi qu'il a lui-même pris la peine de le montrer, dans le sud de la France. L'Orient et la Gnose, il est vrai, ne sont plus depuis longtemps des noms ni des concepts, ce sont des horizons, des mythes, et la tradition est bien établie qui leur attribue la paternité de toute doctrine touchant au divin qui présente quelques complications par rapport au modèle monothéiste chrétien. Naviguant entre Orient et Gnose, l'historien côtoie deux "fourre-tout", qui sont de véritables abîmes, capables d'engloutir tout ce qu'on entend y mettre. Quels sont donc ces parallèles à ce point fondamentaux, pour que Scholem en arrive à postuler une origine commune à la Cabale et aux gnoses précitées ? Considérons Les Origines de la Kabbale où ce thème est abondamment développé: si l'on excepte les similitudes que Scholem détruit lui-même après avoir laissé entendre qu'elles pouvaient avoir quelque consistance(9), si l'on excepte encore les pseudo-parallèles gnostiques où Scholem reconnaît lui-même qu'il existe aussi une source juive, laquelle pourrait même être à l'origine du motif ou de la terminologie gnostique en question(10), si l'on excepte enfin les parallèles à rallonges dont l'aire culturelle s'étend de l'Asie à l'Europe et couvre une dizaine de siècles(11), que reste-t-il ? Une série de rapports fondés sur un mot unique ou une seule image ou un détail de composition, qui n'établissent aucun parallèle à proprement parler et sont absolument insignifiants; ajoutons, de plus, que ces éléments proviennent le plus souvent des sources talmudiques et midrachiques(12). Un parallèle, cependant, que Scholem présente comme le plus sérieux, doit retenir notre attention.- le thème de la double Hokhma dans la Cabale et celui de la double Sophia dans la gnose valentinienne. Cette similitude se renouerait encore à deux niveaux différents: la chute de la Sophia inférieure [14] dans la gnose correspondrait à l'idée de l'exil de la Chekhina (identifiée à la Hokhma inférieure), et la comparaison de cette dernière à la fille d'un roi, "prise au côté de la lumière car par ses actes elle illumine le monde" (Bahir, pp. 98-99), se rapprocherait du thème de la "fille de lumière" des Actes de Thomas(13). Signalons d'abord la restriction que Scholem apporte à cette triple concordance: ce qui a été "pris à la lumière" n'a pas été "enlevé à ce qui est en haut pour être envoyé dans le monde en vue de sa rédemption" (Les Origines, etc., p. 108). Ajoutons que l'idée d'exil, en laquelle Scholem veut voir un tertium comparationis, n'a absolument pas le même sens dans la Cabale et dans la gnose valentinienne: jamais, dans les textes hébraïques, la Chekhina n'est dite déchue de la vie divine ni exilée dans la matière. De plus, le sens et la destination de la "fille de lumière" dans les Actes de Thomas, Scholem le reconnaît lui-même, sont loin d'être établis: est-elle seulement la Sophia inférieure ? Ou bien faut-il voir en elle la figure du rédempteur ou de l'âme humaine ? Si bien que cette triple concordance, pour riche qu'elle soit, présente manifestement des différences structurelles décisives, ce qui fait dire à Scholem qu'"il est évident que les matériaux gnostiques ont subi là une judaïsation radicale" (Ibid., p. 108). Quel dommage qu'il n'explique nulle part ce que peut bien être une "judaïsation radicale"! Opération aussi mythique que la gnosticisation du judaïsme ?... La même imprécision caractérise la conception de Georges Vajda qui a si bien résumé les travaux de G. Scholem: "Les textes renfermés par cette compilation (le Bahir) sont sans aucun doute, en grande partie, de provenance orientale, et représentent une sorte de gnosticisme, avec une certaine imprégnation de conceptions théurgiques, le tout adapté vaille que vaille au monothéisme juif et affublé du revêtement littéraire du Midrach, c'est-à-dire l'exégèse et l'homilétique pratiquées par les anciens rabbins" ("De quelques vestiges du néo-platonisme dans la Kabbale archaïque, etc." , in Le Néo-platonisme, p. 332; c'est nous qui soulignons).







ENCORE LE GNOSTICISME:

A PROPOS DE LA CABALE LOURIANIQUE



Une des caractéristiques de la méthode de Scholem est de procéder par évidences. Ainsi, traitant de la doctrine lourianique, il déclare: "Le caractère gnostique de cette psychologie et de cette anthropologie est évident" (Les Grands Courants, p. 297). Plus loin, après avoir décrit le processus de la Brisure des Vases dans le plan théosophique, ainsi que celui du relèvement des étincelles mêlées aux qelipot (les "coquilles"), il nous dit que: "Pour celui qui étudie l'histoire religieuse, l'affinité étroite de ces pensées avec des idées religieuses des manichéens est tout de suite évidente. Nous avons ici certains éléments gnostiques, spécialement la théorie des étincelles ou parcelles de lumière éparpillées; ces éléments étaient absents de la pensée cabalistique ancienne, [15] ou bien n'y jouaient aucun rôle particulier. En même temps, il n'est pas douteux que ce fait est dû non pas aux connexions historiques entre les manichéens et la nouvelle Kabbale de Safed, mais à une profonde ressemblance de point de vue et à une même disposition qui produisit dans son développement des résultats similaires. En dépit de ce fait, ceux qui étudient le gnosticisme peuvent avoir beaucoup à apprendre du système de Luria qui, à mon avis, est un exemple parfait de pensée gnostique, à la fois dans son principe et ses détails." Notons d'abord que, pour appuyer ses dires, Scholem emploie l'argument de la persuasion et non de la preuve, il répète que le gnosticisme de Louria "est évident" , qu'il n'est pas douteux, mais il ne le démontre pas un seul instant. Il se contente soit d'affirmations de cette espèce, soit de purs parallélismes, mais jamais il ne rentre dans le fond de ces pensées. Le seul point qu'il souligne dans ce texte, c'est la théorie des parcelles de lumière éparpillées. A quoi Scholem renvoie-t-il précisément dans le manichéisme, il ne nous le dit à aucun moment. Et à supposer qu'il existerait quelque chose de comparable dans le manichéisme, si l'on n'étudie pas dans leur fondement, c'est-à-dire en tant que pensées, la doctrine lourianique et le gnosticisme manichéen, cet effet de ressemblance n'aurait strictement aucune signification. L'on pourrait tout aussi bien dire que le manichéisme anticipe la pensée lourianique ou que celle-ci reprend l'autre, cela n'aura aucune conséquence, ni pour faire l'histoire des idées, ni pour comprendre l'une et l'autre métaphysique. Tant que l'on n'aura pas démontré - et personne ne l'a fait - la présence d'un dualisme vrai dans la pensée lourianique, avec opposition ou rivalité entre un Dieu du bien et un Dieu du mal, c'est-à-dire une rupture entre le domaine du bien et celui du mal, l'on ne fait que se payer de mots.



En outre, G. Scholem commet une inconséquence en identifiant purement et simplement les qelipot avec des forces du mal de type gnostique. En effet, les qelipot ne sont rien d'autre que les produits dérivés du din, c'est-à-dire de la rigueur divine. R. Hayim Vital distingue même, à l'entrée de son Ets Hayim, la bonne qelipa et la mauvaise. Quoi qu'il en soit à ce propos, les qelipot franchement mauvaises, comme l'ange Samaël et sa comparse Lilith, n'agissent jamais, ni dans la cabale espagnole, ni dans la cabale de Safed, contre Dieu, ou en opposition avec lui, elles demeurent subordonnées à lui et même figurent ses instruments par le biais desquels Il châtie les hommes à cause de leurs iniquités. Sous leur aspect de séducteurs qui entraînent leurs victimes à fauter, ils sont les agents d'épreuves auxquelles Dieu soumet les hommes. La seule façon de justifier l'assertion selon laquelle la théorie lourianique du mal aurait quelque chose à voir avec le gnosticisme consisterait à montrer que la dimension de la rigueur en Dieu lui serait étrangère et proviendrait d'une entité ou d'une force qui n'aurait pas son origine dans une phase quelconque du processus de déploiement de la vie divine. Bien au contraire, G. Scholem lui-même montre, dans la première partie de son ouvrage consacré à Sabbataï Tsevi(14), que dans la théorie lourianique, le din, c'est-à-dire la rigueur [16] (dont le mal est la lointaine résultante), est présent au sein même de En-Sof, de l'Infini, et que le Tsimtsoum, c'est-à-dire l'évacuation d'un point vide de la présence divine pour faire place au monde, est la première phase d'extériorisation de ce din, le début de sa manifestation. Tous les moments du processus de la formation du corps séfirotique, ou Adam Qadmon (homme primordial), y compris ceux où le din (la rigueur) se manifeste, ont pour racine la volonté généreuse de Dieu, bonne au plus haut point, de rendre possible l'existence du monde matériel, appelé assia (fabrication), celui où les êtres atteignent leur achèvement et leur liberté. Rien ne ressemble ici, de près ou de loin, à un dualisme, cela et n'a rien de pareil avec ce qui fait le fond du gnosticisme. Par ailleurs, c'est un lieu commun du gnosticisme de considérer que la matière est mauvaise, mieux qu'elle est le mal ou le fruit du mal, et que de cette façon elle est radicalement séparée du Dieu inconnu, comme son antithèse la plus extrême. Au contraire, Scholem lui-même nous montre que dans le système lourianique "notre propre monde matériel n'est que la dernière et la plus extérieure des enveloppes de ce "vêtement" de la Déité (...). A mesure que le courant d'émanation divin se développe, il devient progressivement moins spirituel et raffiné, plus matériel et grossier" (ST, p. 44). Le monde matériel n'est que "moins spirituel" , ou si l'on veut d'une spiritualité plus trouble, mais en aucune façon il n'est séparé, dans son origine et dans sa fin, de la vie divine. Encore moins est-il l'oeuvre d'un Rival mauvais du Dieu bon ! Pourquoi Scholem n'est-il jamais revenu, pour la modérer, sur son affirmation selon laquelle la cabale lourianique est dans "ses principes" et ses "détails" un gnosticisme ?



Un autre élément qui porte G. Scholem à caractériser comme "gnostique" la pensée d'Isaac Louria est son caractère dramatique: "La forme dans laquelle Louria a présenté ses idées est pleine de réminiscences des mythes gnostiques de l'Antiquité. La ressemblance n'est naturellement pas voulue; le fait est simplement que la structure de ses pensées ressemble de très près à celle des gnostiques. Sa cosmogonie est intensément dramatique..." (Les Grands Courants, etc., p. 277). Or, très curieusement, Scholem, quelques pages plus loin, nous dit du lourianisme authentique: "La description que donnent de cet événement(15) les premiers disciples de Louria ne comporte aucun des caractères de chaos ou d'anarchie. Au contraire, c'est un processus qui suit certaines lois ou règles très définies, décrites avec force détails. Dans la suite, toutefois, l'imagination populaire s'empara du côté pittoresque de l'idée et donna une interprétation littérale, pour ainsi parler, des métaphores comme la "brisure des vases" ou "monde du tohu" ; de cette manière, l'accent se déplaça graduellement de la nature légale du processus sur sa nature catastrophique" (p. 284). Est-ce que G. Scholem parle du lourianisme quand il le met en parallèle avec le gnosticisme ou bien est-ce de l'imagination populaire qui l'a dramatisé ? Par ailleurs, quand il l'appelle un "drame cosmologique" , il qualifie rapidement un processus qui en fait n'est pas d'ordre cosmologique et ne concerne pas la [17] façon dont le monde physique s'est mis en place, mais seulement un processus intérieur à la divinité.



Il arrive, mais rarement, que G. Scholem se risque à préciser une des propositions sans cesse réitérées quant à "l'évidence" du caractère gnostique de la doctrine de R. Isaac Louria. Examinons d'abord l'une d'elles, qui survient à propos d'une peinture du réchimou, "ou résidu de l'En-Sof dans l'espace primordial" (p. 284); "un vestige ou un résidu de la lumière divine (...) qui reste dans l'espace primordial créé par le Tsimtsoum, même après la retraite de la substance de l'En-Sof. [Louria] compare celui-ci au résidu de l'huile ou du vin dans une bouteille dont on a vidé le contenu" (Les Grands Courants, etc., p. 281). En fait, ce réchimou est une trace de En-Sof, une "marque" laissée de lui, qui est encore lui au sein du Hallal, le vide que le Tsimtsoum a suscité, et en laquelle la procession des sefirot, à partir de ce réchimou, va avoir lieu. Nous n'avons pas la prétention ici de tenter un exposé serré de cette question difficile, mais de rendre quelque peu plus accessible au lecteur le champ sur lequel porte le parallèle que croit déceler G. Scholem. Voici le passage incriminé:

Avant d'aller plus loin, il peut être intéressant de remarquer que cette conception du Reshimu a un parallèle étroit dans le système du gnostique Basilide, qui fleurit vers l'an 125 de l'ère vulgaire. Ici, aussi, nous trouvons l'idée d'un espace primordial "béni, que l'on ne peut concevoir, ni caractériser par aucun mot et qui cependant n'est pas entièrement étranger à la qualité de Fils" , ce dernier terme est celui de Basilide pour la désignation la plus sublime des puissances universelles. Au sujet de la relation du Fils au Saint-Esprit, ou Pneuma, voici la position de Basilide : même quand le Pneuma resta vide et éloigné du Fils, cependant, il retint en même temps l'arôme de ce dernier qui pénètre tout, au-dessus et en dessous, et va jusqu'à la matière sans forme et notre propre état d'existence. Basilide emploie aussi la comparaison d'un vase dans lequel le parfum délicat d'un onguent, d'une odeur très agréable, demeure, bien que le vase ait été vidé avec le plus grand soin possible (Les Grands Courants, etc., p. 282).

Remarquons d'abord que ce prétendu "parallèle très étroit" avec le réchimou ne repose sur aucune analyse interne et de la pensée du philosophe gnostique Basilide et de la pensée de R.I. Louria. Il est de pure forme: l'espace primordial "ici aussi" est "béni" , on ne peut le concevoir, "il n'est pas entièrement étranger à la qualité de Fils" . Et Scholem nous dit que ce "Fils" est la "désignation la plus sublime des puissances universelles" - entendez que ce Fils dont "l'espace primordial" n'est pas entièrement étranger est, dans l'autre axe du parallèle, le En-Sof par rapport auquel le réchimou est le résidu, ne lui étant pas "entièrement étranger" - lui aussi!

La deuxième partie du parallèle est aussi purement formelle: la comparaison du résidu de vin dans la bouteille (axe lourianique du parallèle) et de l'odeur du Fils qui reste attaché au Pneuma (axe gnostique) est la seule chose que G. Scholem met en avant pour donner [18] poids ici à l'appellation de "gnostique" qu'il fait porter au lourianisme. Non seulement l'indigence de l'argumentation est patente, mais elle est, même dans son "plat" formalisme, forcée: un résidu de vin n'est pas une odeur ! Un résidu suppose toujours la présence de la réalité même, bien que réduite, tandis que l'odeur d'une chose est son évocation et non cette chose même, qui reste substantiellement séparée de ce sur quoi son parfum s'attache.

Qui plus est, un examen attentif du texte de Basilide dans une version complète nous a permis de constater avec surprise que G. Scholem a tronqué la citation qu'il en donne, non pas seulement en vue de l'abréger pour la faire entrer dans les limites de son exposé, mais pour qu'elle se prête au parallèle - auquel il tient. En effet, tel que Scholem restitue le texte gnostique, il ressort que l'espace primordial "béni (etc.) n'est pas entièrement étranger à la qualité de Fils". Or, premièrement, il n'est pas du tout question d'espace primordial dans le texte basilidien (Scholem a certes la prudence de ne pas inclure ce terme à l'intérieur des guillemets de la citation, mais la syntaxe oblige à faire de cet "espace primordial" le sujet de "béni" , et donc de le considérer comme partie prenante de la citation). Deuxièmement, ce n'est pas cet "espace primordial" (ou le "lieu" dont parle en fait Basilide, on le verra) "qui n'est pas entièrement étranger à la qualité, de Fils" (comme l'affirme la citation de Scholem), mais c'est le Pneuma! Pour y voir un peu plus clair, examinons un instant le texte et le contexte du mythe basilidien de la création, tel que le rapporte dans son intégralité H. Leisegang dans son livre, La Gnose (pp. 152 à 153 en ce qui concerne notre propos). Il y est question du "Dieu qui n'existe pas" , c'est-à-dire du Dieu qui est au-delà des antinomies de l'être et du non-être, qui dépose le germe du cosmos (on ne sait pas d'ailleurs où). Or cette semence contient une "Filialité tripartite et toute semblable au Dieu qui n'est pas" . "De cette Filialité tripartite une partie était subtile, une autre opaque, la troisième avait besoin de purification." La partie subtile remonte précipitamment vers le Dieu qui n'est pas et reste avec lui. La Filialité qui a besoin d'une purification reste en attente "dans le grand monceau de l'universelle semence" . Mais c'est la deuxième Filialité qui va nous intéresser, car c'est d'elle qu'il s'agit dans la citation que donne G. Scholem. Cette Filialité opaque ne peut s'élever toute seule comme la première pour rejoindre son géniteur au plus haut. Alors "elle se munit d'une aile" (comme l'âme fait dans le Phèdre de Platon) qui lui permet de s'élever, et cette aile n'est rien d'autre que le "saint Pneuma" - c'est-à-dire le Saint-Esprit de la trinité chrétienne, tel qu'il est interprété dans le système de Basilide : "Ainsi la Filialité fut portée en haut par le Pneuma, comme par son aile l'oiseau; et lorsqu'elle fut arrivée auprès de la Filialité subtile et du Dieu qui n'est pas, lui qui est formé du non-existant, la Filialité supérieure ne put garder le Pneuma auprès d'elle; car il n'était pas de la même substance ni de la même nature que la Filialité. De même, en effet, que l'air pur et sec est contre nature et mortel aux poissons, de même aussi était contre nature pour le saint Pneuma le lieu de la Divinité qui n'est pas et de sa Filialité, bien plus ineffable que l'ineffable et supérieur à tous les noms. La Filialité le laissa donc dans le voisinage [19] de ce lieu(16) bienheureux, inconcevable et inexprimable par la parole; cependant il [c'est-à-dire, bien sûr, le Pneuma(17)] ne demeura pas tout à fait seul et séparé de la Filialité. Quand on a mis dans un vase un parfum très odoriférant, on a beau le vider jusqu'au fond, il n'y subsiste pas moins une odeur de ce parfum même lorsqu'il ne reste plus de parfum(18); il en va de même pour le saint Pneuma, qui, une fois privé et séparé de la Filialité, garde en lui, comme le parfum de son odeur, la vertu de la Filialité." Ce Pneuma jouera le rôle de médiation entre le cosmos et le monde hypercosmique. La citation de Scholem, si elle est rétablie correctement dit que le lieu du "Dieu qui n'est pas" est ineffable et que le Pneuma qui a servi d'aile à la deuxième Filialité pour lui permettre d'accéder à ce lieu ne peut rester avec cette Filialité mais ne demeure pas complètement éloigné d'elle et se meut dans son voisinage, en gardant sur lui "comme son odeur" . Celle-ci est apportée par le Pneuma ici-bas "jusque dans les régions de la matière sans formes où nous vivons" . Ce Pneuma est une espèce d'ascenseur - qu'on nous pardonne l'image qui monte et descend du cosmos aux régions supérieures où sont les Filialités. Identifier, comme fait Scholem, le "lieu" du Dieu qui n'est pas avec l'espace primordial dans lequel se trouve le réchimou, résidu du En-Sof, n'a simplement aucun sens et aucune pertinence. De plus, mettre en parallèle le Pneuma (le Saint-Esprit) avec ce même réchimou est une prouesse dans l'ordre du parallélisme. Le mécanisme mental qui a amené G. Scholem à trouver à la conception du réchimou "un parallèle étroit" dans le système de Basilide repose sur le fait qu'il a cru apercevoir un rapport analogique entre le lieu/l'espace primordial et l'odeur/le résidu du vin. Pas une seconde il ne s'inquiète du contenu des idées. Et, par-dessus tout, il tronque le texte qu'il cite en faisant comme s'il était question dans la pensée de Basilide d'un espace primordial (alors qu'il n'est question que du lieu ineffable du Dieu qui n'est pas, et qui se confond avec lui) et comme si c'était ce lieu "qui n'est pas entièrement étranger à la qualité de Fils", alors que le sujet est ici le Pneuma. Mais le texte censé justifier le parallèle se poursuit, Scholem ajoute: "En outre, nous avons déjà un premier prototype du Tsimtsoum dans l'ouvrage gnostique Le Livre du grand Logos (... ). On nous dit là que tous les espaces primordiaux et leurs "paternités" sont venus à l'être à cause de la "petite idée" dont Dieu a laissé l'espace derrière lui comme le monde étincelant de la lumière, quand Il s'est retiré en lui-même. Cette retraite qui précède l'émanation y est soulignée à plusieurs reprises." Nous n'allons pas recommencer une analyse fastidieuse en partant du texte allégué, bornons-nous ici à remarquer qu'avancer une formule énonçant que Dieu se retire en lui-même ne suffit pas pour établir un parallèle, dans la mesure où on en rencontre de semblables exprimées un peu partout dans la littérature religieuse, mystique ou métaphysique. Par exemple dans les Oracles chaldaïques il est dit du premier Dieu qu'il "s'est retiré en lui-même(19)" .

Cette page (p. 282) est la seule où G. Scholem s'est aventuré à citer nommément un ouvrage du gnosticisme; partout ailleurs, il se contente de vagues allusions à la mythologie gnostique, il empile les noms propres, comme lorsqu'il dit des descriptions de Louria: "superficiellement [20] du moins, elles ressemblent aux mythes par lesquels Basilide, Valentin ou Mani ont essayé de décrire le drame cosmique, avec cette différence qu'elles sont plus compliquées que ces systèmes gnostiques" (p. 287).



Le Dieu caché

Nous voudrions faire une remarque plus générale sur un point capital qui a été sans doute le moteur des parallélismes scholémiens entre la cabale, prise dans son ensemble, et le gnosticisme. Selon G. Scholem, il y a, pour la cabale, un Dieu caché, le En-Sof, et sa manifestation dans un plérôme, les dix sefirot. Cette opposition très tranchée a conduit G. Scholem a regarder le En-Sof comme le Deus absconditus du gnosticisme. Scholem affuble En-Sof des appellations suivantes: "Être infini" (P. 278), "essence de l'être divin" (p. 280), "Dieu" (tout court) (p. 285), "L'En-Sof caché..." (p. 287). Or cette façon de parler - même si elle n'est qu'une façon de parler - nous semble préjudiciable à une compréhension rigoureuse de la cabale. En fait, c'est cette "manière de s'exprimer" qui a conduit, sans qu'ils y prennent garde, Scholem et ses disciples à identifier ou mettre en parallèle En-Sof avec le Théos agnostos, le Dieu inconnu de la Gnose, et à formuler ce faisant des propositions contradictoires in adjecto. Prenons en guise d'illustration une proposition de G. Scholem extraite de son chapitre sur la doctrine théosophique du Zohar (p. 225 des Grands Courants):

Le Dieu caché, En-Sof, se manifeste lui-même au kabbaliste sous dix aspects différents qui comprennent une variété infinie d'ombres et de degrés.



La contradiction verbale est claire : si En-Sof est un "Dieu caché" , il ne peut en aucune façon se manifester sous dix aspects, dans ce cas il ne serait pas un Dieu caché, mais un Dieu qui se dévoile. En paraissant contester des mots, nous sommes en train d'aborder le fond le plus original de la cabale, ce qui fait d'elle une authentique pensée, et pas une mytho-théologie ou une mystique religieuse: En-Sof n'est pas une désignation de Dieu, pas plus "caché" que "dévoilé" ! On ne trouve pas un seul texte de la cabale qui dise de En-Sof "Dieu caché" ou le "Dieu En-Sof" , ou de semblables expressions. Si les cabalistes ont toujours très soigneusement évité de parler ainsi de En-Sof, c'est pour une raison très profonde, dont Scholem et ses disciples font fi avec insouciance en forgeant des expressions telles que "Dieu infini" , "Dieu caché" , "essence infinie de Dieu" , etc. Cette façon légère de procéder se révèle dans une lumière nue au détour d'une analyse qui entend répondre à la question: "Où est Dieu dans tout ce drame" , question posée à propos de la doctrine lourianique du Tsimtsoum et de la Brisure des Vases. G. Scholem commence à y répondre de la manière suivante:

Pour Cordovero, seul l'En-Sof était le Dieu réel dont parle la religion (Les Grands Courants, p. 289). [21]

Or en ouvrant l'oeuvre majeure de R. Moché Cordovero, le Pardès Rimonim (Jardin des grenades), au chapitre sur la Kavana (intention lors des prières), chaar 32, paragraphe 2 (p. 78 b), on peut lire les lignes suivantes: "C'est ainsi que l'homme ne doit pas penser à lui (à En-Sof) en disant qu'il est appelé Divin ou Divinité ou Dieu, ou tout autre nom et surnom, car ces noms se portent sur les sefirot." Bien sûr, quelques lignes plus haut, Cordovero écrit: "Car le En-Sof, roi des rois, béni soit-Il, aucun nom et aucun mot ne le définit, loin de nous !" Il en résulte que le mot Dieu appliqué à En-Sof est encore une façon de le délimiter, ce que Cordovero rejette sans appel. Dans ce cas, dire, comme Scholem, que pour ce cabaliste "Seul l'En-Sof était le Dieu réel" , est un abus de langage. En fait, la question que pose Scholem, "Où est Dieu ?" , dans le système lourianique ou dans celui de Cordovero, est une question extérieure à la problématique des cabalistes, qui ne se confond pas avec celle de la théologie. Et quand il affirme que "L'En-Sof a peu d'intérêt religieux pour Louria" (p. 289), l'on aimerait comprendre ce qu'il désigne par "intérêt religieux" ! Plus profondément, cette façon d'appréhender la cabale en plaquant sur ses développements les grilles d'interprétation d'usage dans l'histoire des religions, sans s'enquérir de leur adéquation avec leur objet, ne peut mener qu'à des impasses et faire manquer la cible. Ainsi de toutes les analyses de Scholem, que Henri Corbin a d'ailleurs reprises dans un important article consacré à la gnose des religions monothéistes (Cahiers de l'université Saint-Jean de Jérusalem no. 4), qui portent sur le rapport entre En-Sof et les sefirot. L'orientation idéologique, que l'on pourrait surnommer l'a priori comparatiste, qui régit son discours, conduit Scholem a reconnaître en En-Sof le Dieu inconnu de la Gnose et dans les sefirot le plérôme, ou plénitude formée des différents éons. Une fois que le parallélisme a joué, les interrogatoires auxquels les textes de la cabale sont soumis sont calqués sur les questions posées aux systèmes gnostiques, ce qui en droit ne devrait être possible qu'après un approfondissement de la pensée des cabalistes en tant que telle. Or c'est le contraire qui est fait - d'abord l'on décode les doctrines cabalistiques à partir de leur ressemblance supposée (ou affirmée comme des certitudes, des évidences indémontrables), puis, une fois réduite à un cadre connu de l'histoire des religions, la doctrine cabalistique est scrutée en tant qu'elle est gnostique ou théologique ou néo-platonicienne. Que l'on ne prétende pas alors avoir obtenu d'elle des réponses de type gnostique ou théiste ou panthéiste, car on aura découvert dans la cabale ce que l'on y avait mis. Et pas davantage. Si les "évidences" de Scholem, partagées par ses épigones sans discussion (il est vrai que l'on ne discute pas les évidences), concernant le caractère gnostique "dans ses principes comme ses détails" du lourianisme, et plus généralement de la cabale, n'ont jamais été approuvées ou reconnues par des chercheurs qualifiés en matière de gnosticisme, que, sur ce point, aucune confirmation issue des spécialistes de la Gnose n'est venue soutenir "l'évidence(20)", et cela depuis cinquante ans, c'est que ces "évidences" sont un mirage. [22]





Conclusions provisoires

Les parallèles formels avec la Gnose (ou les quelques notations sur le néo-platonisme) permettent en fait à Scholem de prendre ses distances vis-à-vis du propre de la pensée juive, de donner, à peu de frais, une auréole d'universalité à ses travaux, en définitive d'escamoter le contenu noétique de la cabale. Autant Scholem voit loin quand il traite de la cabale en elle-même, autant il s'enfonce dans des voies sans issue quand il se livre aux parallélismes qui lui sont si chers. Il évite presque systématiquement d'établir des correspondances entre la cabale et le Midrach, la Aggada ou la Halakha de la tradition rabbinique, alors que ,ces correspondances iraient beaucoup plus de soi et éclaireraient en profondeur les enjeux et les idées de l'ésotérisme juif.







A PROPOS DU NEO-PLATONISME



De l'insuffisance de la thèse gnostique, Scholem se rend manifestement compte, puisqu'il est contraint d'exercer sa "parallélomanie" dans une autre direction: le néo-platonisme. Cette définition seconde de la Cabale, par le biais de la tradition platonicienne, pose d'autres problèmes. Qu'il y ait des affinités entre ces deux formes de pensée nous semble indubitable. En revanche, la démarche de Scholem, les discours et les raisonnements qu'il tient nous paraissent totalement aberrants. A quel type d'interrogation se livre-t-il, en effet, dans ce domaine ? L'écrit le plus révélateur à cet égard est son article sur La lutte entre le Dieu de Plotin et le Dieu de la Bible(21). La thèse de Scholem est simple, il s'agit de montrer comment la Cabale, comme d'autres formes de pensée avant ou en même temps qu'elle, a pu réaliser la synthèse du Dieu philosophique "impersonnel" du néo-platonisme et du Dieu biblique "personnel" de la philosophie grecque et de la Bible. La réponse vient naturellement: le Dieu de Plotin est devenu le En-Sof (l'infini) des cabalistes, Dieu caché et transcendant, alors que le Dieu biblique a pris la forme des sefirot, aspect dévoilé du premier. Cette interprétation aurait l'avantage d'une impressionnante simplicité, si elle n'était absolument erronée dans ses prémisses comme dans ses conclusions.

Voyons d'abord la méthode. Pour quelle raison la tradition juive serait-elle soudain affectée par une problématique néo-platonicienne ? Scholem n'en dit mot; il se contente d'écrire: "La gnose (juive) est entrée en contact avec le néo-platonisme médiéval en Provence et en Catalogne. Ce fait est attesté par de nombreux documents que nous possédons et dans lesquels le langage des gnostiques côtoie une terminologie distincte. A l'évidence, cette rencontre fut très fructueuse et stimula les esprits" (p. 24). Mais suffit-il que deux cultures se côtoient pour que les problèmes de l'une deviennent ceux de l'autre ? Par quel miracle le "Dieu impersonnel" de Plotin aurait-il fait une entrée fracassante dans l'histoire du judaïsme ? Scholem a une réponse toute [23] prête : "Il se pourrait que les kabbalistes aient utilisé des traductions ou des paraphrases hébraïques de quelques traités néo-platoniciens dont nous avons perdu la trace" (p. 26). On se demande parfois si Scholem fait l'histoire des mots ou celle des idées. Des mots seuls peuvent-ils poser à une tradition et à une culture des problèmes aussi fondamentaux ? En tout cas, il y a là une bien étrange conception de la pensée. L'histoire d'une culture ne serait-elle que la recension des "influences" étrangères subies ? Scholem veut voir dans la formule des cabalistes, selon laquelle le En-Sof n'est mentionné nulle part dans la tradition rabbinique(22), l'aveu de son origine étrangère; comme si ceux-ci n'avaient fait qu'inaugurer la démarche scholémienne qui consiste à "plaquer" sur une tradition une thématique qui n'est pas la sienne. Leur intention explicite est pourtant toute différente ; si le En-Sof n'apparaît pas dans les textes hébraïques antérieurs à la Cabale, c'est parce qu'"il n'est pas une lettre, pas un nom, pas une écriture et pas une parole qui puisse nous le limiter(23)" ; car, comment "ce qui n'a pas de fin pourrait-il être inséré dans la parole et dans la narration(24)?" . Il ne s'agit donc nullement, de la part des cabalistes, d'un aveu d'hétérodoxie, mais bien de l'affirmation de la dimension propre au En-Sof au cur de la tradition rabbinique: la dimension silencieuse. Ce qu'ils réfèrent au psaume (65 :2) : "Pour Toi le silence est louange(25)" , déjà compris par le Talmud (Meg. 18a) dans le sens d'une impuissance à exposer la totalité des actes de la divinité. On lit ainsi, dans les Pirqé de Rabbi Eliézer (chap. 3): "L'homme serait-il en mesure de raconter les hauts faits du Saint, béni soit-Il, ou de faire entendre toute Sa louange? Les anges du Service, eux-mêmes, ne sauraient faire que le récit d'une faible partie de Sa puissance !"



Si, maintenant, l'on se tourne vers la conception plotinienne de l'infini, on s'aperçoit que les choses ne sont pas aussi simples que Scholem veut bien le dire. Pour Plotin, il y a deux infinis : l'un du côté de Dieu, qui désigne une infinité de puissance; l'autre du côté de la matière et du non-être, qui désigne la multiplicité et l'indétermination de ce qui ne peut être défini. Or, lorsque Scholem qualifie le Dieu de Plotin de "Dieu impersonnel" , ne confond-il pas, purement et simplement, les deux infinis, alors qu'ils sont aux antipodes l'un de l'autre dans la philosophie plotinienne ? Car le Dieu plotinien, ou l'Un ou le Bien, n'est pas l'infini, au sens où il n'est pas identique à l'infini, mais il a une puissance infinie: "Son infinité consiste (...) dans l'absence de bornes à sa puissance" (Enn., VI, 9, 6, p. 176(26)); "Il n'est pas fini ; par quoi serait-il limité ? Il n'est pas infini, du moins en grandeur: où faudrait-il qu'il avançât ? Qu'en résulterait-il pour lui, qui n'a besoin de rien ? Mais sa puissance possède l'infinité : car il ne saurait jamais être mis en défaut, puisque les êtres sans défaut existent grâce à lui. Il possède l'infinité parce qu'il n'est pas multiple, et parce qu'il n'y a rien pour le limiter" (Enn., V, 5, 10-11, p. 103). L'infinité de Dieu ou de l'Un consiste dans la surabondance de sa nature, dans l'excès de sa plénitude. L'idée d'"impersonnalité" a-t-elle quelque pertinence ici ? En quoi l'infinie richesse de l'Un serait-elle plus "impersonnelle" que le [24] Dieu biblique ? Serait-ce parce qu'elle paraît se communiquer mécaniquement, dans une froide indifférence ? Quand la tradition rabbinique (Talmud, Midrach) et les néo-platoniciens veulent caractériser, les uns la création, les autres la procession, ils usent tous deux des mêmes termes: "générosité" , "bonté" . Le monde est bâti sur la générosité, disent les rabbins (PA I:2; Gen. R. 9:2; Tos. Sot. 4:1 ; et passim). Définissant la nature de la procession, J. Trouillard, spécialiste du néoplatonisme, explique de son côté qu'il ne s'agit ni d'une nécessité logique ou dialectique, ni d'une nécessité d'indigence, mais bien d'une nécessité de surabondance ou de générosité. Citant Proclos, il écrit: "Toute production s'accomplit par perfection et surabondance de puissance(27)." En réponse à ceux qui, reconnaissant cette générosité du Dieu plotinien, ne veulent voir en elle, malgré tout, qu'une générosité abstraite, une "bonté sans amour" , J. Trouillard écrit : "On pourrait tout aussi bien dire que ce Dieu est une bonté sans bonté, à condition d'écarter de ce "sans bonté" tout caractère privatif et de laisser entendre que ce qui est cause de toute bonté n'est pas moins que la bonté et l'amour. La même erreur est commise par ceux qui, ne voyant pas affirmée par les néo-platoniciens la personnalité divine, concluent que le Bien est impersonnel, au lieu de le dire personnalisant. C'est méconnaître les règles de la théologie négative(28)."

N'est-ce donc pas, plutôt, du côté du non-être qu'il faut chercher l'indifférente neutralité du "Dieu impersonnel" auquel Scholem tient tant ? Plotin dit à ce sujet - "L'infini n'est pas un accident de la matière, il est la matière elle-même" (Enn., II, 4, 15 ; p. 63). Or qu'est-ce que la matière selon Plotin? Une chose "obscure" (Ibid., VI, 3, 7 ; p. 132), "sans qualités" (Ibid., 11, 4, 8 p. 61), "une ombre" (Ibid., 111, 6, 18 ; p. 120), un "non-être" (Ibid., 7 p. 105) ; elle est le substrat indéfini, informe et incorporel des êtres. Bref, la matière ou non-être, c'est l'infinie neutralité, l'indéfinition radicale. C'est surtout, aux yeux de Plotin, le véritable infini: "Il y a deux infinis. Et comment les distinguer ? Comme le modèle et son image. L'infini d'ici-bas est-il donc moins infini ? Il l'est davantage; plus une image est éloignée de l'être réel, plus il y a en elle d'infini. Il y a plus d'infini dans ce qui est moins limité; et ce qui est moins près du Bien est plus près du Mal. C'est plutôt l'infinité de là-bas qui est infini à titre d'image ; c'est beaucoup moins l'infinité d'ici" (Ibid., II, 4, 15 ; p. 70).



En-Sof et le Dieu de la Bible

D'autre part, dire du Dieu de la Bible qu'il est personnel, c'est aller vite en besogne. D'abord la Bible n'est pas composée que d'un seul livre et diverses visions et appréhensions du divin s'y côtoient. Il y a Dieu tel qu'il apparaît dans Job, l'Ecclésiaste, dans les Prophètes, etc. Si la Torah (ou Pentateuque) le dépeint souvent avec des traits personnels, il lui arrive aussi de dire que nul ne peut le voir et vivre et que Moïse même n'eut pas accès directement à sa gloire. Le débat entre un Dieu personnel ou impersonnel est un débat interne au texte biblique, il a fait couler tellement d'encre parmi les exégètes théologiens [25] qu'il aurait fallu en tenir compte. Par ailleurs, les termes de la question, que pose G. Scholem sont totalement extérieurs à la problématique du Zohar ou des cabalistes en général. Il n'existe pas d'expression, dans la langue rabbinique (qui est celle des cabalistes), qui permettrait de dire: "Dieu personnel" ou "impersonnel". Ce sont là des notions de la théologie chrétienne qu'on ne peut importer dans les questions internes à la pensée d'Israël sans de graves distorsions et inconséquences. Mais G. Scholem n'y a pas pris garde. Sur le fond, il existe plusieurs indices qui permettent d'entendre En-Sof de façon beaucoup moins, abstraite, ou impersonnelle si l'on veut, qu'il ne semblerait à première vue. D'abord des écrits cabalistiques retrouvés par Moché Idel, professeur de cabale à l'Université hébraïque de Jérusalem(29), montrent que En-Sof aussi a été dépeint sous des traits anthropomorphiques, et que, par conséquent, il n'est pas cette pure essence cachée, cette abstraction (le Deus absconditus) ineffable dont parle G. Scholem. Mais sans même faire intervenir ces récentes découvertes - qui ont certes un intérêt capital - il suffit de prendre au sérieux les affirmations répétées du Zohar selon lesquelles les sefirot et En-Sof sont un, pour reconsidérer les conclusions de Scholem. En effet, que les sefirot soient la substance même de En-Sof (Zohar) ou qu'elles soient remplies par le En-Sof comme des réceptacles (Tiqounné ha Zohar), elles ne sont pas extérieures à En-Sof, celui-ci est en elles ou est elles, et il n'y a pas lieu d'en faire des choses séparées comme fait hâtivement Scholem. Bien sûr, En-Sof est plus qu'elles, même s'il est aussi elles. Mais jamais elles ne sont en dehors de lui et s'activent sans lui. Ce plus, cet excès de En-Sof sur les sefirot, c'est ce qui permet aux sefirot d'être sans cesse alimentées par une source de vie infinie. En somme, ce plus même n'est pas extérieur aux sefirot. Et, si l'on veut désigner la divinité dans son ineffabilité, il n'est pas besoin de remonter à En-Sof, que l'on se tourne vers la première sefira, la Couronne, et l'on y décèlera toute l'impersonnalité, toute l'énigmaticité que l'on se mettra en peine de chercher. N'est-elle pas appelée din, le néant ? C'est au sein même des sefirot que l'indicible se trouve. Quant à ce qu'est En-Sof, les cabalistes eux-mêmes ne le savent pas, et nous n'aurons pas l'ambition de prétendre le savoir mieux gueux. Et c'est prétendre le savoir que de le définir comme Théos agnostos ou "Dieu caché" , ou comme l'Un-Bien des néo-platoniciens.



Sur les sefirot en elles-mêmes, voici ce que dit Scholem: "Il faut avoir présent à l'esprit que les Sephiroth(30) ne sont pas des sphères secondaires et intermédiaires qui s'interposent entre Dieu et l'univers. L'auteur [du Zohar] ne les considère pas comme quelque chose comparable, par exemple, "'aux étapes intermédiaires' des néo-platoniciens qui se situent entre l'Un Absolu et le monde des sens". Dans le système néo-platonicien, ces émanations sont "extérieures" à l'Un, s'il est possible d'employer cette expression (...) le Zohar se rapporte fréquemment aux Sephiroth comme à des étages (...) mais [elles sont] comme des phases variées dans la manifestation de la Divinité qui proviennent l'une de l'autre et se succèdent" (p. 225, Les Grands Courants). [26] Ici aussi, le comparatisme bute sur ses propres limites. Si les sefirot ne sont pas comparables aux émanations du néo-platonisme, pourquoi les comparer avec elles ? De plus, contrairement aux dires de Scholem (et sa prudence verbale n'atténue ses dires que verbalement), les émanations ne sont pas "extérieures" à l'Un mais en relation continue avec lui et se convertissent vers lui (c'est-à-dire reviennent à lui). Ce que disent Plotin: "Rien n'est séparé ni coupé de ce qui le précède" (Ennéades VI 2-1, 21-22) et Proclos : "Car le divin n'est absent de rien, mais il est également présent à tous les êtres... En procédant, ceux-ci ne s'éloignent pas des dieux mais demeurent enracinés" (In Timée, I, 209, 14, 29). Ce que dit Scholem des sefirot, à savoir qu'elles sont des "phases variées dans la manifestation de la Divinité qui proviennent l'une de l'autre et se succèdent" , peut parfaitement être dit des processions néo-platoniciennes(31). En fait, l'on peut tout dire et son contraire tant que l'on en reste au niveau des parallèles et tant que l'on s'en tient à une connaissance vague et générale. Nous n'oserions pas affirmer le caractère néo-platonicien des sefirot parce qu'elles nous paraissent ressembler aux processions, ni, pourquoi pas, le caractère cabalistique des processions parce qu'elles ressemblent aux sefirot ! Comparaison n'est pas raison.







CONCLUSION GENERALE



Si nous récusons le comparatisme, c'est qu'il témoigne d'une fuite en avant: au lieu de faire l'effort de penser une tradition, l'on court vers une autre en espérant y trouver les définitions qui manquent. Ainsi l'on peut comprendre le judaïsme par le christianisme et inversement, la Gnose par la Cabale et inversement, un détail chez les uns par une ressemblance de détail chez les autres. Ce va-et-vient est épuisant, trop rarement stimulant, à moins d'entrer beaucoup plus profondément dans les doctrines sans se hâter de dresser l'inventaire de leurs similitudes.

Dans le travail qui précède, nous n'avons abordé à aucun moment les questions de fond sur les relations entre gnosticisme, platonisme et Cabale. Pour ce faire, il aurait fallu explorer l'ensemble des écrits hébreux, et interroger autant le Talmud que le Midrach ou que les écrits cabalistiques. Cet examen approfondi reste très souhaitable. Mais ce que nous avons essayé de montrer, c'est que les conclusions de G. Scholem sont étayées par des supports trop inconsistants et si aisément ébranlées que l'on ne peut rien bâtir à partir d'eux. Encore moins la pratique courante des auteurs qui se réclament des conclusions de Scholem sur les points ici traités, qui appellent sans réserve dans leurs écrits, la littérature des Hekhalot ou la Cabale, "gnosticisme juif" ou "gnose juive" , qui font des sefirot les synonymes des "éons" et du En-Sof un équivalent du "Dieu caché" , a-t-elle de légitimité. C'est toute une institution académique qui s'est mise en place. A moins d'omissions involontaires de notre part, les auteurs francophones qui écrivent [27] des thèses et divers articles universitaires en se réclamant d'une incongrue orthodoxie scholémienne n'hésitent pas à faire sans sourciller un usage pléthorique du verbiage cabalistico-gnostique ou pseudo-néoplatonicien mis en vigueur par Scholem, alors que déjà en Europe, aux U.S.A. et en Israël beaucoup de chercheurs moins timorés le remettent en question et le critiquent avec souvent beaucoup d'âpreté.

Un consensus semble, pour l'instant, faire loi au sein des études juives qui portent sur la Cabale où le principe d'autorité paraît bien plus puissant que la quête du vrai(32). On conçoit en effet qu'il est plus "rassurant" de s'appuyer sur un édifice, même branlant, que de creuser de nouvelles fondations et, pour susciter de nouvelles procédures, nous avons dû secouer, par la critique, les colonnes vacillantes des "évidences" posées par Scholem comme vérités éternelles. Mais nos remarques portent seulement sur deux points récurrents dans le discours de Scholem, l'idée que la mystique juive est un gnosticisme et l'idée que ce gnosticisme y est teinté de néo-platonisme. Pourquoi G. Scholem tenait-il avec une constante persévérance à ces deux affirmations, dont nous avons critiqué le bien-fondé, reste une question à laquelle nous n'avons que des réponses partielles et insatisfaisantes. Et la raison pour laquelle les spécialistes du judaïsme dans le monde universitaire ont pendant si longtemps entouré ces affirmations d'un halo de sainteté révérencieuse nous est encore plus mystérieuse. Mais il leur revient de s'expliquer à ce sujet.

Il reste que la question du rapport entre la mystique juive et le platonisme sous ses diverses formes, dont le gnosticisme fait peut-être partie en tant que pensée chrétienne hellénistique, mérite d'être traitée de digne façon. Tout ou presque est encore à découvrir dans cet univers qu'est la Cabale et nous ne serions pas surpris si des découvertes susceptibles de bouleverser les idées reçues dans ce domaine venaient à voir le jour d'ici à quelques années...

L'oeuvre de G. Scholem, dans l'ensemble, demeure, à juste titre, une pièce maîtresse de la recherche dans toutes les strates de la mystique juive, et nos critiques n'altèrent en rien sa valeur: plus elle sera soumise à un examen objectif et rigoureux, plus ses points faibles seront mis en relief, plus ses points forts transparaîtront. La leçon que nous tirons des pages qui précèdent est qu'en matière de pensée juive la devise ou le maître mot est "prudence". [28]



NOTES [29]

1. Cf. P.S. Alexander, "Comparing Merkavah Mysticism and Gnosticism: An Essay in Method", Journal of Jewish Studies, Spring 1984, XXXV, n, 1, pp. 1-18; P. Schäfer, "New Testament and Hekhalot literature: The Journey into Heaven in Paul and in Merkavah Mysticism", ibid., pp. 19-35; I. Gruenwald, Apocalyptic and Merkavah Mysticism, Leïden/Köln, 1980.

2. L'oeuvre de G. Scholem est immense; on retiendra comme les plus importants: Les Grands Courants de la mystique juive (New York, 1946), Paris, 1973; Les Origines de la Kabbale (Jérusalem, 1948), Paris, 1966; Jewish Gnosticism, Merkabah Mysticism and Talmudic Tradition, New York, 1965. Voir aussi le recueil d'articles récemment traduits en français sous le titre: Le Nom et les Symboles de Dieu dans la mystique juive, Les Editions du Cerf, 1983.

3. Cf., par exemple, I. Gruenwald, "Jewish Merkavah Mysticism and Gnosticism" , in Studies in Jewish Mysticism, Cambridge, Mass., 1982, pp. 41-51.

4. Cf. Jewish Gnosticism, etc., p. 1.

5. Cf. Apocalyptic, etc., pp. 110-111.

6. Voir l'article de P. Schäfer susmentionné, qui montre que le parallèle établi par Scholem (Jewish Gnosticism, etc., pp. 14-19) entre les quatre personnages qui entrèrent dans le Pardès (Talmud, traité Haguiga 14-15b) et l'ascension de Paul au paradis (2 Cor. 12-14) n'est fondé que sur une comparaison verbale arbitraire, qui identifie abusivement le Pardès talmudique au paradis chrétien. Scholem voulait voir dans ce parallèle la preuve de l'existence d'un fonds commun à l'apocalyptique chrétienne et à la mystique juive, et P. Schäfer fait justement remarquer qu'une telle corrélation est possible, mais qu'elle ne saurait être établie à coups de parallèles forcés, ni même sur la base d'une similitude réelle unique.

7. Cf. Les Origines, etc., p. 58.

8. Voir, par exemple, Zohar I sur Vayéra (97a); tome 2, p. 41 sq., dans la traduction française parue aux éditions Verdier.

9. Voir, par exemple, p. 155, p. 183, p. 201 et passim. Il s'agit, en général, de la question du masculin et du féminin.

10. Cf. pp. 41-42 sur le scellement de la création; pp. 83-84 sur la lumière cachée et l'arbre de vie; pp. 166-167 sur la colonne reliant ciel et terre; pp. 311-313 sur Samaël ; p. 337 sur le pargod ; p. 476 sur les 18 000 mondes ; etc.

11. Par exemple, l'idée de périodicité cosmique dont Scholem rappelle la conformité avec l'hindouisme aussi bien que la gnose ismaélienne (pp. 489-490), ainsi que le thème de la migration des âmes dont l'aire culturelle est telle que Scholem, sagement, préfère laisser la question d'un véritable parallèle en suspens (pp. 201-207).

12. La présence du mot "trésor" dans le Bahir, par exemple, fait écrire à Scholem: "Les textes coptes de la gnose de basse époque, du genre de la Pistis Sophia, aussi bien que la littérature mandéenne, surabondent en mentions relatives à de pareils trésors" (p. 93), mais c'est le cas aussi de la aggada talmudique (Hag. 12b); de même pour l'image du palmier (p. 186) ou pour la présentation d'un écrit sous forme de catalogue (p. 327).

13. Cf. Les Origines, etc., pp. 102-108.

14. Sabbatdi Tsevi, p. 46 : "Tout le processus du Tsimtsoum et de l'émanation a été mis en mouvement afin d'éliminer, comme une sorte de déchet, les forces du [29] din de l'essence de la Divinité." Voir aussi Les Grands Courants, etc., p. 281: "En dernier ressort, par conséquent, la racine de tout mal est déjà latente dans l'acte du Tsimtsoum."

15. Il s'agit de la Brisure des Vases.

16. Ici commence la citation de Scholem, qui substitue à ce lieu, qui est le domaine de la "Divinité qui n'est pas" , "l'air primordial" .

17. Et non pas le "lieu" (et encore moins l'air primordial qui n'a rien à faire ici).

18. C'est tout l'inverse du réchimou, qui est justement un reste.

19. Cité par A.J. Festugière dans La Révélation d'Hermès Trismégiste, IV, p. 132.

20. Voir, par exemple, l'ouvrage tout récent de S. Pétrement, Le Dieu séparé ou les origines du gnosticisme, Les Editions du Cerf, 1984, p. 653: "Scholem a confondu ésotérisme et gnosticisme" ; à la suite d'I. Gruenwald, elle affirme qu'il lui semble impensable que quoi que ce soit de la tradition juive ait quelque chose de gnostique.

21. Récemment traduit en français par M.R. Hayoun dans Le Nom et les Symboles de Dieu dans la mystique juive, Les Editions du Cerf, Paris, 1983.

22. Voir le Maarekhet ha-Eloqout, VII, p. 82b (éd. Mantoue): "Sache que du En-Sof, que nous avons évoqué, il n'est fait nulle mention dans la Torah, ni dans les Prophètes, ni dans les Hagiographes, ni dans les paroles de nos maîtres; seuls les serviteurs authentiques (les cabalistes) en ont reçu quelque allusion."

23. Azriel de Gérone, Commentaire sur les Dix Sefirot, 12, p. 4a (éd. Berlin, 1850).

24. Ibid.

25. Ibid.

26. La pagination renvoie à l'édition des Belles-Lettres, la traduction est celle d'E. Bréhier.

27. "Procession néo-platonicienne et création judéo-chrétienne" in Néo-platonisme, Mélanges offerts à Jean Trouillard, Cahiers de Fontenay, 1981, p. 5. La référence à Proclos est dans les Eléments de théologie, 27.

28. Ibid., p. 6; c'est nous qui soulignons. Les règles de la théologie négative sont que la négation de toute qualité et de toute détermination au sujet de Dieu n'entraîne pas que le divin est dépourvu de ces qualités et déterminations, mais qu'il est infiniment plus riche que celles-ci et, donc, qu'il les possède au plus haut degré.

29. Voir son article: "L'image de l'homme au-dessus des sefirot" (en hébreu) paru dans la revue Daat, cahier 4, hiver 1980.

30. Nous conservons l'orthographe originale de Scholem.

31. Voir en particulier le chapitre 5 de l'article déjà cité de J. Trouillard.

32. Mais peut-être, au fond, la quête du vrai n'est-elle que la recherche de principes d'autorité? C'est du moins la question que nous sommes amenés à nous poser à la lecture des études scientifiques (et autres) concernant la pensée cabalistique.

BIBLIOGRAPHIE / BIBLIOGRAPHY
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